jeudi 5 janvier 2012

L'Orestie


                                    Cours sur L'Orestie d'Eschyle


                                                                                                                                                                                         
Séance  I : Présentation du texte

1 Présentation d'Eschyle

Parmi les trois auteurs tragiques de la Grèce classique Eschyle, Sophocle et Euripide, le premier est le plus ancien et témoigne à la fois des formes archaïques de la tragédie et d'innovations ou inventions dramatiques qui en son temps consacrent la réussite et le succès de ces représentations. Des 90 tragédies que composa Eschyle 7 seulement nous sont parvenues: Les Suppliantes, Les Perses, Les Sept contre Thèbes, Prométhée enchaînée et sa dernière œuvre connue l'Orestie composée en 458 av. JC, jouée au printemps de 458 alors qu'Eschyle a 67, soit deux ans avant sa mort  en 456, est la seule trilogie antique qui soit parvenue jusqu'à nous. Eschyle  est donc considéré comme le fondateur de la tragédie grecque, celui qui lui confère des lois rigoureuses tout en la dégageant du lyrisme oral dont elle est issue: en un mot Eschyle introduit dialogue et action  dans un spectacle où dominaient jusqu'alors le chant , la danse. Il va également en vue d'une simplification et plus grande intelligibilité de la représentation recourir aux masques, costumes et travailler à la mise en scène. Cela vaudra à la trilogie d'être couronnée 13 fois lors des concours dramatiques dans lesquels trois auteurs étaient joués.
Issu de famille noble, Eschyle fera donc son apprentissage de guerrier et participe à la bataille de Salamine, évoquée dans Les Perses, puis à celle de Marathon. Simultanément il poursuit une carrière de dramaturge et très précocement va concourir aux jeux du théâtre , au cours desquels il sera maintes fois lauréat. Homme de guerre et homme de lettres, Eschyle est un représentant accompli de l'aristocratie athénienne. Né à Eleusis près d'Athènes en 525, Eschyle meurt en 456 en Sicile où il s'est installé sous la protection d'un mécène,.

2 La tragédie grecque

 A  Le théâtre à Athènes

Avant d'aborder le détail des sources de l'Orestie, il est bon de rappeler l'histoire des jeux théâtraux. Tradition très ancienne dans le monde grec, ces festivités semblent liées à l'origine à des célébrations religieuses saisonnières marquées par des sacrifices et  des offrandes à une divinité, Dionysos. A l'origine des sacrifices humains sont pratiqués, remplacés par la suite par celui de jeunes animaux; ultérieurement les jeux théâtraux, rappelant des épisodes marquants des mythes se substitueront à ces événements au caractère sacré et violent.  Ainsi dans les Choéphores on peut relever une évocation de Clytemnestre et Egisthe comme victimes sacrificielles, c'est ainsi que le coryphée appelle leur mort de ses vœux : «  mais qu'un jour je voie leurs cadavres dans la résine ruisselante d'un brasier » V. 267, p.22 On saisira mieux sans doute le lien existant dans ces formes de commémoration religieuse entre l'effusion de sang et la mise à mort publique et le récit de fragment violents et cruels des mythes: en somme la souffrance des héros et des dieux est un avatar de celle des victimes des sacrifices. A l'époque d'Eschyle  le théâtre est une institution très prisée et constitue un événement marquant dans la vie de la cité:les références politiques à la paix civile, au pouvoir des assemblées ( aréopage), à la sagesse qui fait la supériorité des Athéniens sont assez explicites dans la dernière pièce de la trilogie.
Les conditions de la représentation doivent aussi être bien comprises pour aborder ces textes et apprécier leur interprétation: le public est installé dans un amphithéâtre et peut à la fois voir et entendre de loin le spectacle en vertu des qualités acoustiques et architecturales des lieux; la scène fait face au public: constituée de l'orchestra plateau circulaire sur lequel évolue le chœur et les trois acteurs et la skene, édifice qui constitue le fond de la scène, supporte le décor, estrade creuse, surélevée qui tient aussi lieu de coulisses et de caisse de résonance. Les acteurs – des hommes exclusivement , les plus jeunes jouent les rôles féminins – portant  des cothurnes, chaussures dont les semelles les rehaussent, des masques recouvrant visage et thorax permettent d'identifier leur rôle et possèdent aussi la particularité d'amplifier la voix. Les accessoires sont réduits au minimum tout comme le décor, toutefois on sait  l'importance du tertre funéraire d'A°, du voile ou filet ensanglanté brandi par Oreste , du glaive dont il tue Egisthe et Clytemnestre. Dans les Choéphores  deux décors accompagnent de façon pleinement significative l'action, dans les Euménides on se déplace du temple de Delphes, à la colline d'Arès à Athènes qui abrite l'aréopage. En un mot décor, costume, accessoires ne sont pas dénués d'importance dans ce théâtre qui use de la force symbolique de l'espace, des objets et des gestes. Dans les deux  premières pièces et au début de la troisième la disposition spatiale est hautement significative.
Plus essentiel encore à la représentation: l'accompagnement musical qui soutient la déclamation et le chant individuel et collectif, la danse: la tragédie grecque archaïque est sans doute beaucoup plus proche de l'opéra que de notre conception du théâtre: c'est dans cette logique de spectacle total qu'il faut comprendre le rôle essentiel du chœur qui assume de nombreuses fonctions ,  tour à tour voix du peuple, écho du  public, commentant l'action, - cad exprimant un jugement qu'il invite le public à partager - ou la dominant : les choéphores, ces esclaves porteuses d'offrandes qui  pleurent la mort honteuse d'Agamemnon et dialoguent avec Electre, les Erinyes , troupe terrifiantes, qui incarnent le tourment d'Oreste, sa folie, mais aussi la colère  de celle qu'il a tué par vengeance. Eschyle aurait innové, intercalant entre les interventions du chœur et du récitant – le coryphée – des scènes jouées par des individus personnages illustres des                                                                                                                                                                                                                    mythes ou divinités – Apollon et Athéna -  en l'occurrence ainsi que les Erinyes. Il convient par conséquent de prendre la juste mesure du lyrisme dans ce théâtre: L'Orestie est une oeuvre chantée et poétique d'une grande puissance d'évocation et non un débat politico-philosophique sur la justice.

B  Les règles de la tragédie selon Aristote

cf édition Garnier-Flammarion p.XII  Marie-Joséphine Werlings
 Mathieu Meyrignac volume Bréal sur le programme  pp.56-59 et le glossaire p.95

d'après Aristote Poétique:
 Les quantités et la division spéciale des parties permettent de distinguer:
 1 Le Prologue;  2 l'épisode;  3 le dénouement ou exodos; la partie chorique qui comporte : l'entrée ou parodos et le chant statique stasimon.  (Quand il y une seconde entrée on parle d'épiparodos.)  
Le prologue est une partie complète en elle-même de la tragédie qui se place avant l'entrée du chœur.
L'épisode est une partie complète en elle-même de la tragédie placée entre les chants complets du chœur.
Le dénouement est une partie complète en elle-même après laquelle il n'y a plus de chants du chœur.

Dans la partie chorique l'entrée/ parodos est ce qui est dit en premier par le chœur et le stasimon , le chant du chœur sans anapeste et sans trochée ( types de pieds formant des vers ). Le Kommos est une lamentation commune au chœur et aux acteurs en scène.

C – Le lyrisme dans l’Orestie

1 - Les parties chantées : répartition
Agamemnon
Les Choéphores
Les Euménides
750 vers  = la moitié de la pièce
Un tiers de la pièce
Plus du tiers, presque la moitié de la pièce

2 - Structure :
parties chantées organisées en strophes et antistrophes et se répondent rigoureusement et symétriquement : longueur des syllabes, coupes…
Le chœur :
Le parodos = entrée du chœur
Une epiparodos = seconde entrée du choeur
l’anapeste = 2 brèves + 1 longue //rythme lent de la marche
le dochmiaque = rythme heurté pour souligner des sentiments violents

Les stasima



L’entrée des Erinyes à Athènes

Les récitatifs
Dialogue d es acteurs
Les épisodes



Acteur associé au choeur dans le chant
commos
Ex. ds les Choéphores : la prière d’Oreste, d’Électre et du  choeur autour du tombeau d'Agamemnon


Le choeur s'associe au personnage dans le dialogue

Les Euménides : dernier dialogue entre Athéna et le choeur des Erinyes.






3 - Rôle du chœur
Le chœur est là pour commenter l’action, il analyse les forces en présence, les causes, les effets sur l'homme, l'enjeu des actions pour la cité. Le chœur dégage des enseignements, il s'interroge et prend parti. Dans l'Orestie, le chœur relève ce qui est inquiétant, qui va attirer le châtiment, ce qui a été coupable, ce qu’il convient de faire pour éviter le désastre.
Il est le seul dans la tragédie qui  connaisse le passé le présent et l'avenir. Il est donc celui qui peut mettre en perspective les différentes scènes et mettre en évidence l'unité de l'action. Le chœur placé dans l'orchestra ne peut pas prendre part à l'action ni rejoindre la scène. Cependant dans les Choéphores , si dans la première partie le chœur reste cantonné dans l'orchestra autour du tombeau d'Agamemnon, il joue un rôle de conseil de plus en plus pressant auprès d'Oreste et d’Electre. ( vers 308 et suivants)  Ainsi le chœur invitera à la nourrice à entrer dans le complot. Le chœur encourage la vengeance et chante le triomphe :  «  elle est venue, la justice, elle a fini par frapper les Priamides et d'un lourd châtiment ! » (935). «  À !  jetez un cri d'allégresse sur le palais de vous maîtres enfin délivrés de ses maux ainsi que des deux sacrilèges qui, pour dévorer les richesses, avait pris un chemin de mort ».
Progression // Agamemnon : le chœur ne se contente plus de pressentir et de redouter le meurtre avenir, il conseille, il devient un personnage essentiel de l'action en train de se faire  = innovation littéraire d’Eschyle.
Le titre de la troisième pièce : les Euménides soulignent le rôle essentiel du chœur, il  prend le statut même de personnages à travers le chœur des Erinyes. Elles apparaissent, bien vivantes à Delphes dans le sanctuaire d'Apollon, ensuite à Athènes où elles réclament le  châtiment d’Oreste puis se muer en Euménides à la demande d’Athéna. La lutte oppose ces divinités archaïques et terrifiantes qui ronflent, grognent, entonnent des chants magiques (évanouissements garantis dans le public) à l'autorité morale et au civisme de la déesse Athéna. Leur acharnement, la défense, leur résistance et finalement leur acceptation font d’elles  le personnage principal de cette dernière tragédie qui porte leur nom : les Erinyes deviennent les Euménides. // la vengeance aveugle cède le pas à la justice humaine.




 4 - Le mythe d'Atrée

C'est la source à laquelle puise Eschyle et cette source est un inépuisable réservoir  de significations :Atrée fils de Pélops et d'Hippodamie , petit-fils de Tantale et frère de Thyeste et de Nicippé. Il épousa d'abord Cléola qui lui donne Phlisthène, puis de la veuve de son fils Phlisthène , Aréope il eut  deux fils Agamemnon et Ménélas et une fille, Anaxibia. ; il épousa enfin Pelopia, fille  de son frère Thyeste. Les destins tragiques de la maison  d'Atrée ont fourni ample matière aux poètes tragiques de la Grèce. A la suite du meurtre de leur demi-frère Chrysippe, Atrée et Thyeste furent obligés de prendre la fuite pour se soustraire à la vengeance de Pélops. Ils furent reçus hospitalièrement à Mycènes, et après le mort du Perséïde Eurysthée, Atrée devint roi de Mycènes. Thyeste séduisit Aérope, femme d'Atrée, mère d'Agamemnon et Ménélas; à cause de ce crime il fut banni par son frère. Du lieu de son exil, il envoya  Phlisthène, fils d'Atrée qu'il avait élevé comme le sien, avec mission de tuer Atrée, mais Phlisthène périt de la main d'Atrée, qui ne savait pas qu'il fût son fils. Alors afin de se venger, Atrée feignit de se réconcilier avec Thyeste , le rappelant à Mycènes, il lui fit servir dans un banquet la chair de ses deux fils Tantale et Phlisthène; Thyeste, sans le savoir, prit part à cet horrible festin. Instruit du fait , il s'enfuit d'horreur, et les dieux maudirent Atrée et sa race. Alors le royaume de ce prince fut ravagé par la famine et l'oracle consulté invita Atrée à rappeler Thyeste. S'étant mis à sa recherche, il se rendit auprès du roi Thesprotus, où il épousa sa troisième femme, Pelopia, fille de Thyeste, qu'il croyait fille de Thesprotus. Or elle était sur le point de donner le jour à un fils qu'elle avait eu de son propre père, il fut nommé Egisthe, emmené à Mycènes et élevé par Atrée, puis devenu grand il fut envoyé pour tuer Thyeste. Mais le père et le fils s'étant reconnus, Egisthe assassina  Atrée sur le bord de la mer pendant un sacrifice, chassa Agamemnon et Ménélas et s'empara avec son père du trône de Mycènes.

Dans la première pièce de la trilogie les références au mythe sont nombreuses, elles confirment la naissance maudite d'Egisthe, éclairent la rivalité politique pour le trône de Mycènes aussi appelé Argos dans la pièce. Nous retrouvons les archétypes de la naissance incestueuse, et surtout le motif fondamental du sang versé au sein d'une même lignée. L'épisode de banquet de Thyeste qui culmine dans l'horreur, est rappelé clairement. Il fait partie de la triple malédiction  déplorée par le coryphée qui à la fin de l'exodos des Choéphores formule le vœu que ce malheur soit le dernier d'un cycle fatal: festin de Thyeste, meurtre d'Agamemnon et matricide de Clytemnestre par Oreste.
Concernant Agamemnon et l'histoire de la guerre de Troie, rappelons le sacrifice d'Iphigénie consenti par Agamemnon   pour favoriser les vents contrariés par les dieux hostiles aux Grecs et empêchant le départ de la flotte pour Troie: en tuant Agamemnon, Clytemnestre venge la mort de sa fille aînée. Par ailleurs toujours en référence à des épisodes homériques des derniers chants de  L'Iliade  , le sac de Troie par les Grecs est aussi rappelé comme cause des malheurs de Ménélas – il périt en mer avec la plupart des Grecs au retour de Troie – et de son frère assassiné lâchement au retour avec sa captive, la prophétesse Cassandre. De nombreux rapprochements peuvent être établis par ailleurs avec la Thébaïde à partir des archétypes de la malédiction, liée au fait de verser le sang des siens.  Enfin le retour d'Agamemnon peut aussi être comparé avec celui d'Ulysse à Ithaque  après le guerre de Troie, Homère ne manque pas précisément de mentionner le récit de la mort d'Agamemnon dans l'Odyssée. L'inscription dans le mythe est donc éclairante et déterminante pour le sens du texte, par ailleurs le public d'Eschyle est familier de tous ces récits qui constituent la base de sa culture et de ses croyances. Les références à l'Odyssée sont évidentes dans la scène de reconnaissance permise par les vêtements – celui qu'Electre broda pour Oreste – et dans l'intervention comique et attendrissante de la nourrice qui rappelle qu'Eschyle est aussi auteur de satyres;  une pièce comique  accompagnait obligatoirement la représentation de la trilogie au concours dramatique et comportait force plaisanteries scatologiques ou obscènes.
En effet la trame mythologique confère une cohérence au drama: ce qui s'accomplit  dans la trilogie relève d'une nécessité tragique et Oreste assume et paie le prix de crimes anciens, inscrits dans un cycle tragique inexorable qu'on ne peut enrayer. Eschyle va alors opposer deux logiques: une croyance archaïque à un mythe fondateur de la cité sur le plan politique et religieux d'une part, d'autre part le dépassement et la délivrance de ces croyances et de cette nécessité auxquelles se substitueront un ordre et une logique nouveaux. Jacqueline  de Romilly rappelle à juste raison que si l'utilisation du mythe dans les tragédies de Sophocle et Euripide marque un recul de la croyance et le dépassement de valeurs ancestrales: le mythe reste une référence fondatrice mais le public n'y croit plus, en revanche les croyances archaïques dominent encore le théâtre d'Eschyle comme en témoigne le rôle prépondérant des divinités olympiennes et chtoniennes dans l'Orestie. Eschyle demeure un dramaturge religieux, une grande partie de son texte est un discours adressé aux dieux, parole liturgique, incantatoire, implorant l'aide de dieux, leur demandant d'accomplir une justice, de la rétablir et d'alléger les peines des hommes.
Eschyle ne traite que la dernière partie de ce mythe qui peut être abordé plus simplement à partir de l'arbre généalogique p.110 de l'édition GF.


LES ATRIDES
Le mot Atride vient du nom Atrée et désigne sa descendance.
Atrée est le roi de Mycènes, le fils de Pélops, lequel est le fils de Tantale.
Quand on parle des Atrides, on désigne par là même une famille maudite. On parle donc de la malédiction des Atrides.
Le châtiment de Tantale
Tout commence avec Tantale, le grand-père d’Atrée. Tantale invite les dieux à un banquet et leur sert le corps de son fils Pélops, afin d’éprouver leur perspicacité. Les dieux s’en rendent compte aussitôt, mais pas Déméter qui mange une épaule de l’enfant. Horrifié, Zeus fait jeter dans un chaudron les membres de Pélops qui revient alors à la vie. On lui donne une épaule d’ivoire pour remplacer celle que Déméter a mangée.

Le châtiment de Tantale est terrible : précipité aux Enfers, il est plongé dans un lac, environné d’arbres chargé de fruits qu’il ne peut atteindre car l’eau et les fruits s’éloignent de lui dès qu’il veut les atteindre. Tantale est donc condamné à une soif et une faim éternelles.

Pélops et Hippodamie
L’histoire se poursuit avec Pélops, le fils ressuscité de Tantale.
Devenu adulte, Pélops se rend en Élide. Là, il se joint aux prétendants à la main d’Hippodamie que son père Œnomaos a promis de donner en mariage à celui qui le vaincrait à la course de chars. Nombreux sont les prétendants ayant échoué. Pour mettre toutes les chances de son côté, Pélops corrompt Myrtilos, le cocher d’Œnomaos, qui sabote une roue du char de son maître. Pélops triomphe et épouse Hippodamie. Mais, n’oubliant pas que Myrtilos connaît son secret, le fils de Tantale l’assassine. Malheureusement Hermès, le père de Myrtilos, va venger son fils en maudissant les descendants de Pélops.
Pélops devient roi de Pise en Elide. Des jumeaux naissent de son mariage avec Hippodamie (1) : Atrée et Thyeste. Poussés par leur mère, ils assassinent leur demi-frère Chrysippos (2). Bannis par leur père, ils trouvent refuge à Mycènes où Atrée devient roi.
Atrée et Thyeste, les frères jumeaux
Atrée voue une haine implacable à son frère qui a tenté de lui ravir le trône et est devenu l’amant de sa femme. Pour se venger, Atrée tue les deux fils de son frère et les lui sert à manger. Le soleil épouvanté se détourne de sa route. Saisi d’horreur en apprenant par son frère ce qu’il vient de manger, Thyeste jure de se venger et maudit son frère (3).
La guerre de Troie
http://www.ralentirtravaux.com/images/clytemnestre_hesitant_avant_de_frapper_Agamemnon_endormi.pngLa malédiction touche donc la descendance d’Atrée qui a deux enfants, Agamemnon et Ménélas. Ce dernier est le mari d'Hélène, dont l'enlèvement déclenche la guerre de Troie, au cours de laquelle les Achéens sont commandés par Agamemnon. Iphigénie, l’une des filles d’Agamemnon, est même sacrifiée par son propre père, qui espère ainsi obtenir les vents favorables lui permettant d'atteindre Troie (4).
À la fin de la guerre, Ménélas et Hélène se réconcilient et coulent des jours heureux. Il n'en va pas de même pour Agamemnon : rentré à Mycènes, il est assassiné par sa femme Clytemnestre et l'amant de celle-ci, qui n'est autre qu'Égisthe !
Le retour de la guerre de Troie
Sept ans après, les enfants d’Agamemnon, Oreste et Électre, décident de venger sa mort. Oreste assassine leur mère et son amant. Les Érinnyes, divinités nées des gouttes de sang dont Ouranos mutilé imprégna la terre, et dont le rôle est de punir tout crime humain, poursuivent Oreste. Ce dernier obtient cependant son acquittement par l'Aréopage d'Athènes, qui l'absout sur les conseils de la déesse Athéna.
Les remords d'Oreste par William Adolphe Bouguereau
C'est la fin à la malédiction qui pesait sur la famille des Atrides.
Arbre généalogique
Généalogie des Atrides
Notes :
1 - Hippodamie lui donne de très nombreux enfants dont Pitthée, qui sera le grand-père de Thésée.

2 - C'est ce même Chrysippos dont s'est épris Laïos. La malédiction des Labdacides trouve son origine dans cet amour.

3 - Égisthe, troisième fils de Thyeste, vengera ses frères en tuant Atrée.
4 - Iphigénie est sauvée par Artémis, qui la sauve et devient prêtresse de la déesse.




5  Le contexte historique

le Vème siècle est marqué pour Les Grecs par deux guerres, les guerres médiques au cours desquelles les Grecs repoussent l'attaque des Perses lors des victoires de Salamine et de Marathon. Eschyle jeune guerrier et homme d'âge mûr prend part à ces deux batailles. A cette époque l'hégémonie d'Athénes sur les autres cités va se transformer en souveraineté.
Dans la seconde moitié du siècle a lieu une nouvelle guerre du Péloponèse qui oppose Athènes qui défend la démocratie à Sparte partisan de l'oligarchie; cette guerre conduit à la défaite complète d'Athènes en 404. Dans l'Orestie – plus particulièrement dans Agamemnon les ravages et les misères de la guerre sont largement déplorés et la paix avec Argos célébrée comme une perspective rassurante pour les Athéniens.
Il faut aussi évoquer  une réforme de la démocratie , celle de l'aréopage en 462 qui limite les pouvoirs de cette assemblée d'anciens et de notables – le milieu dont est issu Eschyle – à des responsabilités judiciaires, cette assemblée ne statue plus que sur les crimes de sang par opposition à l'assemblée des 500 qui participe au gouvernement de la cité .L'image positive que donne le dramaturge de l'aréopage inspiré et fondé par Athéna et aboutissant à l'acquittement d'Oreste  est  une allusion directe à cette réforme des assemblées de la démocratie.

 Bibliographie:
Jacqueline de Romilly, Encyclopédie Universalis, Article Eschyle.
Jacqueline de Romilly, La crainte ou l'angoisse dans le théâtre d'Eschyle, Les Belles Lettres, 1958.
Jacqueline de Romilly, J. de R. raconte L'Orestie d'Eschyle, Bayard, 2006.
Karl Reinhardt, Eschyle, Euripide, Gallimard 1972.
Maurice Croiset, Eschyle, Etude sur l'invention dramatique de son théâtre, Belles Lettres,1928.
Jean-François Balaudé, Les théories de la justice dans l'antiquité, Nathan U 128, 1996.
François Ost, Raconter la loi,  Aux sources de l'imaginaire juridique, Odile Jacob, 2004.
Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal -Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Maspéro puis La Découverte poche, 1972.
William Smith, Dictionnaire classique de biographie, mythologie et géographie ancienne, Firmin-Didot, Paris, 1884.
  
Éditions consultées:
Eschyle, Tragédies, II,Les  Belles Lettres, édition Paul Mazon, 1925, revue et corrigée 2002.
Aeschylus'Orestia, a literaly commentary, Conacher, 1987, University of Toronto Press.
Collard. C., Aeschylus'Orestia, Oxford, 2002.

5 Relevé de citations:

Les Choéphores
305 Coryphée Que tout mot de haine soit payé d'un mot de haine, voilà ce que la justice  de chacun exigeant son dû va clamant à grande voix. Et qu'un coup meurtrier soit puni d'un coup meurtrier: au coupable le châtiment, dit un adage trois fois vieux.
395 Electre Je réclame justice contre l'injustice.
Le meurtre appelle l'Erinyes pour qu'au nom des premières victimes elle fasse au malheur succéder le malheur.
460 La force luttera contre la force et le droit contre le droit.
505 Les enfants du héros sauvent son  nom de la mort.
640 Le glaive aigu vise au cœur et le transperce au nom de la justice. Elle a tous les droits sur ceux qui contrent tout droit, ont foulé aux pieds et violé la pleine majesté de Zeus.
691 tes paroles achèvent ma ruine. Oreste qui avait eu le flair de retirer son pied du bourbier sanglant – c'est le dernier espoir d'une pure allégresse capable de guérir à jamais ce palais et qu'elle efface
816 Toi qui habites l'édifice splendide bâti autour de la bouche terrible, fais que la maison d'un héros puisse enfin relever la tête et voir de ses yeux fidèles l'éblouissant soleil de la liberté succéder à ce voile de ténèbres.
855 Souiller les glaives de sang pour la justice ou la perte du foyer d'Agamemnon
856 Serviteur: les morts frappent le vivant , je comprends le mot de l'énigme.
900 Pylade : Mieux vaut avoir contre soi tous les hommes que tous les dieux.
Oreste: ce n'est pas moi, c'est toi qui te tueras toi-même, le sort fait à mon père te condamne à la mort.

930 Tu tuas ton époux, meurs sous le fer d'un fils.
980
Il pourra ainsi témoigner pour moi en justice que j'étais dans mon droit en poursuivant la vengeance jusqu'au meurtre d'une mère
De cette victoire je ne garde pour moi qu'une atroce souillure.

1020 Coryphée: Aucun mortel ne traversera, sans payer sa part, une vie exempte de douleur.

Les Euménides
151 tu nous a dérobé un matricide, toi , un dieu, qui prétendra qu'il y ait là quelque justice;
276 Oreste: je sais quand il est juste de parler ou de se taire;
312 Le coryphée: à notre avis notre justice est droite, celui qui tendra des mains pures, notre courroux ne l'approchera pas (…) nous paraissons pour qu'il s'acquitte pleinement du sang versé.v320.
382-3: le chœur:maîtresses des moyens et de la fin, nous conservons la mémoire des crimes.
430: Athéna:Tu veux passer pour juste plutôt que de l'être.
490: les Erinyes: c'est aujourd'hui qu'un nouveau droit renverse tout.
520 Il est bon d'apprendre à être sage à l'école de la douleur. Qui donc, homme ou cité, s'il n'est rien sous le ciel dont la crainte habite en son âme, garderait le respect qu'il doit à la justice?
La démesure est fille de l'impiété.
526-27Ni anarchie, ni despotisme
529-30  Le dieu en toutes choses a concédé la force à la mesure qui toujours veille sur tout.
550 Qui consent sans contrainte à être juste connaîtra la prospérité;
572-3 Athéna: Quelles lois j'établis à jamais afin que ce procès soit tranché selon la justice.
610 Oreste: si mon crime était juste.
632 Elle déploie sur lui un grand limon et frappe l'époux, puis dans le voile brodé comme en un piège sans issue. Voilà quelle fut la fin du héros auguste entre tous, du chef de l'armée navale.
750 Une voix de plus relève une maison.
752 Cet homme a échappé à la justice du sang.
779 Jeunes dieux, les lois anciennes, vous les avez piétinées.
799 Oreste ne devait pas subir la peine de son acte.
990 Si votre amour à leur amour répond par d'éclatants et éternels hommages, vous vous montrerez au monde tous ensemble menant votre pays, votre peuple, par les chemins de la droite justice.
1021 Je vais vous conduire à la clarté de torches éclatantes.
 Justice garante de la prospérité:Leur présence parmi nous se manifeste en riches floraisons humaines.







Séance 2 - Agamemnon

1 - Résumé d'Agamemnon

Cette pièce ne figure pas au programme, mais doit bien évidemment être lue et connue: elle constitue le premier volet de la trilogie , elle est aussi le fondement dramatique de toute l'action. Tout ce qui se joue à partir de l'entrée en scène d'Electre découle directement du crime commis par Clytemnestre et Egisthe. Notons d'emblée que si le massacre des Troyens par les Grecs est clairement évoqué et donc relié à ce qui s'accomplit, en revanche le sacrifice d'Iphigénie n'est pas invoqué dans les Choéphores comme mobile du geste de Clytemnestre et de l'usurpateur Egisthe. Le chœur y joue un rôle particulièrement important, apportant par ses commentaires et déplorations un éclairage décisif pour l'ensemble des trois pièces, et en l'occurrence pour apprécier le juste et l'injuste dans ce qui a lieu. La trilogie d'Eschyle présente ainsi un souci de cohérence interne manifeste.
Agamemnon est le drame de l'angoisse. L'angoisse y va croissant de scène en scène. Un mot du veilleur laisse déjà entendre que le palais enferme un secret inquiétant. Les vieillards qui forment le chœur exposent bientôt plus clairement ce qui fait l'objet de leurs craintes. Ils ignorent encore le triomphe des Grecs, mais ils le savent certain, puisque Pâris a offensé Zeus, en violant les lois de l'hospitalité. Malheureusement ils savent aussi le nombre de vies humaines dont se paiera la victoire, ainsi que l'indignité de celle à qui les Atrides sacrifient leurs guerriers; et comme les préparatifs de fêtes semblent annoncer une heureuse nouvelle, ils évoquent le souvenir du présage qui, au départ du roi, leur a avec succès prédit des maux effrayants. Une partie de ces maux s'est déjà réalisée: faut-il si Troie est prise redouter maintenant les autres?
Dans le présage des aigles dévorant une hase pleine avec toute sa portée, Calchas a su reconnaître un avertissement d'Artémis. Elle protège les faibles; ils sont à elle et doivent être épargnés. Si A° veut détruire toute la race troyenne et immoler des innocents, qu'il en donne d'abord à la déesse le prix qu'elle exige, la sang d'Iphigénie. Aveuglé par l'ambition, sans révolte, le roi accepte le marché: Les Grecs ont vu de leurs yeux le sacrifice monstrueux prédit par le devin, et c'est ce souvenir qui, douloureusement, hante à cette heure, l'esprit des vieillards. La sagesse populaire l'a proclamé depuis longtemps: il faut souffrir pour comprendre. Quelle souffrance nouvelle viendra faire comprendre à Agamemnon son erreur? Calchas l'a laissé prévoir: une intendante perfide garde la maison, la colère qui n'oublie pas et veut venger une enfant. Clytemnestre dans l'ombre prépare-t-elle déjà l'expiation?
Son langage du moins le laisse craindre. A peine a-t-elle proclamé la nouvelle reçue de Troie et justifié sa foi dans le messager du feu qu'elle se plaît à dénombrer toutes les raisons qui peuvent maintenant faire craindre un retour de la fortune. Elle imagine Troie livrée au pillage et au massacre, elle voit les temples des dieux dévastés, elle rappelle les vies sacrifiées – à Aulis comme devant Troie. Il ne suffit pas d'être vainqueur, il faut pouvoir jouir de la victoire. Et le chœur qui veut chanter le succès des Grecs, en vient peu à peu à exprimer les mêmes inquiétudes. Les lois divines sont inflexibles; Pâris a été frappé pour sa démesure: une démesure égale aurait-telle été le fait des vainqueurs?
La réponse est donnée, franche et brutale, par le héraut qui précède Agamemnon: les Grecs ont fait ce que prévoyait Clytemnestre; ils ont détruit tous les temples des dieux, ils ont anéanti un peuple, ils ont fait payer au double la faute des coupables. Le héraut peut ensuite déclarer que la peine est passée, que l'heure est venue pour l'armée de se rendre gloire à la face du soleil; il n'est personne qui ne comprenne désormais que le châtiment est certain. Le message qu'envoie Clytemnestre à son époux est un message de mort, et le récit de la tempête qui a dispersé la flotte achéenne montre à la fois les Grecs poursuivis par la colère des dieux et Agamemnon privé de son frère, seul secours qui pût le sauver.

C'est ici au centre du drame, au moment même où va paraître le roi , que le poète a tenu à formuler en termes précis sa pensée. Agamemnon n'est point la victime des dieux jaloux; la prospérité n'enfante pas nécessairement le malheur, comme on le dit et croit: non le malheur toujours est le fils du crime, il n'est jamais qu'un châtiment; c'est la justice qui mène tout à son terme. Le mot éclaire toute la suite du drame. Il grandit Clytemnestre et accroît la terreur qu'elle inspire: si elle est l'exécutrice d'une volonté divine, A° ne saurait lui échapper.
Il entre et avec une insolence naïve, il dénonce lui-même l'excès de vengeance qu'il a tirée des Priamides ; la démesure éclate dans chacun de ses mots. Il ose encore prendre l'attitude d'un justicier qui vient rétablir l'ordre à Argos! Le contraste est tragique de cette sottise arrogante et de la douceur perfide qui remplit le langage de Clytemnestre. Longuement elle dit son amour et sa joie – et sa joie n'est pas pur mensonge puisqu'elle sent sa vengeance toute proche. Elle a tant souffert qu'elle a bien droit de jouir de son bonheur sans provoquer l'envie. Elle entend que le vainqueur rentre dans sa maison sur un chemin de pourpre, ainsi qu'on fait parfois pour la statue d'une divinité. Elle cherche sans doute à s'assurer la complicité des dieux, qu'aura de la sorte provoqués A°; elle prétend que par un signe sensible il se condamne lui-même. Le malheureux sent confusément le piège , le défi imprudent jeté au ciel; il se défend puis il cède. Et il cède – suprême ironie – à cet argument: se montrer docile à sa femme, c'est faire preuve d'humilité, c'est s'assurer contre le destin! Il rentre donc dans son palais en foulant au pied la pourpre et derrière lui, Clytemnestre pousse un cri de triomphe: sa proie est dans le filet.
L'épouvante du chœur est à son comble; il lutte contre un pressentiment qu'il ne sait comment exprimer: les dieux lui ont refusé le don accordé aux devins. Mais Cassandre est là qui elle, le possède; c'est elle qui va prédire le sort réservé à la maison des Atrides.
Ce qui fait la beauté du rôle de Cassandre, c'est qu'elle est à la fois un symbole et une femme. Elle est le symbole de la cité détruite, de tous les innocents sacrifiés à une vengeance sans mesure – les levrauts du présage qui provoquaient la pitié d'Artémis; elle est l'image vivante des fautes d'Agamemnon. Mais en même temps elle est une femme, une Troyenne qui hait les Grecs, et une captive aimée de son maître, pour qui elle garde respect et pitié. Elle tait donc les fautes du roi, et en revanche elle crie bien haut les crimes de la race, dont la mort d'A° n'est pour elle qu'une suite fatale . Elle voit installée dans le palais la troupe des Erinyes qui chantent les forfaits anciens, l'adultère de Thyeste et le meurtre de ses enfants ( l'adultère d'Egisthe et Clytemnestre, le sacrifice d'Iphigénie pourraient être des prolongations, des avatars des crimes qui entraînent la malédiction) elle voit la mort qui lui est réservée, celle d'A°, mais aussi dans un avenir plus lointain celle de Clytemnestre qui souillera d'un parricide le palais maudit. Puisque Troie ainsi est vengée, Cassandre peut mourir: bravement elle entre dans le palais où l'attend Clytemnestre. Et suivant le rythme constant de la pièce, la pensée du chœur va d'elle à Agamemnon, des Troyens aux Grecs, et même à tous les hommes: qu'est-ce que le bonheur terrestre toujours si proche du néant.
Le cri d'A° égorgé répond à cette question anxieuse. Tandis que les vieillards, impuissants, se concertent, Clytemnestre paraît debout près de ses victimes et se glorifie de son crime: elle n'a été qu'une justicière, elle a tué celui qui avait tué son enfant. Mais en même temps aux menaces du chœur elle oppose une autre menace: qu'il prenne garde! Elle a désormais Egisthe pour défenseur. L'aveu cynique de l'adultère, les aveux qu'elle lance aux cadavres qu'elle a faits, révèlent tout à coup en Clytemnestre autre chose qu'un instrument des dieux: c'est aussi une criminelle, dont la jalousie et la haine, autant que la justice ont armé le bras.
Nous sommes ici au point culminant du drame. A qui imputer le crime? Le chœur se le demande avec désespoir sur le cadavre d'A°. Á Hélène cause première de tout le mal, puisqu'elle a déchaîné la guerre troyenne?   Ou plutôt n'est-ce pas une même divinité hostile aux Atrides qui a voulu que les deux frères fussent également victimes de femmes aux âmes pareilles? Et n'est-ce pas elle qui triomphe maintenant sous les traits de Clytemnestre? - ce n'est là qu'une façon de désigner les filles de Tyndare comme les mauvais génies de Ménélas et A°. Mais Clytemnestre feint de l'entendre autrement: la divinité qui frappe aujourd'hui Atride, c'est celle qui est attachée à sa race, celle qui poursuit le meurtre des fils de Thyeste: par la main de Clytemnestre, elle vient de venger les enfants massacrés. Le chœur repousse, indigné, cette explication. Le génie vengeur a peut-être été le complice du crime: l'heure aussi était venue de punir le forfait d'Atrée. La mort d'A° n'en est pas moins l'œuvre de Clytemnestre. Dès lors celle-ci ne s'en défend plus; elle le proclame au contraire à voix haute: oui elle a vengé Iphigénie. Le chœur à ce coup ne peut plus répliquer. Un vertige s'empare de lui; il voit la maison s'effondrer dans le sang; au-delà du crime achevé, il aperçoit le châtiment qui sera un crime nouveau. A l'angoisse du cœur succède l'angoisse de l'esprit. « Prononcer est tâche ardue! » Une seule chose est sûre, c'est que les meurtres vont continuer: « la race est rivée au malheur! » Et l'orgueil de la reine cette fois fléchit. Elle prend peur à son tour. Elle voudrait éloigner du palais le génie qui y souffle «  cette fureur de mutuels homicides » Ah s'il consentait seulement à accepter en échange une partie des trésors de la maison!
Ce long dialogue lyrique est la clef de la tragédie: le poète y a rapproché à dessein deux conceptions différentes des faits. L'une est peut-être celle de la tradition épique: A° paie les fautes de ses pères; c'est le génie du crime vengeur d'Atrée qui le frappe. L'autre est sans doute en partie originale: A° paie ses propres erreurs; Clytemnestre venge Iphigénie. Il ne les a pas mises toutefois sur le même plan; il donne nettement Clytemnestre pour la meurtrière, le génie vengeur tout au plus pour son complice. Il est vrai que les personnages à la fin de la scène, s'attachent de préférence à l'idée d'un génie châtiant les crimes anciens – le chœur parce que cette idée excuse A°, Clytemnestre parce qu'elle l'excuse elle-même et aussi lui offre l'espoir de composer avec une divinité prête peut-être à accepter une rançon. Mais toute la tragédie est ordonnée de façon à mettre en lumière l'autre conception: au début le tableau de la hase dévorée par les aigles et d'Iphigénie égorgée; à chaque scène nouvelle une affirmation toujours plus franche de la démesure du roi ; au milieu de la pièce la déclaration du poète que le crime seul enfante le malheur; puis la plainte déchirante des vaincus chantée par Cassandre; le serment de la reine par les dieux de la vengeance à qui elle a immolé un père meurtrier ; enfin l'impuissance du chœur à réfuter l'argument contenu dans le seul nom d'Iphigénie; tout cela dit assez clairement la pensée d'Eschyle. Et le rôle entier de Clytemnestre répond à la même idée. L'implacable volonté qui fait sa grandeur, Clytemnestre la doit à la justice, dont elle sert les desseins, à la foi farouche qu'elle a de son droit: elle est une mère en furie qui venge son enfant. La vengeance achevée, elle redevient une femme; elle s'effraie de la folie sanglante qui règne au palais et peut la frapper elle-même. Une lassitude la prend; elle aspire à la paix.
Mais au moment même où elle exprime ce vœu, Egisthe paraît, et sa personne, son langage, sa lâcheté passée et son insolence présente rappellent de nouveau à tous aux prix de quelles hontes la justicière est arrivée à ses fins. Les personnages un instant s'étaient élevés au-dessus d'eux-mêmes et de leurs querelles; ils avaient entrevu ensemble avec effroi les puissances mystérieuses dont ils étaient les jouets ; leurs volontés chancelaient et leurs cœurs s'apaisaient. La trêve est brusquement rompue; la violence reprend ses droits. Tous retombent au niveau de la vie. Une fois encore la reine toujours meurtrie , cherche à arrêter les insultes et les menaces. Mais la dispute se prolonge; il faut reprendre la lutte qu'impose le crime accompli: au défi du chœur, Clytemnestre répond elle aussi par un défi. Les événements vont suivre leur cours et le meurtre d'A° portera ses fruits.

o.c. pp.3 à 9.


     2 - l'action.
Agamemnon rentre de la guerre de Troie. Clytemnestre a médité le meurtre d'Agamemnon pour se venger du sacrifice d'Iphigénie. Homère  dans l'Odyssée fait tuer Agamemnon par Égisthe. Clytemnestre y est placée au second plan : elle aide  Égisthe mais n’est pas  elle-même meurtrière. Chez Eschyle, c'est le contraire : Égisthe n'est pas meurtrier mais il est le complice de Clytemnestre et se réjouit de la mort d'Agamemnon.
La pièce souligne la responsabilité entière de Clytemnestre : elle reçoit son mari en multipliant les signes de soumission et de flatterie. Elle invite son mari à marcher sur un tapis rouge. Ce tapis est emblématique de l'orgueil d'Agamemnon (son hybris c'est-à-dire sa démesure). Il représente aussi le sang qui va être versé mais aussi celui d'Iphigénie. À l'arrivée d'Agamemnon, vers 973, le sort qui lui est réservé est scellé. : «  Zeus, Zeus, par qui tout s'achève, achève de mes souhaits,  songe bien à l'œuvre que tu dois achever. » Le meurtre intervient au vers 1342. Cette fois  Clytemnestre triomphe sans masque ni mensonge. : « elle est venue, la revanche - enfin ! Et je demeure où j'ai frappé : cette fois c'est fini ! - j'ai tout fait, je ne le nierai pas, qu'il ne pût ni fuir ni écarter la mort. C'est un réseau sans issue, un vrai filet à poissons que je tends autour de lui, une robe au faste perfide. Et je frappe –deux  fois- et, sans un geste, en deux gémissements, il laisse aller ses membres, et, quand il est  à bas, je lui donne encore un troisième coup, offrande votive à Zeus, sauveur des morts qui règne sous la terre. Gisant, il crache alors son âme, et le sang  qu'il rejette avec violence sous le fer qui l’a percé m’ 'inonde de ses noires gouttes, aussi douces  pour mon cœur que la bonne rosée de Zeus… Je m’en fais  gloire. »
Le filet fait référence à celui qu'elle a jeté sur son mari au bain pour lui interdire tout mouvement. Sa culpabilité est entière et assumée. La tragédie est construite sur la montée de l'angoisse que tout concourt à annoncer. Le chœur se fait le porte-parole de la progression de l'anxiété. La mort d'Agamemnon résulte de la haine de  Clytemnestre mais résulte également de la conduite d'Agamemnon et de sa famille. En effet Artémis réclame le sacrifice d'Iphigénie à Agamemnon mais ce geste est coupable car Agamemnon hésite : « et, sous son front une fois ployé au joug du destin, un revirement se fait, impur, impie, sacrilège : il est prêt à tout oser, sa résolution désormais est prise. Car, à la source de tous les maux, la funeste démence aux desseins honteux est là pour souffler l’audace aux mortels. Il osa, lui, sacrifier son enfant – pour aider une armée à reprendre une femme, ouvrir la mer à des vaisseaux ! » ( vers 218 -227) le roi est donc fautif du sacrifice impie, de sa violence dans la guerre de Troie.



3 - Le thème de la liberté :
Le choix d'Agamemnon => Agamemnon a choisi de sacrifier sa fille pour obtenir le vent favorable et  mener à bien son expédition contre Troie. Mais face à l'oracle,  Agamemnon a le choix, il est face à la tentation. Le problème posé est celui du rapport entre la volonté divine et l'action humaine. Et Eschyle met en avant la liberté que les dieux laissent parfois aux hommes et dont ceux-ci font parfois mauvais usage. Il existe une tension entre les décisions irrévocables des dieux et la liberté humaine. Cette liberté permet aux hommes de retarder ou d'avancer le sort annoncé ( nous ne sommes pas chez Sophocle pour qui le sort d’Œdipe est déjà joué).  Eschyle est beaucoup plus proche d'Homère dont les héros obéissent à la fois aux décisions des dieux et tentent en même temps désespérément de prendre leurs propres décisions et d'affirmer leur liberté. Eschyle affirme la responsabilité humaine car dans l'Orestie la loi de Zeus n'est pas d’imposer des décisions arbitraires mais d'imposer aux hommes une loi qui leur enseigne peu à peu la sagesse.
4 - Le thème de la guerre :
Eschyle a  participé aux guerres médiques. Agamemnon revient de la guerre de Troie dans laquelle il a montré beaucoup de violence et d’orgueil. Dans la tragédie intitulée les  Perses écrite 8 ans avant l'Orestie, Eschyle exalte la valeur de la guerre quand il s'agit de défendre son pays mais il dénonce les horreurs, les souffrances, la violence. La tragédie d’ Agamemnon évoque indirectement les cruautés de la guerre par la voix de Cassandre. L'orgueil d'Agamemnon est souligné par la cause disproportionnée pour laquelle il a fait cette guerre : reprendre une femme partie de son plein gré «  pour une femme une ville  a péri » (824) «  bientôt, pour une femme qui fut à  plus d'un homme, des bras vont s'engourdir en des luttes sans trêve, les genoux toucher la poussière, des lances se briser dès l’entrée au combat, » (62 -67)
. Il ne s'agit donc pas d'une guerre défensive et légitime mais d’une guerre dé raisonnable. Et Eschyle blâme cette guerre sans pitié car la violence d'Agamemnon rejoint la violence qu’il 'a montrée  en sacrifiant sa fille.
5 - Le thème du passé
Le chœur  a pour mission d'évoquer le passé et notamment le départ à la guerre 10 ans auparavant. Cassandre raconte le meurtre des enfants de Thyeste. Les récits évoquent donc l'enchaînement du sang versé. Mais la malédiction qui s'exerce de génération en génération repose sur le désir de vengeance de celui qui en est l'auteur. Ainsi  Egisthe est l'un des enfants de Thyeste  que son père avait engendré en  s’unissant à sa propre fille. Clytemnestre se venge de la mort d'Iphigénie, Égisthe se venge de la mort des enfants de Thyeste, Oreste sera le vengeur de la mort d’Agamemnon. « Toujours, en revanche, la démesure ancienne, chez les méchants, fait naître une  mesure neuve, tôt ou tard, quand est venu le jour marqué pour une naissance nouvelle. » ( Vers 764). Cette démesure prend appui dans le mal qui anime les hommes soumis à une volonté mauvaise. Il est question du rôle d’Até, divinité bannie du séjour des dieux de l'Olympe et qui a pour mission de perdre les hommes : elle se pose à leur insu sur leur tête et les entraîne à mal agir.. Il s'agit donc dans cette  trilogie de libérer les hommes de cette emprise du mal lié à la fatalité divine. De meurtre en meurtre, Oreste accomplira le dernier meurtre pour lequel il sera jugé et acquitté selon un nouveau droit qui entre en vigueur à la fin des Euménides , sous l'égide d'Athéna. On pourrait parler d'une laïcisation de la justice.

















Séance 3 – Les Choéphores
                                                             

1 - Résumé des Choéphores

Le titre de cette seconde pièce de la trilogie fait référence aux porteuses de libations envoyées pat Clytemnestre sur le sépulcre d'Agamemnon pour apaiser l'esprit de la vengeance - motif sur lequel tout le drame est bâti: il s'est exprimé sous la forme d'un songe dans lequel l'épouse  meurtrière a vu un serpent lui dévorer le sein. Dans la pièce les Choéphores seront incarnées par le chœur d'étrangères, des captives de guerre troyennes; elles jouent un rôle particulièrement important dans cette pièce.
Agamemnon se terminait par cette menace: A moins qu'un dieu ne guide Oreste jusqu'à nous! Quand commencent les Choéphores , Oreste gravit le tertre du tombeau paternel: le vengeur est prêt à agir. Solennellement il invoque Hermès infernal et le mort au fond de sa tombe. Il a besoin de leur secours pour punir les meurtriers. L'obtiendra-t-il? La loi que formule le chœur dès son entrée en scène permet de l'espérer: une tache de sang ne s'efface jamais, et pour être différé, le châtiment d'un meurtre n'en est que plus terrible.
Le souvenir du mort tourmente aussi Clytemnestre; elle voudrait apaiser sa victime et prévenir la vengeance. Inquiète d'un songe menaçant, elle a chargé Electre de porter ses offrandes au tombeau d'Agamemnon. Celle-ci a obéi; elle est devant le tertre, mais ne peut se résoudre à déposer des dons ou à prononcer des mots qui, venant de la meutrière, ne pourraient être qu'une offense à la victime. Les captives du chœur lui conseillent un détour: qu'elle verse les libations envoyées par la reine, mais en les accompagnant d'une prière et d'une imprécation – une prière pour les amis du mort, une imprécation pour ses assassins – cependant qu'elles-mêmes, par des larmes et des chants de deuil, effaceront le caractère sacrilège des offrandes de Clytemnestre .
Le conseil est bon. A peine Electre l'a-t-elle suivi qu'un indice lui permet de prévoir l'approche du vengeur: sur la tombe est déposée une boucle de cheveux. Or il n'est qu'un être sur terre, qui avec Electre, doive cet hommage au mort, c'est le fils d'A°: Oreste est donc à Argos. La boucle d'ailleurs est de même teinte que les cheveux d'Electre ; la trace des pieds sur le sol a même dessin que les pieds d'E. Elle hésiterait pourtant à croire à ce qu'elle espère, si Oreste  ne paraissait en personne et ne lui offrait d'autres preuves: voici dans sa chevelure, la place où a été coupée la boucle offerte au tombeau; voici ajustée à son manteau, la broderie que tissa pour lui sa sœur.  Electre tombe dans ses bras; elle attend de lui qu'il agisse sans tarder. Il a pour lui le Droit et la Force de ses bras: qu'il s'assure l'aide de Zeus et la victoire est à lui.
Oreste élève donc d'abord sa prière vers Zeus: le dieu doit sauver la race royale qui lui offrit tant d'hécatombes. - Puis à voix plus basse, il expose à Electre et au chœur les raisons qui stimulent son ardeur. Le Dieu de Delphes lui a interdit d'entrer en composition avec les assassins: sang pour sang, c'est la loi d'Apollon. Sinon il périrait dans d'effroyables tourments. Et ces tourments, Oreste les connaît, d'autres oracles les ont déjà décrits. Celui qui se refuse au devoir de la vengeance contracte la même souillure que le meurtrier et, pour lui, l'expiation est la même: il est mis hors la loi et périt consumé  par un mal mystérieux. Les désirs d'Oreste concordent en outre avec l'ordre du Dieu. Il est donc prêt à la lutte. Il convient seulement d'en préparer tout d'abord le succès.
Pour cela il lui faut à la fois affermir la volonté du vengeur et réveiller l'âme du mort Oreste, au moment d'agir hésite et prend peur: il se sent faible et sans appui; bien qu'il évite d'en évoquer l'image, il recule sans doute devant le matricide. A ses craintes le Chœur oppose l'affirmation répétée de la loi du talion: le sang seul peut payer le sang. Le mort en outre aidera les vengeurs. Mais pour qu'il retrouve le pouvoir que lui ont ravi les prudents sortilèges d'Egisthe et de Clytemnestre, il doit d'abord recevoir les honneurs funèbres dont ses meurtriers l'ont frustré; il doit entendre son thrène chanté par ses enfants longuement. Et comme ceux-ci n'ont pas écouté un premier avis et qu'Oreste  s'égare encore en de vains gémissements, le chœur brusquement leur donne l'exemple et en se frappant la poitrine, en se déchirant les joues, il entonne la lamentation rituelle. Le frère et la sœur lui font alors écho. Leurs voix alternent pour déplorer le sort d'A° et pour invoquer son secours; elles s'unissent pour gémir sur le sort de la maison et la lutte sanglante qui seule peut la délivrer.
Les dieux infernaux sont ainsi satisfaits et A° chez les ombres a dû retrouver la force et les droits d'un mort pleuré selon les rites. Il reste à aiguillonner sa colère. Oreste et Electre montent sur le tombeau, frappent la terre des mains et avec une âpre insistance, rappellent au mort toute l'ignominie des traitements qu'on lui a fait subir. Il ne se survit que par ses enfants: à lui de les sauver, pour se sauver lui-même.
Le reste est l'affaire d'Oreste. L'action va marcher désormais avec une rapidité saisissante. Le songe de la reine est pour Oreste un motif de confiance: le serpent, qui suspendu au sein de Clytemnetre , lui suçait le sang, c'est son propre fils. Il réalisera le présage; et tandis qu'il va se préparer à la lutte, le chœur flétrit le crime entre tous abominable, le crime lemnien, celui de la femme qui tue son époux. - Déguisé en voyageur, Oreste frappe à la porte du palais. Clytemnestre accueille avec des pleurs hypocrites la nouvelle que son fils n'est plus. Comme le jour du retour d'Agamemnon, elle veut duper son hôte; mais c'est elle cette fois la dupe: elle introduit elle-même le vengeur dans sa maison, tandis que le chœur complice persuade à la nourrice de transmettre à Egisthe l'avis de venir seul, sans ses gardes, puis lance un appel pressant à toutes les divinités intéressées à la vengeance, Zeus, Apollon, Hermès, ainsi qu'à celles qui veillent sur les trésors du palais. Qu'Oreste ait le courage de fermer l'oreille aux cris d'une mère et aille jusqu'au bout de sa tâche sanglante.
Egisthe accourt, toujours important et sot et va à son tour donner dans le panneau. Un instant après un serviteur affolé vient annoncer sa mort, et Clytemnestre sort du gynécée pour se trouver en face de son fils. Farouche, elle veut combattre et réclame une arme. Mais toutes les grandes passions se touchent: à la vue du cadavre d'Egisthe, elle passe de la fureur à l'épouvante, de la menace à la supplication; elle tombe aux pieds de son fils, en lui montrant le sein qui l'a nourri  ; et Oreste hésiterait à frapper, si Pylade ne lui rappelait l'ordre formel d'Apollon. Le matricide s'achève, et le chœur chante la délivrance du palais.
Une fois de plus la porte des Atrides s'ouvre pour laisser voir deux cadavres. Comme Clytemnestre naguère, Oreste veut se glorifier et se justifier. Il a retrouvé le voile qui servit à entraver son père au sortir de la baignoire et il le déploie devant tous. Ce n'est pas là un geste emphatique et vain. Oreste prétend prouver que tel engin est l'arme d'un bandit, et d'après la loi, tout bandit, si son crime est flagrant, doit être exécuté sans jugement. Or les taches de sang dont le voile est couvert montrent assez que le crime est flagrant. En tuant Clytemnestre, Oreste n'a donc fait qu'un acte légitime. Mais il a beau crier son innocence : sa raison peu à peu se perd. Il s'efforce de lutter contre le délire; il dénonce Apollon comme l'instigateur du meurtre qu'il a commis et déclare qu'il va chercher refuge à Delphes; il invite les Argiens à témoigner en sa faveur au jour où Ménélas reviendra à Argos... Il ne peut achever: les Erinyes apparaissent à ses yeux égarés et il s'enfuit épouvanté. Le châtiment cette fois a suivi sans délai le crime. Qu'adviendra-t-il de celui qu'on croyait être le sauveur de sa maison?
In édition Paul Mazon, o.c., pp.75-79.

2 - Parallèle avec la pièce à Agamemnon

Agamemnon
Les Choéphores
Meurtre d'Agamemnon
le meurtre longuement préparé, attendu


meurtre redouté par le chœur, progression de l'angoisse


Meurtre illégitime
Meurtre de Clytemnestre et Égisthe
meurtre longuement préparé et attendu

Meurtre encouragé et attendu par le chœur qui conseille les deux enfants d'Agamemnon


meurtre légitime

2 - La progression vers la vengeance
L’union dans la haine vengeresse :
Oreste est désigné par Apollon pour rétablir l'ordre et venger son père. Le tombeau de son père occupe le centre de la scène, la mort d'Agamemnon est le centre de toute l'action car autour de ce tombeau sont réunis dans une même espérance de vengeance Oreste, Électre et le chœur. Clytemnestre a fait un songe  prémonitoire : un serpent né de ses entrailles lui mord le sein. Elle redoute la vengeance qui la menace. Elle tente d'apaiser les dieux par une libation dont elle charge Électre. Sur les conseils du chœur, Électre accompagne la libation d’une imprécation, elle  souhaite le retour de son frère. Elle déchiffre les signes qui lui annoncent ce retour : la boucle de cheveux et une trace de pas Il s'agit alors d'une scène de reconnaissance dont Euripide a souligné le caractère invraisemblable .mais  cette reconnaissance n’obéit pas à une logique rationnelle Le frère et la sœur s'unissent  dans un commun désir de vengeance contre Clytemnestre. Euripide expliquait la vengeance contre Clytemnestre par le mariage que lui avaient imposé celle ci avec un laboureur. Ici la vengeance sera celle du meurtre d'Agamemnon. Cette vengeance obéit à un ordre d'Apollon lui-même. C'est pourquoi la scène prend l’allure d'une incantation sacrée autour du tombeau. La progression dramatique souligne l'horreur du meurtre accompli par Clytemnestre et donc l'obligation de châtier ce crime : « elle l’a mutilé, si tu veux tout savoir, et, l'ensevelissant en pareil état, elle entendait ainsi ménager à ta vie un lot d’intolérable honte » (vers 439). La haine qui appelle la vengeance unit les personnages dans un accord parfait où se mêlent et s'enchaînent les trois voix : Oreste puis Electre puis le chœur. Le crime illégitime appelle le crime légitime.
La ruse
Oreste va employer la ruse en se faisant passer pour un messager qui apporte la nouvelle de la mort d'Oreste. Il pourra ainsi pénétrer dans le palais. La reine reste insensible à la nouvelle de la mort de son fils, par contraste, la douleur de la nourrice contribue à légitimer peu à peu le meurtre de Clytemnestre, la femme sans cœur et sans pitié. La nourrice approuve la vengeance.
Le meurtre
Après le meurtre d’Égisthe, la reine comprend et supplie Oreste de l'épargner. Il hésite et c'est l'évocation par son ami Pylade  de l'ordre donné par Apollon qui le décide au meurtre. L'enjeu de cette hésitation est majeur : elle souligne la conscience qu’a  Oreste de commettre un crime affreux. Ce sursaut de conscience et de sensibilité montre que Oreste se plie à l'ordre du Dieu plus qu’il ne répond pas à une  vengeance personnelle. Par convention théâtrale le meurtre ne peut se dérouler sur la scène. Au moment du meurtre on entend Oreste dire à Clytemnestre : « tu tuas ton époux, meurs sous le fer d’un fils » (vers 930). Et le chœur de répondre «  Elle est venue, la Justice ».
Le tourment
L’hésitation dont a fait preuve Oreste au moment du meurtre préfigure le tourment qui va l'habiter. Il a le sentiment d'être poursuivi par les Erinyes «  là, là ! Des femmes, vêtues de noir, enlacées de serpents sans nombre… Je ne puis plus rester »( vers 1048). Nous  sommes à 60vers  de la fin de la pièce qui  va donc se conclure sur un problème moral et religieux autour de la culpabilité qu'il faudra bien résoudre dans la dernière pièce.
La loi morale imposée par les dieux est une loi archaïque qui devra être dépassée : « c'est une loi que les sanglantes gouttes, une fois répandues  à terre, réclament  un sang nouveau. Le meurtre appelle les Erinyes, pour qu’au nom des premières victimes elles fassent  au malheur succéder le malheur » ( vers 400 -406). Oreste est menacé de souffrances atroces s’il ne venge pas son père mais il est aussi promis aux mêmes souffrances pour l’avoir vengé. La chaîne de culpabilité devra trouver une réponse qui réconcilie l'action divine et la  loi humaine afin de garantir l'avenir de la cité.



































Séance 4 – Les Euménides

1 - Résumé des Euménides

Les Erinyes qui apparaissent à Oreste à la fin de la pièce précédente ne sont pas que de vains fantômes qui traduisent la révolte de la conscience en face du matricide dicté par Apollon: dans les Euménides elles sont de véritables divinités en lutte contre le prophète de Delphes. Le drame va se jouer désormais entre les dieux. Mais comme il doit se terminer par un accord qui réconciliera les adversaires, Eschyle a voulu que la pièce commençât dans une atmosphère de sérénité et de paix. La première partie du prologue esquisse une histoire de sanctuaire delphique d'où toute violence est exclue. Apollon ne s'est point emparé par la force du trône prophétique, comme l'admet la tradition courante, il l'a reçu comme un don de Phoibé, ainsi que Phoibé l'avait reçu de Themis, et Themis de Gaia; nul conflit jamais n'a divisé les dieux qui s'y sont assis tour à tour. Nul conflit ne les a davantage séparés des autres dieux: Apollon au contraire est l'interprète de Zeus.
Mais si Apollon parle au nom de Zeus, si la doctrine de Delphes est celle de tous les Olympiens, ce sont tous les Olympiens qui sont responsables de l'acte d'Oreste, et la lutte est dès lors engagée entre eux et les déesses pour qui le matricide est le crime inexpiable, les Erinyes. Deux groupes vont désormais s'affronter.
Souillé du sang de sa mère, Oreste s'est assis en suppliant dans le temple d'Apollon: il demande à être purifié. Apollon fait couler sur ses mains le sang d'un jeune porc; sa souillure est ainsi lavée, il peu se mêler aux autres hommes. Le dieu l'invite toutefois à s'éloigner de la Grèce, à fuir à travers l'Europe et l'Asie. Il ne veut pas seulement qu'Oreste se dérobe aux Erinyes, il veut surtout qu'il achève de se purifier par un exil volontaire. Quand l'expiation sera complète, Oreste se dirigera vers Athènes; il embrassera la statue de Pallas, et Pallas saura trouver les juges, puis les mots apaisants qui le délivreront des Furies. En attendant Hermès guidera le suppliant Apollon. Les Dieux olympiens pratiquent la pitié comme la justice; il n'est point pour eux de crime qui ne puisse se pardonner; ils protègent qui les implore, et Zeus lui-même se plaît à être appelé le dieu des suppliants.
Mais si Oreste est purifié au regard des dieux, il n'est pas quitte du côté de sa victime. Quelle satisfaction a-t-il donné à sa mère? Pourquoi les Erinyes s'arrêteraient-elles donc dans leur poursuite? L'ombre de Clytemnestre vient le leur rappeler au milieu de leur sommeil: la victime aussi a un droit de recours; et Clytemnestre recourt naturellement aux déesses à qui les Olympiens ont, en vertu d'un antique traité, abandonné les parricides. A sa voix les Erinyes se réveillent et s'indignent bruyamment: Apollon leur a dérobé leur bien; il a violé le traité; il s'est souillé lui, le dieu pur, au contact d'un assassin. Mais Apollon paraît, qui s'indigne à son tour: que font-elles donc dans son sanctuaire, elles qui personnifient une justice sans pitié et qui se complaisent aux plus atroces supplices? Et la position des deux partis se marque nettement dans le débat qui suit. Apollon prend la responsabilité du matricide: tout crime doit être châtié, quel
que soit le criminel; il protègera jusqu'au bout Oreste, qui n'a fait que suivre son ordre. Pour les Erinyes au contraire, il n'est qu'un crime, celui qui est commis sur un être du même sang; elles n'ont pas poursuivi la femme qui tua son mari, mais rien ne les arrêtera dans la poursuite d'un fils qui a tué sa mère. Aucun des deux adversaires ne peut ici céder: les Erinyes obéissent au rôle que le destin leur a confié, Apollon est lié par la loi du talion qu'il a lui-même proclamée, ainsi que par le rite de la supplication.
Des mois se sont écoulés, le temps a fait son œuvre: Oreste a usé sa souillure au contact des hommes; il est assez pur maintenant pour implorer Pallas. Le voici à Athènes aux pieds de la déesse. Mais les Erinyes déjà l'ont rejoint; elles ont formé la chaîne autour de lui: il est cette fois leur prisonnier. Qui oserait le leur arracher? Comme elles le crient bien haut, en menant leur ronde sauvage autour du malheureux, leur rôle est de décharger les Olympiens du soin de punir les criminels dont le contact souillerait leur pureté; le Destin leur a attribué ce lot, et les dieux  qui ont confirmé le partage ne peuvent se déjuger. Aucun secours divin ne saurait donc sauver le parricide.
L'entrée d'Athéna forme un contraste voulu avec celle d'Apollon dans la scène précédente. Athéna ne crie ni ne menace. Elle retient même les mots désobligeants que pourrait lui inspirer l'aspect des Erinyes. Son attitude calme et courtoise décide les intraitables déesses à accepter son arbitrage. Elle se refuse toutefois, après avoir entendu les parties, à rendre une sentence. Elle ne se croit pas en droit de se prononcer sur un meurtre dicté par un courroux vengeur. Elle ne veut en outre ni frapper son suppliant, en condamnant Oreste ,ni en l'absolvant attirer sur sa ville la colère des Erinyes. Dès lors elle remettra le soin de décider à un tribunal humain, qui prêtera serment et jugera selon l'équité. Elle s'éloigne donc pour recruter des juges parmi les Athéniens; et pendant ce temps, le chœur exhale sa colère inquiète: si sa cause est perdue, c'est le bouleversement de toutes les lois anciennes, aucune crainte ne retenant plus les hommes, la violence va partout se déchaîner.
Les débats sont sur le point de s'ouvrir, quand soudain paraît Apollon. Il déclare venir à la fois en témoin et en défenseur. Oreste avoue le meurtre; mais le meurtre était justifié et c'est Apollon qui le prouvera. La preuve cependant se réduit à une affirmation: le meurtre a été juste parce qu'il a été voulu par Zeus. Cette justification doit suffire; Apollon n'en pas d'autre à donner, rien ne saurait prévaloir sur la volonté de Zeus. Il ne s'agit donc point ici de présenter des arguments de droit; mais  bien plutôt de proclamer un droit nouveau en face du droit ancien;  et Apollon s'en tiendrait là , si les sarcasmes du chœur ne provoquaient son irritation et ne l'amenaient à révéler sur quel sentiment se fonde ce droit nouveau. Ce sentiment, c'est une révolte contre l'affirmation qu'il n'existe pas de lien plus fort que celui du sang: celui du mariage n'est-il pas tout au moins aussi fort?C'est là l'idée essentielle du drame.

Eschlyle pourtant ne l'a pas développée ici sans doute parce qu'il l'avait déjà exprimée avec assez de force par la bouche du même Apollon en face des mêmes Erinyes. Il a préféré donner à la scène moins l'allure d'une discussion logique que celle d'une dispute passionnée entre des adversaires qui ne peuvent se comprendre. C'est ainsi qu'Apollon utilise une théorie physiologique à la mode pour contester l'importance du lien qui unit la mère à l'enfant, et qu'il finit par adresser un appel direct à l'intérêt des juges, en promettant à leur pays l'alliance éternelle d'Argos, si Oreste est acquitté. Rien  ne ressemble moins à un débat juridique que le plaidoyer d'Apollon. On dirait qu'Eschyle a affaibli à dessein la thèse que défend le dieu: s'il lui avait donné trop de force logique, le sentence indécise du tribunal eût paru moins vraisemblable, tandis qu'elle est la seule naturelle en présence de deux adversaires dont les arguments ne se répondent pas. Les débats sont clos. Avant que l'on passe au vote, Athéna consacre pour l'éternité le tribunal qui va le premier connaître du sang versé. Puis l'on va aux voix. Athéna vote après les autres juges, et vote ouvertement en faveur d'Oreste. Ici encore, point d'argument de droit, mais une simple raison de sentiment: la déesse n'a point eu de mère, elle est donc pour A°.On dépouille les votes; le nombre des voix est le même des deux côtés; en vertu de la règle proclamée d'avance par Athéna, Oreste est acquitté; il reprend,joyeux, le chemin d'Argos, en jurant au nom de tous ses descendants, une reconnaissance fidèle au peuple d'Athènes, qui lui a rendu sa patrie.
Les Erinyes sont convaincues, on leur a enlevé leur proie, on les a dépouillées  de leurs privilèges; on a violé le pacte antique. Leur colère éclate contre le peuple à qui elles doivent cette humiliation. Elles déchaîneront sur lui une de ces plaies divines qui répandent sur un pays la stérilité et la mort. Pourtant à la voix toujours calme d'Athéna, leur obstination irritée finit peu à peu par céder; un nouveau pacte se conclut: en échange des privilèges qui leur ont été ravis, elles en obtiendront d'autres; fixées désormais à Athènes, elles y recevront un éternel tribut d'honneur; Athéna elle-même le leur garantit: elle cesserait de protéger son peuple, si celui-ci manquait à la promesse donnée aux Eriny
Les déesses avides d'hommages renoncent donc à leur colère. Elles ne seront plus de féroces justicières, mais des dispensatrices de prospérité pour les Athéniens; elles feront croître leurs moissons, leurs troupeaux et leurs enfants. Dès maintenant elles répandent sur eux des souhaits qui dans leur bouche sont des prophéties: le sol attique leur révèlera un trésor, et surtout la paix civile règnera parmi eux, seul remède à tous les maux. Pallas leur assure la sécurité, les Erinyes leur donneront l'abondance.
Un cortège s'organise pour conduire à leur nouvelle demeure les déesses qui seront désormais les bienfaitrices du pays. Athéna le conduit elle-même. Il se déroule à la clarté des torches dans un silence recueilli, coupé seulement par des chants pieux et des clameurs rituelles. La paix est faite entre les Erinyes et le peuple d'Athènes et c'est ainsi que s'achève l'accord de la Parque avec Zeus dont l'œil voit tout. L'ordre ancien et l'ordre nouveau, les Erinyes et les Olympiens sont réconciliés grâce à l'instrument de justice créé pour jamais par l'Ėtat athénien.
In L'Orestie, édition Paul Mazon, Belles  Lettres, 1928, pp.125 à  131.



le décor : il n'existe pas de décor dans le théâtre antique. Les Euménides se déroule dans 2 endroits : le temple d'Apollon à Delphes et la ville d'Athènes

Les personnages sont constitués par les divinités qui sont engagées directement dans l'action notamment Apollon, Athéna, et les Erinyes.
Apollon a ordonné le meurtre de Clytemnestre et il n'a cessé de protéger Oreste. En revanche les Erinyes poursuivent Oreste pour le punir de ce meurtre. Ces divinités s'affrontent jusqu'à la fin de la tragédie. D'un côté des êtres monstrueux que sont les Erinyes, les divinités archaïques et terrifiantes de l'autre des  divinités de l'Olympe Apollon et Athéna rayonnantes et lumineuses. Apollon apparaît au vers 179 et Athéna au vers 397 en réponse à l'appel d'Oreste : « j'ai est de loin entendu l'appel d'une voix ». La pièce se construit donc sur l'affrontement entre les divinités :
le conflit à Delphes
l'arrivée à Athènes et la préparation du procès
le procès lui-même
la persuasion des Erinyes pas Athéna
2 _ à Delphes
L’aspect des Erinyes était terrifiant,  leurs gestes menaçants. Pour accentuer l'effroi qu'elles suscitent, Eschyle fait précéder leur entrée par le personnage de la Pythie elle-même terrifiée avoir vu des Erinyes. Elle les décrit comme des monstres. Cette description ne peut que susciter la terreur chez les spectateurs. Les Erinyes s'annoncent par des grondements, des gémissements que leur arrache le sommeil. C'est le fantôme de Clytemnestre qui les réveille et les rappelle à la vengeance. On note donc la progression de l'entrée en scène de ces personnages terrifiants, dans leurs rêves on entend les mots : « attrape, attrape, attrape, attrape ! » (Traduction de labé en grec qui signifie ici la hâte  de saisir la proie,  de vaincre et de détruire. À leur réveil elle réclame leur proie. Cette entrée en scène du chœur des Erinyes est tout à fait originale : l'entrée du chœur est souvent réglée de façon solennelle (parodos). Surgit Apollon qui veut chasser les Erinyes : « dehors !je l'ordonne ; vite, hors de chez moi ! » Se met en place un dialogue de vers à vers où s'affrontent les deux thèses. Deux  formes de culpabilité s’opposent, deux  sortes de meurtres : le meurtre légitime et le meurtre coupable.
3 - de la rage à la justice
Oreste arrive le premier à Athènes poursuivi par les Erinyes, il implore Athéna. La rage des Erinyes s'exprime à travers un chant magique à partir du vers 307 : « allons, nouons la chaîne dansante : nous voulons clamer notre chant  d'horreur »... « Pour notre victoire, voici le chant délire, vertige où se perd la raison, voici  l’hymne des Erinyes, enchaîneur d’âmes, chant sans lyre, qui sèche les mortels de l'effroi. » (Vers 328)
À cet instant paraît Athéna qui répond à l'appel d'Oreste. Elle surgit en pleine majesté. Le contraste est saisissant avec la passion des Erinyes. Elle interroge le chœur puis Oreste. Elle demande aux Erinyes de s'expliquer. Après les avoir écoutées, elle suggère la formation d'un tribunal pour lequel elle va réunir les meilleurs mortels et qu'elle présidera elle-même selon les formes que réclame la justice. Les deux parties acceptent. La poursuite, la haine et l'insulte vont se transformer en débat judiciaire dans la ville de la démocratie athénienne.
4 - La forme du procès ( Agon)
Le procès selon Athéna doit  obéir à des formes régulières, selon les usages qui règnent alors à  Athènes. Athéna est courtoise, patiente avec les deux parties et chacun doit recevoir sa place légitime en toute clarté et droiture. Puis il y  a convocation des juges qui doivent prêter serment, les témoins sont appelés « aux indices auxiliaires assermentés du droit » Athéna ouvre  solennellement le procès : « héraut, c'est en Office, fais ton office en contenant la foule. Et que, jusqu'au ciel, la trompette persistante d’Étrurie fasse aux oreilles du peuple éclater sa voix aiguë. » (Vers 566). Les débats commencent, le vote solennel, « puis-je inviter maintenant ces juges à porter dans l'urne, suivant leur conscience, un suffrage équitable ? Avez-vous tout dit  ? ». Si les suffrages humains sont égaux, sa voix à elle  sera décisive.
Le fonctionnement de la justice humaine sous la protection des dieux, doit remplacer le temps d'une justice archaïque dominée par les querelles et les vengeances sanglantes. La justice  ainsi définie  par Athéna reste un modèle pour tous les temps.
5 - Les arguments
Argument 1 des Erinyes :
Le châtiment doit inspirer l'effroi de façon à prévenir le crime. « Qui donc, hommes ou cités, s'il n'est rien sous le ciel dont la crainte habite en son âme, garderait le respect qu'il doit à la justice ? »
Concession d'Athéna :
« Sur ce mont, dirige, désormais le respect et la crainte, sa soeur, jour et nuit également, retiendront les citoyens loin du crime. Ni anarchie ni despotisme, c'est la règle qu’à ma ville je conseille d'observer avec respect. Que toute crainte surtout ne soit pas chassée par elle  hors de ses murailles ; s'il n'a rien à redouter, quel mortel fait  ce qu'il doit ? » (Vers 690)
Argument d'Athéna
La crainte du châtiment ne doit pas être inspirée par des divinités obscures et cruelles, divinités qui appartiennent au passé, mais relève de la  responsabilité humaine du tribunal qui est ainsi institué à jamais et qui conservera pour toujours autorité sur la cité. Ce déplacement du pouvoir est capital on peut parler d'une forme de laïcisation de la justice. Le transfert de l'autorité de ces vieilles divinités obscures aux  lumineuses divinités liées à Zeus et confiée  à la responsabilité d'un tribunal humain s'inscrit dans le principe même de la démocratie athénienne.
Arguments des Erinyes
Le coryphée accuse Oreste d'avoir versé le sang de sa mère tandis que Clytemnestre a assassiné son époux qui n'est pas du même sang. Le crime est donc d'autant plus coupable qu'un lien de sang unit le meurtrier et sa victime. (Vers 602 à 608). Athéna répandra : « mon coeur toujours - jusqu'à l’hymen, du moins- est tout acquis à l'homme... » ( Vers 735et suivants.). La place des femmes dans la société athénienne faisait encore l'objet de nombreuses discussions.
Le verdict verra triompher un nouveau droit.
6 - Après le procès
Athéna et les Erinyes restent  seules  sur le théâtre. Oreste et Apollon se sont retirés. C'est le dernier affrontement entre la sereine  Athéna et le chœur des Erinyes déchaînées par la rage de se voir vaincues. Il s'agit d'une scène de persuasion :
À quatre reprises les Erinyes chantent leur fureur tandis qu’Athéna leur répond des parties parlées. : « Mon venin, mon venin cruellement me vengera. Chaque groupe de qui on coulera de mon cœur coûtera cher à cette ville : une lèpre en sortira, mortelles à la feuille, mortelles à l'enfant, qui, s'abattant sur votre sol – vengeance ! Vengeance ! - infligera à ce pays plus d'une plaie  meurtrière. » (Vers 807 à 818). À cette colère Athéna répond pas les paroles de douceur : « écoutez-moi et épargnez-vous les lourds sanglots, vous n'êtes pas des vaincues. »... « Vous n'êtes pas humiliées ». De tirade en tirade elle multiplie les promesses : elle invite les Erinyes à venir habiter Athènes où elles seront honorées. Mais Athéna demande en échange que jamais la discorde ne gronde parmi les citoyens, et c'est à cette condition que les Erinyes vont s'installer à Athènes pour devenir les Euménides et prier pour le salut des citoyens respectueux de la loi.
La victoire d'Athéna est fondée sur la qualité de sa persuasion : « je bénis la persuasion, dont les regards guidaient mes lèvres et ma langue en face de leur farouche refus. »... « Le dieu de la parole, Zeus, l'a emporté. » Agoraios est en effet un des noms de Zeus..
C'est un moment de joie et d'espoir et tout s'achève dans un cortège et un échange de bénédictions. La malédiction des Atrides s'est éteinte. La stratégie argumentative d'Athéna a consisté à adopter le point de vue des Erinyes (respect et crainte, concorde des citoyens, punition des méchants) mais cet ordre et cette entente entre les citoyens sont placés  sous la responsabilité de la justice humaine. On est donc passé d'un monde religieux et archaïque à un monde encore religieux certes  mais éclairé par la lumière des dieux  olympiens. La légende rejoint la réalité par la création de l’Aréopage

7 - L’aréopage.
La trilogie suit de deux ans la réforme de ce même aréopage ancrant cette pièce dans la réalité et l'actualité d'Athènes. La création de  l’aréopage date du 461. Il s'agit d'un conseil siégeant sur la colline Arès. Ses membres n'étaient ni élus ni tirés au sort : ce conseil était en effet constitué des hommes ayant exercé les plus hautes charges à Athènes, ce n'était donc pas une institution particulièrement démocratique. Les pouvoirs de ce conseil étaient très importants et  dépassaient le cadre purement judiciaire ; c'est pourquoi Ephialtès successeur de Périclès, a limité les attributions de ce conseil à un tribunal des affaires de sang et non plus directement aux affaires politiques. Le sens moderne à d’Aréopage désigne une assemblée de gens particulièrement dignes de considération.
« Écoutez maintenant ce que ici j'établis, citoyen d'Athènes, appelés les  premiers  à connaître du sang versé. Jusque dans l'avenir le peuple d’Egée conservera toujours renouvelé  ce conseil de juges. Sur ce mont d’ Arès , où les Amazones jadis  s'établirent  et plantèrent leur tente, au jour où elles firent, … Sur ce mont, dis-je, désormais le respect et la crainte, sa soeur, jour et nuit également, retiendront les citoyens loin du crime, à moins qu'il n'aillent  eux-mêmes encore bouleverser  leur loi : qui trouble une source claire d'afflux impurs et de fange n'y trouvera plus à boire »…. »...  «  Incorruptible, vulnérable, inflexible, tel est le conseil qu’ici j'institue, pour garder, toujours en éveil, la cité endormie. Voilà les avis que j'ai voulus en termes express donner à mes citoyens pour les jours à venir. ». Ce conseil est donc la garantie d'un bon ordre et de la prospérité d'Athènes, l'indulgence ne sera pas systématique puisque ce sont les Erinyes transformées  en Euménides qui seront les gardiennes d'Athènes : « que toute crainte surtout ne soit pas chassée par 'elle hors  de ces murailles ; s'il n'a rien à redouter, quel mortel fait ce qu'il doit ? » (vers 698). Et dans l'accord qui va lier les Erinyes et Athéna il y a la formule : « ni anarchie ni despotisme » (vers 695). Ceci constitue un idéal de juste équilibre pour la nouvelle démocratie.































Séance 5  : la loi du  talion contre une justice délibérative
Les Choéphores


Lecture des Choéphores

Reinhardt invite à saisir la pièce dans une triple mouvement correspondant à trois lieux: le tombeau où est chanté le thrène par Oreste et Electre que soutiennent le chœur et le coryphée , le palais où l'acte est commis avec la scène centrale de l'affrontement d'Oreste et de sa mère, puis  l'exodos sur l'eccyclème: Ekklukléma: sorte de plate-forme sur roues venant se placer devant la skéné sur laquelle se déroulent les événements censés prendre place à l'intérieur de bâtiment ( palais, temple) devant lequel l'action a lieu. Oreste devant les deux cadavres des tyrans  permet de peser le prix du matricide et pose la nécessité de le purifier  et de le juger. Chacun des  trois moments est encadré par une intervention du chœur.
La pièce s'ouvre par une prière adressée à Hermès dans laquelle Oreste l'implore: Accorde-moi le prix de meurtre de mon père. Clytemnestre dans un registre clairement religieux est qualifiée de femme impie, la prière d'Oreste évoque le rêve prémonitoire qui tourmente sa mère. Le chœur lui introduit une méditation sur la justice :
La justice vigilante atteint les uns promptement en leur midi; à d'autres c'est l'heure tardive de l'ombre qui réserve de plus tardives souffrances; à d'autres enfin la nuit-même n'apporte pas de sanction.
D'emblée on peut noter le motif de la lumière et des ténèbres , constant dans ce théâtre qui va opposer les divinités d'en haut et d'en bas, de l'Olympe et des demeures souterraines.
La justice est incompréhensible et inattendue, d'une part elle finit toujours par se manifester, même avec retard, d'autre part elle peut aussi tolérer le crime impuni. C'est une forme de doxa qui est ainsi formulée, elle revient à souligner la difficulté pour les hommes à la définir et la reconnaître. Cette idée sera relayée dans le dialogue d'Electre avec le coryphée: 120 Est-ce un juge ou un justicier que tu veux dire? Coryphée: Aux ennemis tu peux prier de rendre mal pour mal. La loi du talion et l'idée d'une justice accomplie par la vengeance est ainsi annoncée.
Soulignons le parallèle évident dans la construction dramatique de l'imploration d'Oreste et Electre, chacune empreinte de piété; les divinités Gé et Diké sont invoquées,  puissances souterraines de la terre et la justice L'impiété de Clytemnestre est mentionnée de façon insistante: elle manque à la loi religieuse. On y oppose les rites funéraires  très significatifs parce que constituant des lois fondées sur la coutume. Chant, don, libations; or Electre chargée d'accomplir un rite en hommage à Agamemnon de la part de sa mère apeurée, se montre par contraste soucieuse d'y obéir dans les règles: dès ce moment l'idée  est exprimée que la vengeance s'inscrit dans un devoir de pitié filiale, réhabilite le mort profané , revient à l'accomplissement d'un devoir religieux et réalise la volonté des dieux. Oreste , après la scène de reconnaissance qui présente de nombreuses réminiscences avec le retour d'Ulysse à Ithaque dans l'Odyssée : il évoque son exil et ajoute la notion de reprise de possession du foyer profané au sens religieux car souillé par l'adultère et le crime et usurpé au sens politique. Le mythe ici est pleinement significatif de la rivalité qui est en cause.
V.243-4 je vais retrouver le respect pourvu qu'à la force et au droit Zeus très puissant lui troisième daigne s'unir pour m'assister.
Oreste souligne aussi la nécessité de la vengeance: 274-275 si je ne traitais les meurtriers tout comme ils ont traité mon père, rendant meurtre pour meurtre. Enfin il se pose en tant que celui qui accomplit un acte auquel il lui est impossible de se dérober, commandé par les dieux 297 A des tels oracles, peut-on désobéir. Au fond la loi du talion n'appelle aucune délibération, elle s'impose à lui comme l'accomplissement de son destin. Aux vers 306 à 314 le coryphée va pour le public résumer la loi du talion:

Déesse du destin, qu'au nom de Zeus cela s'achève selon la voie où s'engage le droit, le mot de haine qu'il soit payé d'un mot de haine. Voilà ce que proclame la justice qui exige ce qu'on lui doit. Qu'un coup mortel acquitte un coup mortel. Souffre selon ton acte, trois fois vieille est la sentence qui l'affirme.

Dans cette première partie très développée de la pièce Eschyle s'ingénie à développer une parole performative en l'absence presque totale d'action – le discours fait le lien entre deux crimes celui d'Agamemnon passé et celui de Clytemnestre et Egisthe qui en découle logiquement. Tout le drame se joue dans les exhortations, les injonctions aux dieux pour préparer une vengeance qui rétablira le droit.
Le deuil par ailleurs qui revêt une dimension sacrée est une condition requise de la vengeance , car elle va constituer une juste douleur : le chœur 323 et sq. Mon fils les crocs puissants des flammes ne domptent pas l'esprit du mort: sa colère un jour se révèle que la victime soit pleurée et son vengeur se manifeste. Le père qui t'a engendré, ta juste plainte peut l'atteindre si ton trouble est assez large et profond.
D'où l'importance du thrène, chant de lamentation funèbre, il montre que le drame se joue entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres p.25, GF antistrophe  1 d'Electre.
Par ailleurs ses enfants déplorent qu'une mort glorieuse ait été refusée à leur père – la mort au combat est en effet une des conditions de l'héroïsme après une naissance illustre et des exploits , la mort d'Agamemnon est infamante  - il fut victime d'un traîtrise dégradante et cette honte doit être aussi rachetée comme une injustice supplémentaire , sa mort dément en quelque sorte son statut de vainqueur de Troie et de chef militaire des Grecs. De surcroît le pouvoir est tombé
entre des mains souillées de sang – argument intéressant dont on trouvera un écho dans le délire visionnaire d'Oreste dans l'exodos – et le coryphée appelle de ses vœux la nécessité de leur mort par une hypotypose saisissante au vers 269 où leurs cadavres dégoulinant de graisse brûlent dans un brasier. Dès lors strophes et antistrophes qui concluent cette première partie du drame deviennent incantatoires: elles évoquent les mutilations atroces que Clytemnestre fait subir au cadavre de son mari , le profanant après l'avoir assassiné. Cette gradation dans l'horreur renforce la légitimité de l'acte contre nature qu'Oreste s'apprête à commettre, attisant l'esprit de vengeance par l'indignation.
v.497-9 Envoie donc la justice combattre à nos côtés ou laisse-nous les prendre aux mêmes prises si toi qui fus vaincu tu veux vaincre à ton tour.
Dans toute la pièce on relève aussi comme dans ce passage le motif de la génération et de la survie , exprimé par diverses métaphores végétales , tuer les tyrans c'est aussi permettre à Oreste et Electre de continuer à vivre et assurer la pérennité légitime du règne des Atrides sur le trône d'Argos.: n'arrache pas le dernier germe des Pélopides. La vengeance est la condition de leur salut, elle devient par conséquent positive. Elle revient aussi à tenter l'épreuve divine. C'est alors que le coryphée raconte à Oreste le songe prémonitoire déjà connu du public. Ce récit renforce la présence de la croyance puisque la venue et le geste vindicatif d'Oreste est prédit par les divinités, s'exprimant par le truchement du rêve. Oreste y reconnaît immédiatement son dessein: le lait de sein maternel est subverti et c'est du sang caillé qui est extrait par le serpent du corps morbide de Clytemnestre criminelle, mère contre nature, impie et souillée. La mort d'Agamemnon et celle à venir de sa femme est  de la sorte inscrite dans le mythe. Après l'atroce festin de Thyeste, les second et troisième meurtres accomplissent la malédiction des Atrides. Dans un mouvement d'élargissement lyrique le chœur va alors rappeler un triple mythe de l'inversion : Althaea qui tue son fils Méléagre, Sylla la fille qui tue son père et enfin les captives de Lemnos tuées avec leurs enfants; ces mythes peuvent être reliés thématiquement à une vengeance contre nature qui sanctionne un acte impie, contraire à la vie et assure sous forme de variations lyrique une cohérence à une méditation sur la dimension cosmique de la justice, rétablir la justice en punissant le crime de sang par le sang, en lavant la sang par le sang, c'est obéir à un ordre qui dépasse les mortels, qui se joue en dehors de leurs existence contingente; le sens profond de la vengeance échappe en partie à celui qui n'en est que le bras. Ainsi le poids de son acte écrasera Oreste et il ne pourra le supporter seul , sans l'aide des dieux. L'ordre de monde – celui de la diké -  n'est pas en phase avec l'ordre terrestre et les lois humaines – nomos - qui commandent de ne pas tuer ceux de son sang, et de surcroît pour Oreste celle à laquelle il doit la vie. La dernière strophe comporte les termes de Justice, droit, loi, exprime la force redoutable d'une justice vengeresse. Elle prépare et annonce le meurtre.
v.640 et sq. p.39: Mais le glaive perce droit jusqu'aux poumons et ses blessures sont aiguës quand la justice frappe, quand le droit s'est vu fouler aux pieds, quand le suprême respect de Zeus a été outragé malgré sa loi.
Oui le tronc de la justice reste ferme, le destin a forgé sa lame.

Deuxième épisode:

Il est marqué par un changement de décor , a lieu  devant et dans le palais. Clytemnestre,  à propos d'Oreste dont la mort présumée lui est annoncée, déclare, cachant sa joie et son soulagement et affectant le chagrin :lui qui si prudemment tenait son pied loin du bourbier sanglant. L'intervention de la nourrice  - qui rappelle celle de l'Odyssée, reconnaissant Ulysse , à la différence de Clytemnestre , sa propre mère – permet de souligner la duplicité de Clytemnestre et assume un rôle essentiel  en secondant le coryphée dans la ruse. Le chœur appelle alors de ses vœux la fin de la malédiction aux vers 805-9:Le sang du meurtre ancien effacez-le dans la fraîcheur de la justice: que le vieux crime n'enfante plus dans la maison. L'acte qu'Oreste s'apprête à commettre , s'il est secondé par les dieux et représente une justice légitime, doit mettre fin selon une volonté supérieure  au bourbier sanglant évoqué par Clytemnestre. Il s'agit donc de trouver un terme à la malédiction, c'est un moment exceptionnel du mythe qui va se jouer sous nos yeux. Le coryphée abonde dans ce sens en soulignant le sens du crime d'Oreste sur la personne d'Egisthe : délivrance de la tyrannie cad d'un recours excessif à la loi, forme de perversion de le justice et purification de la maison.
Le coryphée: v. 874-5 leur lutte a rendu son verdict
Le serviteur: je crois bien que la justice va l'abattre sous ses coups(...) les morts tuent les vivants. Nous avons tué par la ruse et la ruse va nous tuer.
D'une part il convient d'informer le public de la mort d'Egisthe, d'autre part d'y voir l'accomplissement d'une justice des vivants comme des morts, autrement dit l'expression d'une volonté des dieux. En outre la vengeance permet la réparation de la trahison.
Le dialogue qui oppose Clytemnestre et Oreste constitue le cœur du drame, met en évidence la mort sensationnelle de celle-ci et en retrait celle d'Egisthe, traité de femme qui dirige le palais. Les propos d'Oreste sont particulièrement violents :Suis-moi, je veux t'égorger sur son corps. Oreste déclare à sa mère qu'elle s'est tuée elle-même par son crime. On peut s'interroger sur le sens exact du mot destin qu'ils invoquent l'un et l'autre pour justifier la vengeance aux vers 910-11:O: Tu veux vivre avec moi après avoir tué mon père?
           Cly :C'est le destin mon fils qu'il faut en accuser.
           O: C'est aussi le destin qui t'a préparé cette mort.

La vengeance demeure une preuve de la malédiction et elle est qualifiée de double infortune, maintenant que le malheureux Oreste  a mis le comble à tant de flots de sang. Le geste d'Oreste est inévitable , mais il est aussi le dernier qui met fin à la malédiction parce qu'il est juste. Le débat fait clairement ressortir que Clytemnestre a commis un meurtre interdit , qui d'une certaine manière ne lui était pas ordonné, alors que celui d'Oreste commandé par les dieux
est licite. Le chœur va commenter en ces termes l'action au v.936 La justice au lourd châtiment. Justice, ainsi la nomment les mortels d'un nom qui lui convient. C'est-à-dire en grec Diké la fille de Zeus. Le choeur interprète ce qui s'est produit et en livre le sens au public. Il assume le rôle de Juge de la représentation. Le théâtre mime un simulacre de justice, il rend la justice, ici au combat contre le mal et approuve et donc juge Oreste, blâme et condamne les tyrans .v.956-60 l'oracle de Loxias Parnassien (..) attaque un mal invétéré(...) voici qu'au lieu de servir les criminels nous rendons au pouvoir du ciel le respect qui lui revient.
 En présence des deux cadavres Oreste exhibe le voile qui a été l'instrument du crime, comme une pièce à conviction , taché du sag d'A° il est la preuve la la lâcheté criminelle de Clytemnestre. v.887-9 :afin qu'au jour de la justice il témoigne pour moi que j'étais dans mon droit en recherchant la mort d'une mère – la mort d'Egisthe.
Dans ce passage qui relève du monologue délibératif Oreste s'adresse au voile teint du sang de son père, se livre à une sorte d'examen de conscience. Il commence à souffrir, à ressentir les effets de son geste, à en prendre la mesure et à en payer les conséquences:Pleurant sur l'acte et sur ma peine et sur toute ma race, car ma victoire m'a souillé, et qui me l'enviera? Ce vers 1007-8 pourrait faire écho à celui qui ouvre la pièce :accorde-moi le prix du meurtre de mon père v.18. Puis avant de prendre la fuite en proie à des visions terrifiantes qui troublent son esprit, à l'instar de Clytemnestre  tourmentée par le songe prémonitoire précédemment. v.1027-8 oui, j'ai tué ma mère, non sans justice, la souillure qui tua mon père, haïe des dieux.
Hanté par des  visions Oreste est aussi frappé  d'impureté, il veut donc rejoindre Loxias, Apollon aux oracles obliques pour se purifier et gagner sa protection. Le coryphée résume la triple malédiction qui frappe la maison des Atrides et donc la dernière vient de s'accomplir et il bénit Oreste, refermant le cadre sacré de la pièce qui a débute par une prière.

                                                                              
                                                                          


Tout d'abord on peut lire la pièce comme la répétition inversée de la précédente: elle obéit en effet à un principe contraire à celui qui domine Agamemnon; le meurtre – aussi inacceptable et contre nature soit-il est au service de la rédemption pour Argos comme pour les enfants d'Agamemnon dont le sort est lié aux malheurs de la cité; au service de la justice ,  ce meurtre n'est pas contraire aux intérêts de la cité sur la plan politique – avènement de la terreur et de la tyrannie avec Egisthe qui gouverne les mains pleines de sang – il représente la volonté des dieux qui ont exigé d'Oreste plus qu'il ne peut accomplir – un acte de démesure – tuer sa propre mère dont il corrige par là l'hybris, alors qu'elle poursuit dans sa vengeance un dessein fondé au départ mais qui devient criminel par l'adultère, la profanation et l'usurpation du pouvoir.
Toute l'économie de la pièce assez surprenante  du fait de la part réduite de l'action  fondée sur la préparation de ce meurtre dont le sens ressort de façon éclatante dans le dialogue d'Oreste et de Clytemnestre; Oreste ne la tue pas , il ne fait qu'entériner sa faute, elle se donne la mort elle-même en outrepassant les bornes d'une juste vengeance . Le Kommos ou mélodrame démesuré  permet d'accumuler les arguments susceptibles de convaincre le public de la légitimité de la vengeance. Le geste monstrueux d'Oreste n'est que justice au regard des ignominies commises: adultère, mort infamante du héros, profanation, exil d'Oreste et rejet d'Electre, loi impitoyable sous laquelle gémit Argos qui salue la mort  des tyrans avec soulagement et assiste Oreste dans sa ruse. Les Choéphores dans lesquelles il est aisé de suivre le fil conducteur d'une réflexion sur une justice vindicative, terrifiante et implacable forme un long acte d'accusation du couple tyrannique et prépare la défense d'Oreste qui lui-même quitte la scène en se proclamant dans son droit et meurtri en même temps par ce qu'il a dû accomplir. C'est ainsi que le chœur accompagne et soutient Electre et Oreste et assure en quelque sorte leur défense: la valeur éponyme de cette seconde tragédie est significative, écoutez la voix fervente et passionnée du chœur, c'est aussi celle de la justice. Le théâtre se fait ici figuration de la justice, il rend la justice, représente de façon saisissante sa mise en œuvre. Dans une œuvre qui traite de la loi du talion, le jeu assume le rôle d'une délibération qui par accumulation de pièces à convictions et de preuves construit l'accusation et la défense : un crime inique et scandaleux , le manquement à tous les devoirs les plus sacrés ne doit pas être confondu avec un juste retour à l'équilibre politico-juridique, à la légitimité du pouvoir. Il n'en reste pas moins que cette justice est brutale, accablante dans sa simplicité, son caractère élémentaire: Tu tuas un époux , meurs sous le fer d'un fils  ce à quoi le chœur répond : elle est venue la justice.
Cette justice par ailleurs n'est pas de ce monde, l'omniprésence du religieux dans Les Choéphores , une tragédie qui est dominée par la voix des porteuses de libations, ces captives qui célèbrent la gloire du chef des Grecs: supplication, invocation, exhortation révèlent la véritable nature du texte: dialogue interrompu avec la divinité dont le secours est réclamé pour assumer la démesure de matricide, mais qui est aussi la source même du drama: Oreste est un envoyé d'Apollon et des Olympiens pour rétablir son droit à Argos et laver la souillure de la mort honteuse de son père. La loi
qui s'exprime dans la vengeance est étrangère aux mortels, elle est d'ordre sacré et archaïque, trouve ses mobiles dans le récit des descendants de Pélops et Atrée. La croyance tient aussi une large part dans le drama, éclaire le sens des hommages rituels rendus au mort qui réveillent sa colère et imposent sa vengeance pour lui donner toutefois un sens rédempteur, le courroux du mort abat le tyran et ramène l'ordre dans la cité. Justice des dieux, justice rendue à ses pères, Oreste perpétue une vengeance qui relève autant de la malédiction – le bourbier sanglant dans lequel il n'avait encore mis le pied – et que de rédemption. Quel espoir de félicité pour la cité peut représenter un souverain légitime souillé par son crime et donc exilé d'Argos et éloigné du trône? Les Choéphores doivent être lues à deux niveaux: celui de la vengeance efficace et rendue acceptable par le rappel des vicissitudes  passées et dictée par les dieux, mais aussi celui
d'une loi inspirée des dieux et vraiment incompatible avec la morale sociale. Le sens de la justice échappe encore aux hommes : est-ce un juge ou un justicier que tu veux dire?
La justice divine est implacable et quand elle frappe les hommes,  peu y échappent , rien ne peut enrayer sa force; elle les dépasse de toutes les façons v.61 à 70: Oreste est accablé par ce qui lui a été demandé de commettre, cette justice exprime des desseins qui demeurent impénétrables aux hommes, ce que résume bien l'impossibilité de traverser la vie sans connaître de souffrance v.1017-19, notre propre misère nous demeure aussi incompréhensible que le poids du malheur qui s'abat sur Oreste s'il ne venge son père et du surcroît de  malheur qui lui advient quand il l'a fait en tuant sa mère. La justice a-t-elle un sens? 950-51  Et si tel est le cas son sens nous échappe à nous mortels dont une des revendications les plus élémentaires est précisément celui de ce qui est juste et injuste et nous paraît tel tout du moins. De ce point de vue on saisit peut-être le sens de l'antithèse récurrente entre les puissances du ciel et des ténèbres: l'évidence éclatante de ce qui est juste voisine avec le sens obscur et profond de cette notion.  Eschyle pose toutes ces questions, la plus fondamentale demeurant celle de l'équation entre la vengeance et la justice: les variations sémantiques sur  le sens du mot vengeance dans le texte montrent la profondeur et la difficulté du débat.






























Séance 6  :la  justice délibérative contre  la loi du  talion :  Les Euménides



Lecture des Euménides

Dans cette pièce le chœur qui représente les Erinyes est devenu hostile à Oreste et réclame justice au nom de Clytemnestre, on sait qu'il se transforme par l'entremise et sur les prières d'Athéna en divinités bienveillantes après l'acquittement d'Oreste. La distribution est plus réduite – en vertu aussi du nombre d'acteurs réduit à trois – la scène a lieu à Delphes dans le temple d'Apollon puis Athènes, d'abord auprès du temple d'Athéna dont Oreste va embrasser la statue en l'implorant, ensuite sur la colline de l'aréopage où sera rendu le jugement après le vote de l'assemblée convoquée et instituée par la déesse protectrice de cette cité. Les lieux sacrés dominent donc l'action et les dieux massivement invoqués et suppliés dans la pièce précédente sont omniprésents pour rendre la justice dans un cas qui dépasse la norme. Nous pouvons à ce propos relever toute une topographie et géographie mythique et sacrée qui complète cette atmosphère exceptionnelle. La Pythie qui a situé l'action exprime son épouvante à la vue de la troupe des Erinyes endormies devant le temple, épouvante qu'elle veut faire partager au public; elle évoque aussi Oreste accablé, suppliant reconnaissable à un double attribut: un rameau d'olivier, symbole de la paix et le glaive ensanglanté du matricide. Le tableau des Erinyes suscite l'effroi; C'est alors qu'Apollon prend la parole de façon décisive, revendiquant sa responsabilité dans le crime qu'il a commandé et dont Oreste a été l'exécuteur v.84 C'est moi qui t'ai poussé à tuer ta mère ce à quoi Oreste réplique:Ô toi qui sais éviter l'injustice  v.85. Apollon s'adresse aux divinités de l'ombre. Apollon invoque Hermès et Zeus faisant écho aux prières d'Oreste au début des Choéphores. Paraît alors le fantôme de Clytemnestre, référence possible à l'Odyssée avec la descente dans le royaume des morts avec lesquels Ulysse s'entretient. Le fantôme représente le tourment d'Oreste, le public voit les plaies qu'Oreste lui a infligées. Ici débute nettement un affrontement entre les divinités souterraines et celles du ciel :v.150 Fils de Zeus, tu n'es qu'un voleur jeune et piétinant de vieilles déesses. Eschyle reprend également ici l'idée de réveiller la colère des dieux et des morts pour être vengé. C'est alors que survient la vision terrifiante du réveil des Erinyes soutenue par des images de chasse et de poursuite: la fuite dOreste, qualifié de suppliant impie constitue un écho des Choéphores , pièce dans laquelle c'est l'impiété de Clytemnestre qui était stigmatisée; v.151 Tu nous as dérobé un matricide, toi , un dieu, qui prétendra qu'il y ait là quelque justice. Le chœur referme le prologue en réclamant justice à la page 68 et évoquant la souillure d'Oreste qui ne peut que rejaillir sur un trône que d'autres fléaux frapperont.
Débute alors le premier épisode: Apollon chasse et maudit les Erinyes comme puissances du mal, le coryphée rappelle à Apollon sa responsabilité :tu es entièrement coupable v.200 . S'ouvre alors le débat sur la question du sang, Oreste n'est pas du sang de sa mère, mais de son père; or les dieux de l'Olympe vénèrent autant les liens du mariage que ceux du sang, ils sont aussi sacrés. Apollon invoque alors l'autorité d'Athéna et réitère son soutien à Oreste. L'affrontement des divinités se poursuit et déplace le drama du niveau de la justice des hommes à celle des dieux: l'ordre de l'univers et de la nature interfère avec l'ordre humain, de la famille et de la cité. Ce déplacement montre l'importance et la difficulté du débat et prépare une réflexion sur le caractère à la fois général et particulier de la justice.
Le deuxième épisode a lieu à Athènes sur l'Acropole dans le temple d'Athéna. Oreste invoque sa purification par l'exil et la fuite et attend un jugement: v.243 en attendant que s'accomplisse la justice. Le coryphée le qualifie de dénonciateur et ajoute non sans férocité l'odeur de sang humain me rit p.72. Oreste enlace la statue d'Athéna selon les indications que fournit le chœur, il l'accable de ses sarcasmes et le menace du plus sanglant des supplices. Les rites de purification par le sang d'un jeune pourceau auxquels Oreste s'est soumis, sont évoqués. Aux imprécations du chœur, Oreste répond par la sagesse:v.276 : je sais quand il est juste de parler ou de se taire. Oreste évoque une alliance d'Athénes avec Argos, référence à l'actualité d'une nouvelle alliance contemporaine des deux cités, il souligne les vertus pacificatrices de son éventuel acquittement qui revêt dès ce début de la pièce une dimension politique; ici encore Eschyle convoque une abondante toponymie mythique pour confirmer la toute puissance d'Athéna. Les menaces du coryphée vont suivre selon une alternance de deux registres opposés: d'une part un appel à l'apaisement et à la confiance est lancé, d'autre part l'expression d'une vengeance punitive et répressive  est poursuivie; les deux voix partagent le mode commun de l'injonction; comme dans la plus grande partie des Choéphores, la parole se veut performative, chacun appelant de ses vœux la réalisation de ses desseins. Le coryphée disculpe malgré lui Apollon: v.312 à notre avis notre justice est droite, celui qui tendra des mains pures, notre courroux ne l'approchera pas (...) nous paraissons pour qu'il s'acquitte pleinement du sang versé.v320.
L'intervention du chœur va alors appeler  la démence et la folie, remémorant la faute d'Oreste :v.336 Un mortel versant
son propre sang; il est promis à des tourments éternels, qualité en quelque sorte attendue de la figure d'Oreste. Soulignons le lyrisme macabre et ténébreux de ce passage. Les Erynies se disent maîtresses des moyens et de la fin, nous conservons la mémoire des crimes. strophe 4, v.382-3. Elles habitent loin du soleil v.387 dans un bourbier loin du soleil.  Elles sont la justice de l'ombre, une justice à craindre autant qu'à vénérer, La dernière antistrophe évoque même une justice de la terreur pp.77-78 Est-il un mortel que ne frappe la crainte autant que la vénération. Cette idée sera reprise, mais largement tempérée à la fin de la pièce par Athéna.

Le troisième épisode est marqué par l'entrée d'Athéna, sciemment et habilement retardée, de nouveau la géographie mythique permet de célébrer sa grandeur. Elle attaque la partie adverse: v.412-3 injurier autrui en l'absence de tout grief, le droit et la justice s'y opposent. Suit un interrogatoire en règle du coryphée par contrainte ou craignant un puissant courroux ?.v426  vise à disculper Oreste qui n'a été que le bras d'Apollon. Au passage la convention juridique du serment est aussi rappelée. Elle attaque aussi le coryphée: v.430 tu veux passer pour juste plutôt que de l'être,lui reprochant par l'argument de l'obligation de prêter serment, à laquelle s'est soustrait Oreste, de faire preuve de légalisme procédurier. S'ensuit un véritable débat sur une justice méthodique, délibérative qui passe par l'examen systématique des causes – à la différence d'une justice vindicative fondée sur l'usage et qui conduit à se faire justice soi-même. Le coryphée souligne la sagesse d'Athéna: fais ton enquête. La justice est désormais une émanation de la raison et non la satisfaction des passions. L'accusé est interrogé avec bienveillance. Oreste affirme sa pureté, lavé de sa faute, il met en avant le devoir religieux et s'en remet aux dieux. Dans l'échange avec la déesse apparaît la possibilité de circonstances atténuantes, du pardon. Le récit d'Oreste qui est aussi un aveu repose sur le principe de la filiation , il rappelle la mort ignoble qui fut celle du vainqueur de Troie, et souligne que son acte fut commandé par Apollon:v.468 Mon acte fut-il juste ou non? A toi de trancher. Il faut souligner l'humilité d'Oreste. Pour la déesse le cas est trop grave pour qu'un mortel puisse en juger v.470 , elle-même s'en remet à une autorité multiple, extraordinaire. Elle doit aussi tenir compte des griefs des Furies , il faut vider la querelle. La déesse va donc convoquer une assemblée de sages Les meilleurs de mes citoyens afin qu'ils rendent leur verdict du fond d'une pensée sincère v.488 Le chœur souligne qu'un changement décisif s'est produit :v.490 C'est aujourd'hui qu'un nouveau droit renverse tout . En même temps il souligne l'immoralité que constituerait un acquittement. C'est alors qu'Eschyle avec habileté introduit une réflexion sur la justice archaïque, celles des pères et des mères, reposant sur l'usage plus que la raison et surtout sur la crainte. Toute cette réflexion compare les deux justices, passée et celle qui sous nos yeux est en train d'advenir. La clef de la pièce se trouve peut-être dans le raccourci au v.526-7 Ni anarchie, ni despotisme. L'aspiration à une justice modérée , étrangère à la démesure et facteur d'ordre social. Un rapprochement s'impose avec Pascal aux vers 529-30 :le dieu en toutes choses a concédé la force à la mesure qui toujours veille sur tout. Le chœur recourt à de visibles allégories en déplorant l'excès, fils de l'impiété: l'hybris de Clytemnestre a rendu Oreste violent, puis les devoirs fondamentaux sont rappelés : le respect des anciens, l'hospitalité et la mesure. Rappelons qu'ils sont sacrés dans la civilisation grecque. La justice est source de prospérité, c'est donc une vertu politique: v.550 Qui consent sans contrainte à être juste connaîtra la prospérité. Dans la double strophe qui clôture l'intervention du chœur avant le quatrième épisode se trouvent des allusions probables à la démesure punie des deux frères, Agamemnon et Ménélas, écho de la première partie d'Agamemnon où les torts de celui-ci dans la guerre sont rappelés.

C'est en un nouveau et troisième lieu , l'aréopage d'Athènes, que va se dérouler le jugement d'Oreste au moyen d'un vote. Athéna proclame tout d'abord de nouvelles lois pour rendre la justice ; la portée politique de la pièce est ici manifeste: v.572-3 : quelles lois j'établis à jamais afin que ce procès soit tranché selon la justice. Intervient alors le témoignage d'Apollon, élément d'une justice moderne, il est d'autant plus frappant que c'est un dieu qui le prononce. v.579 Moi qui suis responsable de meurtre de sa mère. Apparaît aussi la notion de débat pour saisir les origines de l'affaire. Ce débat renvoie les plaignants et l'accusé dos à dos, puisque c'est une criminelle que défendaient les Erinyes et qu'en même temps Oreste doit payer pour son crime, le v.610 résume toute la question: Si mon crime était juste. L'argument du sang versé rappelle justement que les prérogatives de l'aréopage à la suite de la réforme récente et contemporaine à Eschyle sont de statuer sur les crimes de sang. Apollon dit avoir accompli la volonté de Zeus, elle échappe donc au jugement des hommes et même à celui qui l'a accomplie. Il rappelle encore une fois la lâcheté du crime de Clytemnestre à l'endroit d'un héros et de son époux. Apollon présente une véritable défense construite avec des arguments qui se situent à plusieurs niveaux, la transcendance, l'honneur. Certes l'argument de la filiation dominante avec le père et non la mère paraît assez spécieux; il ne faut pas le nier, la cause d'Oreste est peu défendable, il a tué celle à qui il doit la vie.
Athéna fait alors appel à la conscience des jurés et annonce qu'elle a instauré le tribunal de l'aréopage. Elle reprend des arguments avancés par le chœur, donnant de la justice une définition positive, justice préventive dans laquelle la loi est un rempart contre l'injustice. Le vote a lieu et est ainsi commenté par Apollon: v.751 un seul vote relève une maison, soulignant le caractère décisif et aussi salutaire du pouvoir de l'assemblée. Les voix sont à égalité, Athéna exprimant son suffrage la dernière, cela conduit à l'acquittement d'Oreste sans triomphe. Son geste est contre nature et juste en même temps : v.752 cet homme a échappé à la justice de sang. L 'acquittement permet de régénérer les Atrides et de rétablir un pouvoir légitime à Argos, mettant un terme à la malédiction perpétuée par d'anciennes lois, d'anciennes divinités. Dans  une longue tirade Oreste laisse éclater sa joie par une action de grâce qui confirme sa nature pieuse et non impie, il précise ses desseins pacifiques envers Athènes. Son acquittement est donc montré de façon appuyée comme un bienfait  pour la cité, une bonne justice assure la prospérité.
Le chœur déplore ensuite l'acquittement : Jeunes dieux , les lois anciennes, vous les avez piétinées v.779. Mais l'égalité des voix rend justice aux deux parties et la peine d'Oreste réside dans sa souffrance. v.799 Oreste ne devait pas subir la
peine de son acte. Athéna va tempérer la rancœur des Erinyes, des divinités de l'imprécation et de la vengeance destructrice, elle fait des puissances de fertilité et de fécondité, en même temps que sont célébrées la prospérité et la puissance d'Athènes. Le texte confine au chant patriotique et le chœur intervient sous la forme d'un refrain dans une litanie de déploration. Athéna va opérer une véritable inversion de la puissance des Erinyes: v.895 Nulle maison ne pourra prospérer sans toi. Soulignons le lyrisme positif et optimiste de cet épilogue de la trilogie qui devient hymne à la vie pacifique de la cité permise par une loi juste. Les dieux olympiens sont qualifiés de divinités dispensatrices d'équité v.963, les dieux président à une justice dont les lois des hommes sont l'émanation; les institutions de la justice sont donc le fruit de la sagesse et d'un pouvoir supérieur. Seule une vue large peut inspirer une loi particulière, la loi si elle est contraire à la volonté divine, à l'intérêt général, à la raison, n'est plus juste. Au v.992 apparaît l'écho inversé du sang pour le sang, du crime contre le crime bienveillance pour bienveillance. Marquant l'avènement d'un nouvel ordre que va célébrer le cortège illuminé d'Athéna et des Euménides qui constitue l'exodos.

                                                                 

Dans cette pièce Oreste est le seul mortel à prendre la parole – mortel protégé des dieux de l'Olympe et outil de leur volonté, il est proche des divinités d'une certaine façon et en phase avec les dieux de l'olympe  – le dernier volet de la trilogie apparaît comme un débat entre les puissances supérieures, dieux du ciel et de la lumière, dieux de la vie  affrontant les divinités ténébreuses de la mort, de la vengeance, de la destruction qui sont aussi les anciennes divinités. Cette confrontation prend donc tout son sens dans la proclamation d'un ordre nouveau marqué par l'avènement d'une justice raisonnable, délibérative, instituée et non assenée, une justice modérée et bienveillante, collective et orchestrée par une assemblée de sages. Reinhardt souligne la dimension théologique de la pièce : ce sont les dieux qui vont proposer aux hommes une nouvelle forme de justice, en établir les institutions et en vanter les mérites politiques: paix à Athènes, rétablissement d'un ordre juste à Argos Nous pourrions ainsi opposer la fureur d'Oreste déchaîné par l'indignité de sa mère et assassin dans la scène majeure des Choéphores, à Oreste se présentant à Athéna et expliquant les mobiles de son geste scandaleux, mais nécessaire et justifié. De l'habile confrontation de ces deux justices vindicative, furieuse et sanguinaire d'une part,  d'autre part prudente, réfléchie, délibérative et consultative, qui pondère et tempère tout en examinant les mobiles du crime, il ressort en premier lieu une leçon de vertu politique. Nous verrons que les ambigüités et le sens implicite du texte invitent à une réflexion plus nuancée. L'Orestie peut livrer un premier message simple sur la justice: nécessaire à l'ordre social et propice à l'épanouissement de la cité si elle est dictée par la raison et la modération.

 Le deuxième niveau de lecture de l'Orestie se situe dans l'histoire politique et juridique du droit athénien: la pièce évoque les usages juridiques et les institutions anciennes ou récentes qui ont cours à Athènes, les Euménides serait donc aussi une représentation du fonctionnement de la justice à Athènes. L'usage demeure dans le recours à la crainte, au respect qui incitent à obéir à la loi et sont garants de l'ordre. Plus complexe est la notion  de serment, de reconnaissance de la faute ou du litige, interrogatoire, témoignage, confrontation des points de vue, vote et verdict sont des formes sophistiquées d'une justice écrite, instituées, moderne qui peut prendre en compte les subtilités des faits et ne pas se limiter à une sanction sommaire qui s'en tiendrait à l'évidence souvent trompeuse du délit.
Cette nouvelle justice met en lumière la complexité de ce qui est juste et de de ce qui ne l'est pas: le geste d'Oreste est emblématique à ce sujet il rétablit la justice, répare un tort, se fait justice et fait la justice, et commet en même temps le plus horrible et inacceptable des crimes. Justicier il va à l'encontre de la plus élémentaire des justices: le respect de la vie. Cette justice n'est donc pas réparatrice mais dévastatrice , elle aggrave l'injustice. En revanche la justice non punitive d'Athéna – puisque la seule peine subie par Oreste est l'exil, la persécution, le tourment – rétablit l'ordre ébranlé par la transgression majeure de matricide, geste contre nature par excellence. Ce pourrait être le troisième niveau de lecture de la pièce. Demeurent les ambigüités qui accompagnent le jugement et l'acquittement , les fautes  ne sont pas prises équitablement en compte qu'il s'agisse d'ailleurs d'Agamemnon, de Clytemnestre et le verdict rendu pour Oreste peut aussi être compris comme une anomalie majeure et un scandale. L'Orestie n'est donc nullement simple dans le traitement de la question de la justice et les Euménides qui paraissent proposer une solution posent en fait de nombreuses questions soumises à notre sagacité et qui demeurent en suspens.



Séance  7 -  Interprétation de la justice dans l’Orestie

Karl Reinhardt propose ainsi une triple interprétation de la pièce: historico-religieuse, historico-juridique et éthico-politique.

1 - Les dieux et les hommes

Le caractère sacré de ce théâtre est déterminant pour la conception de la justice qu'il propose. Son sujet est tiré de textes qui constituent une croyance pour le public, le mythe des Atrides, ici abordé dans son épisode final et particulier présente d'une part des héros en phase avec la divinité, d'autre part va inspirer à Eschyle un drame dans la dernière partie duquel ce sont les dieux qui dominent l'action, paraissent sur la scène et mènent un débat qui affrontent anciennes et nouvelles divinités. La question de la justice n'est pas à la portée des hommes; Oreste succombe sous le poids écrasant d'un destin  qui lui impose des devoirs inconciliables: la fidélité à son père est incompatible avec la piété qu'il doit à sa mère et sa culpabilité subie constitue l'essence même de la tragédie. La justice divine qu'Apollon veut accomplir par son bras le dépasse, de la même façon nul homme ne sera capable de juger une telle cause; elle dépasse l'entendement des mortels; Reinhardt et Romilly soulignent que le cas est si ardu que la déesse de la sagesse, celle qui née du front de Zeus tient sa sagesse de lui arbitre le débat mais s'en remet aux sages de la cité pour juger ce qui échappe précisément à la possibilité du jugement. Au fond le cas d'Oreste peut être débattu,  mais à son sujet il est impossible de se prononcer de façon acceptable.
Il serait tentant de reprendre l'adage classique du christianisme : les desseins de Dieu sont impénétrables, l'homme doit suspendre son jugement , il n'est pas en mesure d'exercer une justice éclairée sur certaines causes dont le sens lui échappe. L'énormité du geste d'Oreste , transgression suprême, ne peut être mesurée par des lois particulières et humaines: comment justifier une justice qui s'opère hors de notre portée.  Pylade dans les Choéphores, éclaire sans doute la question qui se pose en dehors d'une logique humaine et terrestre: v.900 Mieux vaut avoir contre soi tous les hommes que tous les dieux.
On relève également qu'Apollon et Athéna s'en remettent à Zeus; en réalité Oreste ne peut être condamné car il ne peut être jugé. Les suffrages de l'aréopage ne permettent pas de le condamner, ce qui veut dire que sa faute est égale à son innocence, le matricide remédie au parricide avec une forme d'équité irrecevable. C'est toute la profondeur de la réflexion sur la justice qui montre la vanité de la loi du talion; aucune équivalence réparatrice ne peut être trouvée au sang versé par terre et bu, la violence ne se résout pas par elle-même. v.799 Oreste ne devait pas subir la peine de son acte. D'une certaine façon la justice se heurte ici à l'injustifiable, à ce qu'aucune justice ne peut  expliquer et encore moins sanctionner. Il n'existe pas de peine qui réponde au geste d'Oreste : les imprécations infinies des Erinyes le prouvent, mais surtout sa cause ne relève d'aucune justice. Nulle instance judiciaire n'est habilitée à connaître le problème moral posé par le cas d'Oreste. Son acquittement lui vient du fait que ce tribunal d'hommes jugeant un homme n'est point d'institution humaine et pragmatique mais divine. ( in Karl Reinhardt, «  Eschyle, Euripide », 1949, Gallimard 1972.)

 2 - Les ambigüités de la justice dans l'Orestie

Une des curiosités de l'Orestie réside dans ses incohérences ou dans ce que le texte exprime explicitement sans le résoudre: en effet comment juger les excès des Grecs à Troie? Ils sont certes conformes au caractère du héros grec tel Achille provoquant un carnage lors de la mort de Patrocle; comment apprécier le sacrifice d'Iphigénie consenti par Agamemnon pour servir ses ambitions de chef de la flotte achéenne? Clytemnestre tombant sous le fer d'Oreste : v.919 dis tout mais dis aussi les fautes de ton père . Dans son ignominie Clytemnestre énonce aussi la vérité. Ce qui se joue sous les yeux du public est d'une part une cause qui échappe au jugement commun, au jugement tout court, mais aussi un drama qui comporte sa part d'injustice dont les incohérences nombreuses.
Revenant sur le détail de la défense d'Oreste , Karl Reinhardt en montre la fragilité voire le peu de consistance: Apollon en effet invoque des éléments qui sont sans rapport avec le chef d'accusation : d'une part Oreste n'a pas agi de son propre  chef, mais accompli un devoir qui lui est imposé par les dieux, ce à quoi il ajoute les circonstances ignobles et indignes d'un héros dans lesquelles Clytemnestre a piégé et achevé son propre mari. Dans les Choéphores ces circonstances sont rappelées, rappelant l'ignominie des traîtres comme pour attiser la fureur d'Oreste. Acculé à commettre le plus horrible de crimes, Oreste a en quelque sorte besoin d'alimenter le feu de sa passion meurtrière. Obéissance au dieu et soumission au destin d'une part, honneur du fils de héros: il est évident que l'acquittement d'Oreste est irrecevable et scandaleux.
De la même façon Athena prend soin de voter la dernière, décidant l'égalité de voix; c'est au moyen d'une ruse qu'Oreste échappe à une condamnation, l'égalité de voix  souligne l'impossibilité de la justice et non pas son triomphe. Enfin à l'indignation des Erinyes pleurant les mères et pères que l'on pourra tuer en toute impunité , Athéna répond par une sagesse qui veut tempérer, apaiser les passions, mieux vaut la clémence et le pardon qu'une peine brutale qui favorise le cycle de la violence. Athéna masquera la ruse et les insuffisances de la justice rendue par le verdict et l'acquittement en glorifiant la paix et la prospérité garanties par une justice de la raison et de la sagesse: la vérité générale de son propos généreux et rassurant ne suffit pas à faire taire l'indignation des Erinyes, insatisfaites de la réponse apportée qui élude une solution juridique que nul ne saurait trouver.  Il est vrai que dans le procès les incohérences sont aussi manifestes pour une partie que pour l'autre, la question du lien du sang par la mère ou le père est aussi discutable défendue par les Erinyes que par Apollon et Athéna; là encore celle qui n'a pas de mère et qu'enfanta son père, la déesse, fait appel à un subterfuge plus qu'à la raison, à la ruse plus qu'à la sagesse. La justice ne se laisse pas si aisément saisir, elle est problématique dans son application et ici en l'occurrence représente tout sauf une démarche rationnelle et rigoureuse. Si les dieux pas plus que les hommes ne peuvent rendre la justice pour Oreste, au moins ont-ils évité l'injustice:? v.85 Euménides – Tu sais éviter l'injustice.
Mais Eschyle le souligne lui-même au vers 950 des Choéphores  que la justice , fille de Zeus, peut changer de nom, c'est-à-dire ne pas avoir le même sens pour tous les hommes : Justice, fille de Zeus, Diké, ainsi la nomment les hommes d'un nom qui lui convient. Dans ce passage des Choéphores c'est précisément une justice brutale et sanguinaire de la vengeance qui aboutit à un meurtre épouvantable. La fluctuation sémantique du mot justice se retrouve avec le terme du justifier: que veut dire justifier un crime, en trouver et apprécier les causes ou l'approuver?
 En définitive alors que de prime abord L'orestie paraît proposer l'avènement d'un ordre nouveau généré par une justice crainte, vénérée, instituée par la déesse de la raison, il est aussi possible de voir qu'à une justice archaïque élémentaire Eschyle oppose bien une justice positive, modérée et délibérative reposant sur des structures démocratiques , justice méthodique et rendue par une élite de sages. Toutefois le jugement d'Oreste n'en est pas un, c'est un simulacre de jugement qui par la ruse et l'incohérence aboutit à l'acquittement d'un coupable innocent; à défaut de justice on a empêché l'injustice: est-ce le sens de la bienveillance célébrée dans l'exodos? En ce sens le reproche adressé au coryphée par Athéna: tu veux passer pour juste plutôt que de l'être v.430 est également soumis à notre sagacité: trop d'apparence de justice, de précaution et prétention au légalisme masque bien souvent la violence et le crime légalisé, commis en se réclamant d'une justice pervertie. C'est une idée très présente chez Platon et Aristote et dont l'écho se trouve chez Pascal : la justice sert l'intérêt des puissants, elle est une forme de violence dans le roman de Steinbeck contre ceux qui n'ont plus aucun droit.

Karl Reinhardt réfléchissant sur la représentation théologique de la justice, soulignant ses failles et ses incohérences, ses
ambigüités redoutables, aboutit à cette interprétation dialectique de l'Orestie: la trilogie d'Eschyle envisage un rapport nouveau de l'homme à son dieu: l'homme est pour Athéna rendu à lui-même, il voit de ses propres yeux, juge avec son propre esprit. Il n'a plus comme Oreste le droit de suivre en aveugle le décret divin, il lui faut d'abord délibérer de façon autonome. C'est la déesse qui le met dans cette situation de liberté et de risque, mais si la responsabilité ordinaire du divin ne décharge en rien l'homme de son mal radical, rendre la justice est quand même de la compétence de l'homme, la légitimité de la sentence étant garantie par la participation de la divinité.
Reinhardt souligne aussi qu'une fois l'expiation accomplie par la purification rituelle, Apollon devient avocat en quelque sorte et s'incline de bon gré devant une sentence étrangère , humaine. Athéna, déesse sans mère, est esprit de son père et comble le vide d'Apollon. Reinhardt y voit une négativité intrinsèque du divin, qui laisse l'homme muet et désemparé, mais lui promet le salut. Le destin d'Oreste révèle que les dieux peuvent se montrer inhumains et aussi soulager l'homme de son fardeau et le bénir.

Bilan: les formes de la justice dans L'Orestie

Au-delà de l'unité thématique manifeste dans la trilogie qui part de la nécessité d'une juste vengeance pour l'opposer à la notion de juste peine , L'Orestie reprend des idées très communes sur la justice à l'époque de la démocratie athénienne: elle se substitue à une justice personnelle archaïque , elle devient une justice délibérative et consultative, non fondée sur l'usage mais sur l'examen systématique de la cause.
 Cette justice peut devenir paradoxale, puisque auteur du crime le plus grave, Oreste, bénéficie de la bienveillance des dieux et ne paie pas pour le sang qu'il a versé. Au-delà d'une antithèse  dont le sens est évident: il faut dépasser la vengeance inopérante et non réparatrice – la loi du talion est archaïque et rudimentaire, la vengeance ne peut qu'engendrer un cycle infernal de crimes – le texte délivre un message d'une grande complexité sur la justice.
Certes une justice raisonnée, institutionnalisée, peut être garante d'un ordre politique dont résultera la paix et la prospérité. Elle est un progrès salutaire. La crainte et le respect peuvent contribuer à son établissement et son maintien.
Toutefois elle offre dans ce cas plus d'apparence que de vérité, elle n'aura pas permis de trancher et seule l'intervention d'Athéna résout le conflit.
Les Euménides  représente le déroulement d'un procès de l'interrogatoire des parties, à la création du jury, du vote au verdict: la pièce met en œuvre un exemple de fonctionnement de la justice; en apparence elle est bienfaisante, elle rétablit une forme de justice ; en réalité elle est factice et tronquée: Oreste échappe à la peine judiciaire qu'il encourait pour le meurtre de sa mère grâce à l'habileté et la complicité des dieux. Cette représentation exemplaire est donc hautement discutable. La justice peut aussi être factice, fondée sur la crainte elle va être souvent établie par la force et non par ce qui est juste: le règne du droit naturel par une justice positive est donc improbable.
Que souligne l'omniprésence des dieux? Sans doute comme ce sera le cas chez Pascal: pour le bon fonctionnement de la cité la croyance – même illusoire et imposée par la mystification – en une justice idéale, émanation des dieux qui la justifient et l'imposent  -au risque de se heurter à l'indignation, l'incompréhension ou l'incrédulité des hommes- cette croyance est indispensable. Autrement dit que nous apprend la justice? Que l'ordre prévaut par la force et le mensonge s'il le faut sur le juste, et que le fonctionnement de la justice n'est qu'une représentation – ici dans les Euménides mystificatrice orchestrée par Athéna. Il est aisé de transposer et de voir une justice au service du politique, arme des puissants pour se maintenir au pouvoir et servir non la justice, une justice véritable, mais un simulacre de justice qui revient à une vaste imposture. Mathieu Meyrignac attire d'emblée l'attention sur le fait que les Euménides représente des juges et un  jugement , lesquels vont être jugés par d'autres juges, ceux qui doivent décider du lauréat du concours théâtral. La justice  fictive – montrée comme un simulacre dans le théâtre, lui-même avatar d'une justice ludique, c'est ainsi que la pièce peut être lue.
L'Orestie d'Eschyle transmet en vérité un message double: d'une part la justice est source de progrès pour la cité, fait partie du fonctionnement de la démocratie, c'est une conquête de la civilisation qui l'emporte sur les dangers de lois traditionnelles et fondées sur l'usage, elle protège la cité; mais  la justice positive n'est pas à l'abri de la perversion et du détournement. Autrement dit chacun appelle de se vœux l'avènement d'une justice bienveillante et modérée, émanation de la volonté des dieux, mais peut craindre qu'à tout moment de son histoire elle ne s'en détourne. Une justice idéale préside à l'instauration de toute organisation politique, le  juste,  aspiration la plus élémentaire de l'humanité va dominer la vie sociale et familiale et conditionner son cours heureux ou malheureux: la vengeance légitime est injuste dans sa démesure, seule la loi peut remédier à la violence la remplaçant par la mansuétude. Il est bon de célébrer donc cette justice divine, supérieure, idéale sans nier  l'irréparable: le sang versé et que la terre a bu.

Conclusion:
Dans Raconter la loi François Ost propose une interprétation de L'Orestie d'Eschyle qui repose pour lui sur la parole dont la justice manifeste le pouvoir: ce pouvoir se manifeste à travers la parole persuasive d'Athéna qui opère un changement de causalité: à la différence du talion où chaque crime lave le précédent, Oreste ne doit pas être tué comme il a tué. Ost propose aussi une lecture polyphonique de la pièce qui montre le lien entre ses différents niveaux de sens:
Une voix s'élève tout d'abord pour montrer le passage d'une justice privée à une justice publique.
S'y ajoute une reformulation de l'imaginaire politico-juridique de la cité: sans le soutien de l'aristocratie le demos ne peut diriger la cité, référence donc d'Eschyle aux réformes des assemblées contemporaines, en l'occurrence la réforme de l'aréopage.
Une voix religieuse se fait aussi entendre inscrivant la polis dans le cosmos, l'harmonie n'est trouvée que dans une alliance des anciens et des nouveaux dieux, cette alliance, la métamorphose des Erinyes en Euménides en serait une allégorie,  en une même personne va cohabiter l'ancienne justice forte de la crainte, du respect et de la réparation et la nouvelle justice mesurée et qui peut aller jusqu'à pardonner.
Une nouvelle voix s'élève aussi, celle de la responsabilité individuelle et de la liberté contre la malédiction: les fils ne doivent payer pour les pères et des fautes qu'ils n'ont point commises.
En dernier lieu l'Orestie donne à entendre une parole qui se transforme: empêchée dans Agamemnon où sous la terreur on a un bœuf sur la langue v.36 , la parole devient performative mais mortifère dans Les Choéphores, puis dialoguée et argumentée dans Les Euménides selon un échange réglé qui permet le triomphe de la bienveillance .
Pour François Ost chacun des niveaux de parole lié aux autres représenterait dans une vaste polyphonie la puissance de la justice fondée sur la parole.
 Enfin au sein de ce théâtre archaïque et novateur à la fois, le mythos refoulé fait retour au sein du logos triomphant, la croyance demeure intégralement présente au sein d'un ordre policé par la raison;  c'est le sens du dépassement qui s'opère dans l'œuvre d'Eschyle, l'archaïque subsiste – la croyance et avec elle la crainte – au sein de la modernité. ( en allemand  die Aufhebung:  aufheben:conserver et dépasser).L'ordre juste ne peut être déduit d'un ordre des choses donné et naturel, l'ordre du monde se met lui-même en débat. Par conséquent pour Eschyle le monde cesse d'aller de soi: le système des explications naturelles et des causalités nécessaires propres à un univers théologico-cosmique est frappé de doute et comme sommé de s'expliquer lui-même dans ce méta-procès dont l'affaire d'Oreste est le prétexte.( o.c., Odile Jacob, 2004, p.126. )
                                                                            

Dans le cours de Mathieu Meyrignac, volume Bréal, Juillet 2011 deux autres idées intéressantes: l'une concerne la virtuosité de la parole qui à travers une grande richesse de modalités permet à la justice de s'affirmer. Idée qui rejoint le travail de François Ost.
La cohérence interne: chaque pièce émane de la précédente dont elle répète longuement l'action la soupesant et jugeant, on pourrait y voir un fonctionnement relatif au mythe: récit ressassé qui permet un approfondissement infini du sens, le mythe inépuisable réservoir de significations; à cet égard les Euménides reviennent sur les deux pièces précédentes, le tort qu'Oreste a voulu réparer, celui qu'il a causé.



















Séance 8 – mise en perspective des trois œuvres
-      Au fil du texte


La conscience hésite entre penser l'homme lui-même comme source du juste et de l'injuste ou bien attribuer le juste et l'injuste à une loi du monde
Dans la conscience grecque c’est l’ hubris qui crée  l'injustice : Agamemnon est coupable  de ses excès dans la guerre, il n'est pas coupable de la guerre. Il n'y a donc pas pour les grecs du juste et de l'injuste universel, le héros grec commet la démesure sans même s'en apercevoir, il subit une malédiction, une vengeance et il cède à la tentation. ≠ Dans le christianisme c'est la conscience qui a fait que c'est juste ou injuste. Pour les grecs le monde est duel. Par exemple Œdipe ne pouvait pas savoir qu’il tuait son père ni qu’il commettait  un inceste en épousant Jocaste. L'injustice  qu'il commet déclenche la peste, symbole du désordre et du chaos. Le juste et l'injuste ne dépendent pas d'un acte libre, conscient, assumé comme tel. On peut donc affirmer que l’on peut être injuste  sans être responsable, ainsi Oreste n'a pas le choix : il doit tuer sa mère. C'est ça le tragique, être injuste sans être réellement responsable. ( « tragicotaton =  le super tragique    d’Œdipe => cas de figure  presque pur : Œdipe a commis une injustice sans le savoir , cela n'a rien à voir avec la morale. La résolution est une purification rituelle et pas une purification morale ( la demande de pardon), la résolution rituelle est magique mais elle n’efface  pas la souillure,  elle donne l'autorisation de se présenter comme le suppliant, cela n'engage pas  la conscience morale.
La démesure c’est transgresser l'ordre qui n'est pas moral. Quand Agamemnon pille la ville de Troie, c'est juste mais quand il renverse les autels, c'est injuste. L'injuste n'est pas là où on pense. Elle n'est pas morale ni univoque. La démesure d’Agamemnon consiste à être sorti des limites humaines, c'est la prétention à vouloir tout au lieu de rester dans les limites mais on ne sait jamais les limites en question : c'est bien cela le tragique.
Quand Agamemnon met le feu à la ville de Troie, il ne sait pas où sont les limites du juste et de l'injuste. L'entreprise des Euménides est de passer d’un droit lié à un ordre du cosmos où on ne connaît pas les limites à  un droit positif ♥, fixée par un décret qui permet de savoir où sont les limites : le code pénal fixe des repères. On sort du tragique quand on sort de l'aveuglement, quand on a des limites qui  permettent de fixer le juste et l’ injuste de façon convenue. Si le monde est régi par une loi naturelle liée à aux cosmos je transgresse inévitablement les lois car je ne peux connaître le juste et l'injuste. En revanche les lois de la cité me rendent responsables de mes choix et de mes actes. C'est le droit positif. L'astuce des athéniens c'est de déclarer que c'est Athéna qui institue ce droit positif. La transposition du monde des dieux sur la scène de théâtre et en faire  des personnages permet à    Eschyle d’inventer une justice laïque. La pièce montre comment on peut  s'arracher au tragique de la condition humaine à conditions d'être en règle avec la loi qui est à présent un concept clair : ce qui est juste, c’es la loi de la cité,  l'injuste c’est transgresser la loi de la cité et non plus transgresser  une loi obscure.
La création d'une cité avec un tribunal permet  de sortir du tragique. Les hommes vont pouvoir prendre en main leur destin. Le lieu de  résolution du tragique, c'est la tragédie elle-même. Mettre en scène le tragique et s'en arracher par  le langage à valeur performative :  je dis que Athéna a dit, donc elle a dit et c’est institué. Je change l'ordre du monde par la tragédie.
Mais pour Pascal si  « je crois » qu'il est possible  de s'arracher au tragique de l'existence, c'est une illusion de l'imagination  (vanité). Les Grecs se donnent l'illusion d'une résolution politique de la tragédie de la vie grâce à une cité de paix et une bonne constitution mais au fond l'horizon de mort n'a pas disparu. Ca déplace le problème car pour Pascal Dieu est le seul à nous sauver de la mort. Et Zeus n'a pas la capacité de nous rendre immortels, et donc la mort reste tragique. Seul le Christ a fait mourir la mort.
Les Euménides créent une cité avec des règles. Les grecs ont le sentiment de créer un ordre nouveau sur lequel on continue de vivre.≠ L'Amérique est un nouveau monde qui a la naïveté de repartir d'un monde sans loi. Toute l'histoire est marquée par la reconnaissance d'une loi qui fédère les peuples.
Dans la Grèce antique dualité irréductible comme principe du monde. Les dieux s'affrontent entre eux et avec les forces obscures(les Erinyes), le juste et l'injuste se pensent  dans ce contexte trouble, ils ne sont pas lisibles car chaque instant est fait  de forces contradictoires, on est puni pour la  faute de ses pères. Eschyle introduit une rupture dans l'ordre Ancien, le monde qu'il inaugure est un monde tourné vers l’avenir. D'une certaine façon Steinbeck vient donner raison à Eschyle : quand il n'y a plus d'état c'est la catastrophe, les lois établies pour toute la cité permettent d'assurer l'égalité des citoyens devant la loi, au contraire des États-Unis en 1930. Le camp du gouvernement représente une utopie où chacun est redevable devant autrui. La nouvelle cité grecque va échapper à la cacophonie des dieux, les Etats unis plongent  dans le chaos où la loi ne fédère plus les individus mais célèbre au contraire le repli sur l’individualisme, l’exacerbation de la concupiscence érigée en vertu.
Au XVIIe la société est régie sur le principe d'un seul Dieu. Le monothéisme c'est la volonté unique qui sert de principe à tout et notamment de principe d’ intelligibilité, de source unique du droit. Ce qui est juste est ce qui est conforme à la volonté de Dieu même si elle   n'est pas lisible à cause du péché.. Or la question philosophique est de savoir si la volonté de Dieu est arbitraire. C'est quoi le bien et où est-il ? Si Dieu est bon, il a créé un moment  bon donc pourquoi est-il rempli d'injustices ? Théologiquement il faut bien admettre que c'est la volonté humaine qui cause l’injustice.
Pour Pascal le salut ne vient pas de nos actes, je ne peux pas me sauver tout seul en revanche je peux agir pour aller dans le sens d'un salut (on ne peut pas se tirer de l'eau en se soulevant soi-même par les cheveux), le salut est un don, c'est la foi dans le salut qui nous sauve. Avec le monothéisme la question de la justice entre dans la sphère humaine, ça n'a plus rien ne cosmique. C'est là que la justice prend un caractère éthique en changeant de paradigme. On n'est plus dans le même système de pensée, on n'est plus dans le mode de pensée grecque. On a à faire à un dieu moral mais la sphère du juste et de l'injuste est entre les mains des hommes. La question du juste est de savoir si l'action est conforme à la prise en compte d’autrui, c'est la notion de considération d’  autrui : qu’est-ce qui est dû à l'autre ? ♥
-       Soit c’est défini par la loi = conception légaliste du juste ( droit positif)
-       ou bien la conscience est dans une exigence éthique d’être en recherche du juste qui n'est jamais donné mais qui ressortit  à ma liberté morale. = Idéal de justice ♥ Reconnaître autrui pour ce qu'il est, exigence infinie de justice, mais je n'ai jamais fini d'être juste. l'amour est au-delà  du juste et de l'injuste, si j'ai agi sans amour est ce que je suis juste ? c'est une justice qui va au-delà de la justice rétributive mais c'est la seule justice qui permettrait de vaincre le mal : on ne peut vaincre l’injustice par la justice mais par l'amour. Ce qui est bien n’est pas  ce qui est simplement juste ; on peut vivre honnêtement sans faire le mal sans pour autant faire le bien, selon Pascal, pour être un homme juste il faut marcher dans les pas de Dieu, et donc pas seulement être en règle, l’injustice est le rejet de   la vraie justice qui  est la volonté de Dieu.
Pour être juste il ne suffit pas de ne pas être injuste

Que veut dire être bon ?
Cela veut dire reconnaître autrui, préférer  autrui à soi-même, vouloir autrui plutôt que soi-même, ne pas faire de l'autre un moyen mais une fin en la bonté, c'est donné gratuitement, ne pas être dans une relation d'échange, donner sans retour,  considérer l'autre comme ayant plus de valeur que moi-même.
On se place ainsi au-delà de la justice rétributive car  la justice reste dans les limites de la rétribution ce qui renvoie à quelque chose de réglé.
Par exemple un salaire juste et raisonnable ne  prend pas seulement en compte l'intérêt du patron ni son profit maximum mais prend en compte l'intérêt du salarié.
= Rétribuer en conscience. La justice n'a pas à voir avec l'amour de l'autre mais avec la conformité à une règle de l'équité distributive. Être bon c'est aller au-delà de la justice rétributive. Pour faire un acte juste il ne suffit pas de ne pas commettre d'injustice ni de réparer une injustice par l'application de la justice (la prison ne rend pas le monde meilleur) ♥
Comment éradiquer l'injustice ? Il faut vouloir un monde  bon et pour cela être animé d'une volonté bonne donc vouloir le bien d'autrui plus que soi. Mais pour cela il faut l'aimer donc l'amour d’autrui permet d'aller au-delà de la simple justice rétributive.
Le simple exercice de la justice est statique, il est insuffisant pour transformer le monde en monde juste et la bonté exige aussi la justice sinon c'est le chaos. Dans  Steinbeck la bonté meurt avec elle-même.
Il faut plus que la justice pour qu’advienne la justice, l'avènement de la justice ne peut pas être statique il faut envisager la justice comme une fin et pas seulement comme un moyen. Il faut donc croiser la valeur justice avec une autre valeur, au-delà de l'idée d'un ordre du monde juste. il faut donc une autre valeur que la justice politique, il faut un horizon éthique à la justice. Dans l'Eschyle pas d’autres perspectives que politiques pour l'exercice de la justice : la justice consiste à régler le droit comme solution juridique à la vendetta. Ca fonctionne sur le plan de la cité politique, portée efficace de l’aréopage, c'est une révolution.
-       Cynisme de Pascal : l'ordre du politique ne se confond pas avec l'ordre de la charité. Le droit doit être positiviste car il doit garantir un ordre politique stable.

-       Mettre en perspective idée de justice antique et moderne

-       Eschyle : justice se conçoit dans un ordre du monde que l’homme ne maîtrise pas et dans lequel il est perdu, condamné à errer car il ne connaît distinctement quel est l’ordre du monde => mais avec Eschyle la justice s’émancipe, c'est l'invention du droit positif qui résout  l'incertitude du juste et de l'injuste.
-       Pascal : pour lui le monde est entièrement injuste et il faut faire comme si il était juste, comme si la justice était fondée en vérité alors qu'elle n'est qu'une singerie.
-       Eschyle est fier d’un ordre nouveau qui va permettre d'exercer le droit et la justice pour de bon
-       Pascal affirme que dans un monde est injuste il faut une justice qui passe pour juste même si elle n'en a que les apparences. Paradoxe : là où Eschyle a mis fin au tragique, Pascal fait un paradoxe saignant  et réintroduit le tragique. Car pour Pascal il n'y a pas d'espoir pour l'homme de s'en sortir par lui-même il n'y a pas d'autre issue que dans le Christ. En dépit de toutes nos prétentions à l'intelligence quand le droit n'est pas animé par l'amour il peut conduire à un sommet d'injustice (Auschwitz)
-       Steinbeck : la société s'accommode de l'injustice,  dans un État libéral il n'y a pas de fraternité, pas de régulation des conflits ;  dans le roman on revient donc au chaos tragique d'avant les Euménides. Zeus représentait le progrès c'est un nouveau Dieu qui dans la pièce vient  triompher des dieux archaïques. Dans le roman l'injustice triomphe de façon cynique. Régression vers le chaos primitif, impossibilité d'exercer la justice. Rupture avec Eschyle et de la justice athénienne,  échec de l'optimisme triomphant d'Eschyle qui proposait une sortie du tragique. Pascal propose de sauver les apparences afin de sauvegarder la paix mais c'est déjà en retour du tragique car la justice est illusoire et arbitraire. Steinbeck triomphe de l'injustice et du tragique
Eschyle
         Chaos = malheur, errance => lois = paix, réconciliation, espoir liberté
Steinbeck
         Ordre, tradition rompus, arrachement => errance, désordre = malheur,             désespoir, mort et aliénation


Cronos => Zeus /  Athéna (Eschyle) => injustice naturelle mais justice d'apparence pour sauvegarder la paix civile ( Pascal ) => triomphe du chaos (Steinbeck )



La justice ne peut être une simple procédure réglementaire car c'est une mécanique vivante. Si elle reste une mécanique formelle elle s'oppose au progrès. Il y a de la justice parce que le monde n'est pas comme une horloge qui fonctionne sur les lois. Eschyle proposait  de mettre fin à  la vengeance privée mais cela ne résout pas le problème du sens, Eschyle n'est pas moral il est politique (dans  Antigone de Sophocle Créon préserve les lois de la cité par politique)♥
Le procès d'Oreste constitue un modèle de tous les procès avenir, c'est l'invention de la procédure judiciaire = conditions d'une société civilisée, on sort de la barbarie. Avec Steinbeck on sort d'une société civilisée et on retourne à un ordre barbare.
 C'est le changement de droit dans l’Eschyle ♥.qui est à l'origine de la civilisation occidentale Les Romains vont reprendre  le droit Grec : loi des 12 tables sous la république
Au Moyen Âge système judiciaire hérité des Romains. Mais il faut distinguer le droit coutumier celtique et franc au nord de la Loire du droit écrit hérité des Romains dans les provinces du sud de la Loire.
 Le droit canonique se développe en utilisant les concepts du droit romain, il règle dans le cadre de l'église les problèmes matrimoniaux par exemple
Il faut attendre la révolution française pour unifier le droit français, c'est une illusion de penser un droit national sous la monarchie absolue car le roi, même s’il a  maté les nobles, n'impose pas un droit unique. Chaque parlement de province érige ses propres lois, l'exercice de la justice n'est pas unifié.
Seule l'église à unifier son droit : c'est le droit canonique
C’est l'écriture, les lois écrites qui permettent de sortir du droit coutumier, la justice archaïque les Erinyes symbolise l'ancien monde par rapport au droit écrit.
Pour Pascal le droit n'a aucune valeur si ce n'est celle qu'on lui confère quand on n'y croit. La justice n'est qu'une croyance, elle doit s'imposer par la force. C'est donc une question d'imagination. Seuls les esprits forts savent que c'est une apparence. Mais quand bien même la justice n'est qu'une illusion de justice, il faut s'y conformer comme si ça n'était pas une illusion



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