mercredi 18 janvier 2012

Eschyle


Eschyle

 Séance 1 Introduction générale


I / L’essor d’Athènes au Vè siècle

1/ Un siècle encadré de deux guerres

Au début du siècle, guerres médiques. Les Grecs attaqués par le roi de Perse qui descendit pratiquement jusqu’à Athènes. Les deux fois, Darius et Xerxès sont repoussés et Athènes participe aux deux victoires, à Marathon puis à Salamine. Elle en tire influence et puissance. Son hégémonie sur les autres Grecs se transforme en souveraineté. Elle rayonne sur la mer Égée. L’alliance qu’elle préside — la ligue de Délos — devient un empire : elle rassemble sous l’hégémonie d’Athènes des cités qui payent un tribut pour qu’elle les protège de la menace perse. Grâce à cet afflux d’argent, Athènes reconstruit les temples détruits par les Perses, rétribue les citoyens les plus pauvres servant en qualité de rameurs sur les vaisseaux, bref finance la démocratie. En 431, elle s’oppose dans une nouvelle guerre, celle du Péloponnèse, à Sparte et à ses alliés partisans de l’oligarchie [forme de gouvernement dirigé par un petit groupe de personnes qui forment une classe dominante], alors qu’elle soutient la démocratie. La guerre dure jusqu’en 404 et se termine par la défaite d’Athènes et la ruine de son empire. Tout l’éclat de la culture athénienne se situe entre ces deux guerres.
 Athènes, grâce à la découverte d’un gisement argentifère, est passé du statut de modeste puissance locale à celle de puissance maritime internationale dont le prestige est amplifié par les victoires navales sur les Perses. Le personnage le plus important de cette période est Périclès [homme politique athénien, 495-429, il choisit le parti démocratique, adjoint d’Ephialte, il fut avec lui l’auteur de grandes réformes démocratiques qu’il acheva après l’assassinat de ce dernier : confiscation des attributions politiques de l’Aréopage, démocratisation de l’archontat par la généralisation du tirage au sort, gratuité des spectacles. Il commence sa carrière publique en étant le chorège des Perses, l’une des tragédies d’E. ]

2/ La puissance démocratique d’Athènes et l’Aréopage

Avant la démocratie, A. connut divers régimes, dont la tyrannie des Pisistratides. Au cinquième siècle, la démocratie progresse et se développe et reflète un esprit de découverte et de fierté.
L’Aréopage est un tribunal athénien très ancien qui représentait depuis le VIè siècle l’organe principal de gouvernement de la cité. Il était composé des anciens archontes sortis de charge, autrement dit des Athéniens les plus riches issus des grandes familles de la cité. Il représentait une survivance du pouvoir aristocratique au sein du régime démocratique. Dans la décennie qui précède l’Orestie, les derniers remparts qui réservaient le pouvoir aux grandes familles sont battus en brèche par Ephialte et Périclès. Le régime démocratique s’élargit, ce qui entraîne des débats entre démocrates radicaux et démocrates modérés.
Sous la pression des démocrates radicaux, réformes dues à Ephialte qui a pour jeune associé Périclès : celle de l’Aréopage en 461-462. Cette réforme ôte au tribunal de l’Aréopage ses prérogatives les plus importantes. Ce conseil, très ancien, accueillait les archontes sortis de charge, c’est-à-dire des citoyens issus de grandes familles. En tant que gardien des lois, il remplissait des fonctions judiciaires et veillait à la bonne administration des affaires publiques. Aristote estimait que l’Aréopage « dirigeait l’Etat ». Désormais il ne peut plus que juger les crimes de sang. Le régime se radicalise donc dans le sens de la démocratie. Cette réforme prive l'Aréopage de son rôle de conseil, de « gardien des lois », pour le limiter dans ses attributs judiciaires. C'est la Boulè, conseil tiré au sort, qui est désormais, à côté de l'assemblée populaire, le seul organe délibératif à fonction politique.

Or la trilogie d’E se termine par la création du tribunal de l’Aréopage et la pièce fut représentée deux ans après cette réforme. E a-t-il pris parti pour ces réformes ou contre elles ? Débat n’est pas clos. En donnant à voir, à la fin des E, la fondation, sur l’initiative d’Athéna, de l’institution dont la réforme avait provoqué des troubles graves (Ephialte meurt assassiné), Eschyle traite d’une question d’une brûlante actualité politique pour les spectateurs de l’époque.

Comment E vécut-il cette transformation ? En 472, son chorège (riche Athénien qui finance la tétralogie dont la seule pièce conservée est Les Perses) est Périclès. Le poète est alors dans le camp démocrate. Mais épitaphe d'E qui mentionne Marathon et ignore Salamine peut être considérée comme un choix idéologique, celui de la république des hoplites [fantassins] contre celle, moins nombreuse, des marins. Final de L'Orestie : apologie ou critique d'Ephialte ?

3/  Une histoire du droit dans la Grèce antique:

Dans l'Orestie, on ne cesse d'invoquer le mot de dikè, qui désigne aussi bien la justice du vengeur (celle des Érinyes, ou loi du talion) que la justice du juge-arbitre (celle d'Athéna, ou loi instituée) : on retrouve donc la polysémie inhérente au mot justice
L'Orestie repose sur l'opposition entre l'ancien et le nouveau: la trilogie met en fiction
une histoire, l'histoire de la justice en Grèce du VIlle au Ve siècles, et notamment le passage d'une conception archaïque de la justice (le pré-droit = la vengeance) à une conception moderne de la justice (le droit = l'institution judiciaire).

 Ce passage difficile de l’ancien au nouveau, le progrès de la justice structure puissamment l'avènement d'un nouveau régime politique, la démocratie. On se rappelle que l'établissement de la démocratie à Athènes fut une chose non pas immédiate mais difficile et progressive, Eschyle en fut le témoin et l'Orestie rend compte de ce processus.
En Grèce, un homicide est à la fois un crime sur le plan politico-juridique et une souillure sur le plan religieux, double dimension inscrite dans le droit. Le procès pour homicide a lieu en plein air pour éviter la souillure provoquée par le contact avec un meurtrier. Dans un pros, chacune des parties prête serment solennellement comme les dieux le font eux-mêmes (qui jurent «par le Styx » dans les épopées).
Le meurtrier est souillé par le sang de sa victime qui lui colle à la main. Il doit être purifié, sinon il souille la communauté. À Athènes, le magistrat lui interdit tous les lieux de sacrifice, même en cas de meurtre involontaire. La cité prend en charge les meurtres parce que la communauté est en danger si le meurtrier reste au milieu de ses concitoyens. Il est impératif d'identifier le meurtrier, sinon un fléau sacré, la peste, va la ravager c'est la menace que les Érinyes veulent faire peser sur Athènes si elles n'obtiennent pas gain de cause, Eu. v. ).





II / Eschyle, le premier des tragédiens grecs (525-456), « le plus optimiste des tragiques »

1 - Bibliographie réduite 

Nous  n’avons gardé que 7 tragédies (Les Perses, Les Sept contre Thèbes, Les Suppliantes, Prométhée enchaîné) alors qu’il en écrivit une centaine. Sophocle (496-405) et Euripide (480-406) sont des contemporains et rivaux bien plus jeunes. Après le triomphe de L’Orestie, jouée au printemps 458 alors qu’E a 67 ans, le dramaturge quitte Athènes et s’installe en Sicile.
L’Orestie est écrite en un temps qui est celui des montées et des découvertes. E est en possession de ses moyens et a déjà derrière lui une importante carrière d’auteur tragique. Il est considéré comme le fondateur de la tragédie. Il lui confère des lois rigoureuses et la dégage du lyrisme oral dont elle est issue. Il introduit dialogue et action dans un spectacle jusque-là dominé par le chant et la danse. Il recourt pour une plus grande intelligibilité de la représentation aux masques et costumes et travaille à la mise en scène.

2 – Biographie

- Vie marquée par les deux guerres médiques. Issu d’une famille noble, E est au combat lors des deux invasions et lutte pour sauver Athènes. L’Orestie est marquée par la guerre : souffrances de la guerre, confiance dans le sort d’Athènes désormais sauvée. Meurt en Sicile. Selon la tradition, il succombe pour avoir reçu sur la tête une tortue qu’aurait depuis les airs lâchée un aigle. Homme de guerre et homme de lettre, E est un représentant accompli de l’aristocratie athénienne.
- Son œuvre se distingue par la présence constante du sacré dans son théâtre. Dans les Perses, on voit un rite qui fait sortir de son tombeau le feu roi des Perses, Darius. Dans Prométhée, tout se joue entre divinités, depuis le titan Prométhée, en passant par les agents de Zeus, par le chœur des Océanides, qui sont des Nymphes…

3 – Vision de l’homme

- Une vision de l'homme et du monde : La Grèce d'Eschyle est située à mi-chemin entre la Grèce archaïque et la Grèce classique. Dans sa vie d'homme, Eschyle a été confronté à l'expérience traumatisante du désordre, du danger et de l'instabilité. 
Eschyle est le contemporain du passage de la tyrannie, pouvoir personnel prenant appui sur le peuple, contre le régime oligarchique des aristocrates, à la démocratie, basée sur une composition non clanique du corps civique. Grâce aux réformes de Clisthène, tous les citoyens (hommes nés d’un père citoyen et âgés de plus de 18 ans) sont membres de droits égaux à l’Assemblée (Ecclésia : elle vote les lois, la guerre et la paix, contrôle les magistrats et leur gestion), au Conseil des 500 (Boulè : organe qui assure le gouvernement), et à l’Héliée (organe judiciaire).
[Clisthène : homme d’Etat athénien, deuxième moitié du VIè siècle, aïeul de Périclès. Il fut porté au pouvoir par une révolution populaire et appliqua un programme de vastes réformes qui constituèrent la démocratie d’Athènes : le nombre des citoyens de la Boulè fut augmenté de 400 à 500, l’assemblée des citoyens (Ecclesia : elle peut atteindre 40 000 citoyens) détenant l’autorité suprême ; on lui attribue aussi l’institution de l’ostracisme.]
Désordre intérieur : il est né pendant un régime tyrannique, celui de Pisistrate, qui a profité de la discorde civile entre les citoyens athéniens. E. a grandi pendant les balbutiements de la démocratie, régime naissant et précaire, qui tentait de se défaire de l'aristocratie.
sordre extérieur : citoyen d'une démocratie toute neuve, l'adulte E. a participé à la guerre qui a opposé les Grecs au puissant empire perse qui voulait les réduire en esclavage (aux batailles de Marathon, en - 490, et de Salamine, en - 480).

ð Son théâtre traite des événements humains les plus graves : dans les familles, le meurtre (les crimes des Atrides), et dans les cités, la guerre (la guerre de Troie). Pour Eschyle, il est nécessaire de mater le déchaînement de la violence inhérent à la vie des hommes. Il faut moins rétablir l'ordre qu'en inventer un, en fonder un (c'est l'enjeu de «l'avenir» à la fin des Euménides), ordre intérieur (la loi athénienne) et ordre extérieur (l'alliance entre Athènes et Argos, entre Athéna et Oreste).




 III / Lexique pour lire la tragédie grecque

Agôn : jeu, concours. Dans la tragédie débat, conflit, dispute. « Les Grecs ont inventé et approfondi une expérience qui ne cessera jamais de hanter la pensée, c’est-à-d la vie profonde des communautés et des individus aussi bien : ces gens-là se pensaient comme des égaux soumis à une rivalité permanente. Dans ce monde-là, l’exercice d’un droit, d’une fonction suppose une confrontation inévitable. Ce point détermine les postures sportives, philosophiques et artistiques », La Tragédie grecque, la scène et le tribunal, Frédéric Picco.

Archonte : neuf magistrats athéniens, tirés au sort parmi des candidats élus. La charge était à l’origine à vie,  elle devint renouvelable tous les 10 ans puis tous les ans. L’archonte éponyme (il donnait son nom à l’année) présidait aux Grandes Dionysies.

Catharsis : mot tiré de la Poétique d’Aristote. Effet bénéfique produit par la tragédie sur les spectateurs, c’est-à-dire la purgation ou la purification des passions.

Chœur : groupe de 12 puis 15 choreutes, chanteurs et danseurs, exécutant sur l’orchestra les parties lyriques d’une pièce sous la direction du coryphée.

Chorège : citoyen riche chargé par les archontes d’enrôler et de payer les membres du chœur pour la représentation d’une tragédie. Leur contribution était un impôt en même temps qu’un honneur.

Coryphée : chef et représentant du chœur qui dirige ses évolutions dans l’orchestra, et intervient dans le dialogue avec les acteurs.
Deutéragoniste : le second des trois acteurs d’une tragédie. Il jouait plusieurs rôles.

Dithyrambe : chant en l’honneur de Dionysos.

Drame satyrique : pièce comique qui clôturait les tragédies, avec un chœur composé de satyres.

Epirrhème : 4è partie de la parabase chanté par le chœur (fin des Euménides).

Episode : passage dialogué et récité situé entre deux stasima.

Epode : 3è partie d’une ode, après la strophe et l’antistrophe.

Exodos : dernière partie dialoguée de la tragédie. Elle est ainsi nommée « sortie » parce qu’à la fin de l’exodos le chœur quittait solennellement l’orchestra.

Hubris : excès, démesure. Toutes formes d’orgueil et d’arrogance pouvant attirer la vengeance divine.

Kommos : lamentation alternée entre un acteur et le chœur s’intégrant au dialogue.

Logos : discours rationnel, conception profane du monde.

Mésode : morceau de chant placé entre une strophe et une antistrophe.

Oïkos : la maison, la famille, le lieu d’origine.

Orchestra : partie circulaire où évolue le chœur.

Parabase : discours du chœur qui s’adresse directement au public et qui constitue une forme de digression.

Parodos (NCF) : couloir traversant le theatron et permettant aux choreutes de venir sur l’orchestra. Moment de l’entrée du chœur dans la tragédie.

Péan : hymne guerrier.

Péripétie : coup de théâtre de la tragédie.

Polis : cité

Proskénion : plate-forme devant la skêné destinée au jeu des acteurs.

Protagoniste : le premier acteur qui joue le rôle principal.

Skêné : baraque en bois derrière l’orchestra, servant à figurer un décor et utilisée comme coulisse par les acteurs.

Sophrosynè : mesure, modération
Stasimon (a) : intermède choral divisé en strophes, antistrophes, et correspondant aux déplacements du chœur. Passage chanté.

Stichomythie : dialogue très rapide dans lequel les interlocuteurs se répondent vers à vers.

Théologion : partie supérieure de la skênè réservée aux apparitions divines.

Trilogie : suite de trois tragédies présentées successivement pendant une représentation. A l’origine elles portaient toutes sur une même légende et constituaient des trilogies liées. A partir de l’époque de Sophocle, on peut choisir des sujets différents pour chaque tragédie.

Tritagoniste : le 3è acteur qui interprète plusieurs rôles.



IV / La structure d’une pièce tragique et les règles de la tragédie selon Aristote d'après la Poétique.


1 – structure

« Voici les parties distinctes en lesquelles se divise la tragédie : le prologue, l’épisode, l’exodos et le chant du chœur, qui se divise à son tour en parodos (chant d’entrée) et stasimon (chant sur place). »

a/ Le prologue ;  les épisodes ; le dénouement ou exodos

b/ La partie chorique qui comporte : l'entrée/parodos et le chant statique/stasimon.  Quand il y une seconde entrée on parle d'épiparodos. 
Le prologue est une partie complète de la tragédie qui se place avant l'entrée du chœur. L'épisode est une partie complète de la tragédie placée entre les chants complets du chœur. Le dénouement est une partie complète après laquelle il n'y a plus de chants du chœur.
Dans la partie chorique l'entrée/parodos est ce qui est dit en premier par le chœur et le stasimon, le chant du chœur sans anapeste et sans trochée (types de pieds formant des vers). Le Kommos est une lamentation commune au chœur et aux acteurs en scène. Le chœur peut aussi intervenir au sein des épisodes dans un dialogue avec les personnages.
Les personnages peuvent ou bien s’associer au chant du chœur (grande scène lyrique des Ch dans laquelle le frère et la sœur se mêlent aux strophes chantées par le chœur) ou bien intervenir par une brève partie chantée au cours d’un épisode. Quand un acteur est associé avec le chœur dans un ensemble lyrique, cet ensemble s’appelle un commos. Celui des Ch est remarquable : c’est un échange lyrique au cours duquel Oreste, Electre et le chœur s’associent dans une prière commune sur le tombeau d’A. Cas où le chœur chante alors que le personnage parle : dialogue qui termine les E dans lequel Athéna exprime des prières et des souhaits afin d’obtenir une réconciliation tandis que le chœur est encore hanté par son désir de vengeance.
Une grande partie des tragédies était chantée. Ces parties chantées très importantes étaient composées en mètres lyriques selon une répartition précise. Dans A, elles constituent la moitié de la pièce. Dans Les C, un tiers. Dans les E, entre un tiers et la moitié. Ces parties sont attribuées au chœur.

c/ Organisation des parties chantées : strophes et antistrophes se répondent rigoureusement. Longueur des syllabes, les coupes, tout y est parallèle. Choix des mètres n’est pas indifférent : il correspond à l’esprit qui domine à ce moment. Pour l’entrée d’un chœur, on emploie en général le rythme de la marche, c’est-à-dire l’anapeste (deux brèves, une longue). Le long chant du chœur qui ouvre A commence par une première partie écrite en anapeste. Visions de Cassandre, à la fin de A, sont exprimées par des vers agités, les vers dochmiaques.
Cette expression des parties chantées ajoutait à la force du tx d’E. Les mètres étaient choisis pour en dire les nuances, pour marquer les étapes importantes, pour donner relief aux émotions.
L’importance des parties chantées ds la trilogie s’explique par son sujet : angoisse croissante dans les deux premières pièces (sentiment de tt ce qui pèse sur l’homme : menaces, vengeance, injustice, colère divine, monstres…) et l’ambition de l’intrigue (solution d’ordre religieux où interviennent Apollon et Athéna).

d/ Rôle du chœur : ne se mêle pas à l’action qu’il se contente de commenter. Propose des réflexions générales. Soulève des problèmes, dégage des enseignements, s’interroge et juge. Ds L’Orestie, le chœur se mêle plus directement au déroulement de la tragédie. Il connaît le passé et le présent, fait des rapprochements, dégage les raisons de craindre et de s’effrayer, est doué d’un sens prophétique. Il se divise qd A est assassiné. Quand Cl réapparaît, le chœur reprend son rôle : il condamne sévèrement la reine.
Dans Les C, l’action initiale est conduite et guidée par le chœur. Le frère et la sœur suivent ses conseils. Grande prière à trois voix entre O, E et le chœur. Il intervient auprès de la nourrice pour l’inviter à rentrer dans le complot et à faire venir E tout seul, sans garde. Il encourage la vengeance. Il conseille, dirige, est un membre essentiel de l’action en train de se faire. Parricide accompli par O est entouré d’approbations, de soutiens. Innovation littéraire : le chœur dirige l’action.
 Dans les E, les Erinyes elles-m sont présentes, vivantes, personnage essentiel. On les voit à Delphes puis à Athènes. Leur aspect est monstrueux (évanouissements dans le public). Elles ronflent, grognent, entonnent des chants magiques.

Présence constante dans les parties chantées du sacré, des dieux, des rites. Manifestations directement religieuses (pratiques de culte, invocations magiques au cours desquelles on se déchire les joues et se donne des coups dans le dialogue lyrique sur le tombeau d’A). Violence sauvage emporte le chœur. Cris, danse magique, aspect épouvantable des E. On est dans un monde qu’une vie sacrée et terrible pénètre de toute part. Ex : sentiments et événements sont-ils des divinités ou des personnifications ? Ruine, Persuasion, Querelle, Destin, Colère, Justice.

Bilan : Structure des C et des E
• prologue parlé : dans Les C, il est assuré par Oreste, dans les Euménides par la Pythie
• la parodos (chantée) ou entrée du chœur : dans les C c’est le chœur des captives d’Argos qui entre sur scène, dans les Euménides c’est le réveil des Erinyes.
• suivent ensuite les épisodes parlés (4 dans les C, 3 dans les E) entre lesquels se situent les stasima (chants du chœur). Tout en chantant les membres du chœur pouvaient danser.
• la tragédie s’achève par l’exodos qui peut être chanté ou parlé. Dans Les C, Oreste, entouré des cadavres d’Egisthe et de Clytemnestre, dialogue avec le chorypée, et constate sa souillure. Il est déjà assailli par les visions des E qui l’accablent et le condamnent à la fuite. Dans les E, l’exodos est constitué par l’ultime échange entre Athéna qui parle et le chœur qui chante : épirrhème.



V / Le théâtre grec, une cérémonie civile et religieuse

1/ Grandeur d’Athènes au Vè se marque par le développement du genre tragique.

Le genre avait plus ou moins commencé dès le siècle précédent, mais les premières tragédies ont été perdues. On connaît qq noms d’auteurs avant Eschyle (Thespis, Phrynichos), et le titre d’une œuvre liée à l’actualité politique d’Athènes, Le sac de Milet. La tragédie grecque apparaît à Athènes vers - 534, neuf ans avant la naissance d'Eschyle et 76 ans avant la première représentation de l'Orestie (458). La tragédie est donc un genre proprement athénien, inparable du destin d'Athènes, notamment de sa fondation comme polis ou cité, comme ensemble organisé. Eschyle a lui-même fortement contribué à donner sa forme à ce genre récent. Le déclin de la tragédie comme genre coïncide historiquement avec le déclin de la cité d'Athènes. Toute l'Orestie s'achemine vers un but ultime, la cité d'Athènes.




2/ Le théâtre à Athènes : quelle est l’histoire des jeux théâtraux ?

• Tradition très ancienne dans le monde grec, ces festivités semblent liées à l'origine à des célébrations religieuses saisonnières marquées par des sacrifices et  des offrandes à une divinité, Dionysos. A l'origine des sacrifices humains sont pratiqués, remplacés par la suite par celui de jeunes animaux. Ultérieurement les jeux théâtraux, rappelant des épisodes marquants des mythes se substitueront à ces événements au caractère sacré et violent.
Ainsi dans les Choéphores on peut relever une évocation de Clytemnestre et Egisthe comme victimes sacrificielles. C'est ainsi que le coryphée appelle leur mort de ses vœux : «  mais qu'un jour je voie leurs cadavres dans la résine ruisselante d'un brasier » V. 267, p. 22.
 Il existe un lien dans ces formes de commémoration religieuse entre effusion de sang et mise à mort publique et le récit de fragment violents et cruels des mythes : la souffrance des héros et des dieux est un avatar de celle des victimes des sacrifices.
A l'époque d'Eschyle  le théâtre est une institution très prisée et constitue un événement marquant dans la vie de la cité : les références politiques à la paix civile, au pouvoir des assemblées (aréopage), à la sagesse qui fait la supériorité des Athéniens sont explicites dans la dernière pièce de la trilogie.

• les Grandes Dyonisies avaient lieu chaque année en mars, au moment de la réouverture de la navigation dans le port du Pirée. Les quatre derniers jours de la semaine de festivité étaient  consacrés à un concours dramatique. Trois dramaturges, désignés un an à l’avance par l’archonte éponyme, s’affrontaient pour obtenir un prix que lui décernait un jury composé de 10 juges, tirés démocratiquement au sort le jour de la première représentation et représentant les 10 tribus d’Athènes. A la fin des Grandes Dyonisies, le résultat est proclamé et le vainqueur partage les honneurs et le prestige avec le chorège, riche citoyen qui a entretenu financièrement le poète, les acteurs et les répétitions du chœur. Eschyle a gagné 13 fois ce concours.

Les conditions de la représentation : le public — 13 à 17 000 spectateurs — est installé dans un amphithéâtre et peut à la fois voir et entendre de loin le spectacle en vertu des qualités acoustiques et architecturales des lieux. Le théâtre a été édifié par les pouvoirs publics sur le flanc sud de l’Acropole. Les spectateurs sont des citoyens libres d’Athènes. Assister au concours tragique est considéré comme un devoir civique. Périclès dédommage les journées de travail perdues par les spectateurs les plus pauvres.  Proximité entre lieu théâtral et lieu de la fiction. Qui juge qui ? Qui sont les juges ? Juges sur la scène, juges parmi les spectateurs, lieux de la justice tout proches.

La scène fait face au public : constituée de l'orchestra, plateau circulaire sur lequel évoluent le chœur et les trois acteurs, la skene, édifice qui constitue le fond de la scène, supporte le décor, une estrade creuse surélevée qui tient aussi lieu de coulisses et de caisse de résonance. Les acteurs (des hommes), — les plus jeunes jouent les rôles féminins – portant des cothurnes, chaussures dont les semelles les rehaussent. Des masques recouvrant visage et thorax permettent d'identifier leur rôle et possèdent aussi la particularité d'amplifier la voix. Les accessoires sont réduits au minimum tout comme le décor, toutefois on sait  l'importance du tertre funéraire d'A°, du voile ou filet ensanglanté brandi par Oreste, du glaive avec lequel il tue Egisthe et Clytemnestre. Dans les C deux décors accompagnent l'action, dans les Euménides on se déplace du temple de Delphes, à la colline d'Arès à Athènes qui abrite l'aréopage. En un mot décor, costume, accessoires ont leur importance dans ce théâtre qui use de la force symbolique de l'espace, des objets et des gestes. Dans les deux  premières pièces et au début de la troisième la disposition spatiale est significative.

Plus essentiel encore à la représentation : l'accompagnement musical qui soutient la déclamation et le chant individuel et collectif, la danse. La tragédie grecque archaïque est sans doute beaucoup plus proche de l'opéra que de notre conception du théâtre. C'est dans cette logique de spectacle total qu'il faut comprendre le rôle essentiel du chœur qui assume de nombreuses fonctions : tour à tour voix du peuple, écho du  public commentant l'action, - cad exprimant un jugement qu'il invite le public à partager - ou la dominant. Les choéphores d’abord, ces esclaves porteuses d'offrandes qui  pleurent la mort honteuse d'Agamemnon et dialoguent avec Electre, les Erinyes ensuite, troupe terrifiante, qui incarnent le tourment d'Oreste, sa folie, mais aussi la colère de celle qu'il a tuée par vengeance.
Eschyle aurait innové, intercalant entre les interventions du chœur et du récitant – le coryphée – des scènes jouées par des individus, personnages illustres des mythes ou divinités – Apollon et Athéna — ainsi que les Erinyes. Il convient par conséquent de prendre la juste mesure du lyrisme dans ce théâtre : L'Orestie est une œuvre chantée et poétique d'une grande puissance d'évocation et non un débat politico-philosophique sur la justice.


3/ Plan du théâtre d’Epidaure, à défaut de celui d’Athènes dont il ne reste aucun vestige.
Il ne reste rien du théâtre où fut représenté L’Orestie en -458. Ce théâtre était situé sur le flanc de l’Acropole (plateau rocheux bâti élevé au centre d’Athènes. Sanctuaire dédié au culte d’Athéna), tout près du lieu où siégeait le tribunal de l’Aréopage.

 Séance 2 Présentation de la trilogie

Introduction : La justice dans LES CHOÉPHORES  et LES EUMÉNIDES
La trilogie d'Eschyle offre à ses lecteurs et spectateurs une généalogie théâtrale de la justice athénienne. Quelle est cette justice et comment est-elle définie? Le terme grec que l'on traduit généralement par "justice" est le mot dikè". Or dikè et ses dérivés apparaissent de façon récurrente dans l' Orestie pour désigner des réalités très diverses : la justice comme vertu morale, assurant le bon fonctionnement d'une société; mais également le "droit" ou encore la "loi de l'univers" ; le terme dikè peut aussi prendre des sens concrets: c'est la "cause", la "réclamation en justice", mais aussi le "procès" et ce qui en résulte, le "jugement" et le "châtiment". Dikè n'est pas encore "constituée [ ... ] en notion morale abstraite" mais recouvre une nébuleuse de significations (N. Loraux, "La métaphore sans métaphore, à propos de l'Orestie", Revue philosophique, n° 2/1990, p. 248-268).
De plus, en l'absence d'un code juridique, qui énonce les termes d'un droit universel dans tous les domaines de la vie en société, les Grecs conçoivent non pas une justice mais des justices superposées et parfois contradictoires (J.-P. Vernant, "Tensions et ambiguïtés dans la tragédie grecque", p. 31, dans Vernant J.-P. et Vidal Naquet P., Mythe et tragédie en Grèce ancienne-I, Paris, 1972, p. 21-40).
 Eschyle joue sur la polysémie du terme dikè pour mettre en scène des justices qui entrent en conflit : quelles sont -elles ?

La "trilogie liée" offre la possibilité de cheminer, drame après drame, vers un dépassement du conflit (v. Engagement politique et invention dramatique) :
 les deux premières pièces de la trilogie montrent l'impasse d'un droit relatif et changeant, un droit qui se "déplace" en fonction des individus qui l'invoquent (Cho., 306-308, p. 178).
Dans les Euménides, avec la justice instituée par Athéna, fille de Zeus associée à Dikè, divinité de la Justice (Cho., 949, p. 201), Eschyle révèle un ordre supérieur et transcendant. Toutefois, nous poserons la question de savoir si cette justice acquise à l'issue du drame résout tous les problèmes apparus précédemment. Nous verrons que l'acquittement d'Oreste échoit au terme d'une procédure légale non dénuée d'ambiguïtés : la justice des dieux mise en scène par Eschyle est-elle véritablement juste ?

I - La justice du crime de sang

• Le meurtre : un enjeu civique et politique

En traitant du parricide d'Oreste et du jugement qui s'ensuit,  Eschyle se place sur le terrain de ce qu'on nommerait aujourd'hui  la justice pénale. Les jurés convoqués par Athéna "jug[ent] pour la première fois du sang versé" (Eum., 682, p. 231), et par leur arrêt décident de la punition à appliquer au crime de sang. Grâce à l'institution d'un tribunal, cette punition cesse de relever uniquement de la sphère privée (de la vengeance personnelle, de la vendetta) pour devenir la prérogative d'une cour, représentante des droits et des intérêts du peuple dans son entier.
 Pour les Grecs, en effet, un meurtre représentait un danger de faction important, dans la mesure où il pouvait entraîner des dissensions entre les proches du meurtrier et de la victime, et ainsi remettre en cause la concorde et l'harmonie (homonoia) entre les citoyens.
Comme l'écrit K.J. Dover, "Le meurtre et la guerre civile ne sont pas placés à deux niveaux différents : une autorité qui prévient et qui punit le meurtre est la
première étape vers le progrès, de la vie animale à une vie en communauté, et de la préservation de cette autorité dépend la continuité de l'existence de la communauté" ("The political aspect of Aeschylus' Eumenides" , IHS, vol. 77, 1957, p. 234).

 Le drame d'Eschyle reflète cette conviction politique: la prévention de l'homicide est le fondement premier d'une société. En instituant le tribunal de l'Aréopage, Athéna met d'ailleurs en garde à plusieurs reprises les citoyens contre le danger de la guerre civile (Eum., 858- 866, p. 237 ; 977-987, p. 241).

·      le mythe des Atrides

La légende des Atrides a inspiré, avant Eschyle, Homère, mais également le poète archaïque Stésichore (-VIè) ou les Pythiques de Pindare (-VI-Vè).
Les Atrides sont les descendants d’Atrée. Ce cycle mythique, connu des spectateurs contemporains d’E, fournit au dramaturge la matière de L’Orestie. Il traite des mésaventures de deux générations (A et Oreste) mais la malédiction remonte bien plus haut. C’est la prophétesse Cassandre qui, dans A, prise de visions, dévoile les meurtres passés (AG . v.1090).
Agamemnon et Ménélas sont les deux fils d’Atrée : ces rois grecs ont pris la ville de Troie, en Asie mineure, avec l’aide d’une armée venue de toute la Grèce.

1/ Le festin de Thyeste
Atrée a un frère, Thyeste, qui lui conteste son pouvoir et séduit sa femme Aéropé. Atrée le chasse, puis fait semblant de se réconcilier avec lui et l’invite à un banquet. Il lui offre la chair de ses douze enfants dont il a haché les membres. Egisthe, tout jeune, échappe au massacre. Quand Thyeste identifie son repas, il maudit toute la famille. Atrée commet un triple crime : envers son frère, envers ses neveux, envers un hôte à qui il a feint de donner l’hospitalité. Cette malédiction est à l’origine des malheurs qui s’imposent à la lignée sur plusieurs générations et qui ont fourni leur matière à de nombreuses tragédies (Sophocle : Electre, Euripide : Electre, Iphigénie en Tauride, Hélène, Oreste, Iphigénie à Aulis).

2/ Les mariages d’Agamemnon et de Ménélas
Agamemnon — son nom signifie « à la très grande puissance » — et son frère épousent deux demi-sœurs, deux filles de Léda (princesse légendaire). Clytemnestre est la fille du mortel Tyndare, Hélène est la fille de Zeus qui s’est métamorphosé en cygne pour la séduire. Ces mariages sont la preuve de la qualité héroïque des Atrides. Ces femmes ont été courtisées par de nombreux prétendants. Contre toute attente, Hélène choisit Ménélas, dont la réputation guerrière est peu flatteuse, mais qui incarne une puissance aussi vitale que la force guerrière, celle du droit, de la force des engagements. Ménélas reçut par la suite la protection des Dieux.

3/ Le jugement de Pâris et la fuite d’Hélène
Les amours adultères d’Hélène sont à l’origine de la guerre de Troie. Cet épisode, par ses massacres immenses, signale la fin d’un âge de l’humanité, celui des héros.
Alors que les dieux fêtent les noces extraordinaires de la déesse Thétis (une nymphe marine) et du mortel Pelée (les futurs parents d’Achille), une querelle s’élève entre trois déesses. Héra (épouse de Zeus), Aphrodite (déesse de l’Amour) et Athéna (fille de Zeus, issue casquée et armée de la tête de son père) se disputent à propos de leur beauté respective. Pour les départager, on décide que le plus beau des mortels désignera la plus resplendissante des trois. Le berger Pâris, fils du roi Priam, garde ses troupeaux en Troade (le pays de Troie), dans les forêts du mont Ida. C’est lui qui désigne Aphrodite comme la plus belle. Cette dernière lui donne Hélène, la plus rayonnante des femmes, comme récompense. Pâris se rend donc chez Ménélas, séduit Hélène et s’embarque vers Troie avec les nombreux trésors qu’il a volés à l’époux trahi.

4/ Le sacrifice d’Iphigénie
Ce rapt déclenche le conflit entre Grecs et Troyens que raconte, entre autres, l’Iliade. La guerre commence par un acte monstrueux. Les Grecs, qui ont juré fidélité à Ménélas, se sont rangés sous le commandement de son frère guerrier Agamemnon. Ils rassemblent leur flotte sur la côte d’Aulis. Ils ne peuvent s’embarquer, les vents étant contraires ou absents. En effet, Artémis, la vierge chasseresse, est en colère contre Agamemnon, qui s’est vanté d’être meilleur chasseur qu’elle, et a pénétré dans un bois sacré consacré à la déesse. Selon Eschyle, Artémis, protectrice de la vie, s’indigne par avance du massacre qui va avoir lieu à Troie. Elle exige du roi qu’il lui offre, en compensation de sa faute ou des vies qu’il va prendre, ce qu’il a de plus cher, la vie de sa fille encore vierge. Selon E, elle meurt sur l’autel. Selon Euripide, Artémis la sauve en lui substituant au dernier moment une biche tuée à sa place et l’emmène en Tauride.

5/ La guerre de Troie et l’impiété des Grecs
Le conflit dure 10 ans et se solde par la prise de Troie. La ruse d’Ulysse permet aux Grecs de se cacher dans un cheval de bois. Ces derniers ne respectent pas les lieux sacrés. Ils pillent, massacrent, violent. Athéna, bafouée par Pâris, a avec Héra juré la perte de Troie. Mais devant l’impiété des Grecs, elle se retourne contre eux et fait du retour en Grèce un désastre : ils périssent presque tous. Elle sauve Ulysse qui erre sur les mers pendant 10 ans. Ménélas et Hélène passent par l’Arabie et l’Egypte avant de rentrer en Grèce.

6/ Le retour et l’assassinat d’Agamemnon
Agamemnon peut revenir sauf après la tempête qui disperse la flotte grecque. Il est tué par sa femme Cl qui assassine également Cassandre. Cette prophétesse, fille de Priam, avait été offerte à A comme esclave concubine. Les mobiles de ce double assassinat sont discutés par les poètes et dramaturges. Tue-t-elle pour pouvoir continuer à vivre aux côtés d’Egisthe ? Venge-t-elle sa fille ? Venge-t-elle, au nom de son amant, qui est aussi le dernier enfant de Thyeste, l’outrage dont a été victime son père ?

7/ Le matricide
A et Cl ont quatre enfants : trois filles (I, Chrysothèmis, Electre) et un fils (Oreste). Les deux filles survivantes (Chr n’apparaît pas chez Eschyle) subissent la dictature de C et d’Egisthe. Oreste est en exil en Phocide (près de Delphes) et se lie à Pylade (cousin germain et ami d’Oreste ; il épousera Electre). Sur ordre du dieu Apollon, dont il a consulté l’oracle à Delphes, il rentre chez lui pour venger son père et tue E et sa mère. L’acte accompli, il est persécuté par les E qui réclament justice au nom de la mère tuée. O se réfugie à Delphes, chez Apollon, qui l’envoie chez Athéna, à Athènes, où l’Aréopage juge son acte. Disculpé, il rentre chez lui.
Cette légende abonde en meurtres d’un type particulier, les crimes perpétrés contre des proches, « des oiseaux de la même volière » (E, 866). Les lois naturelles et divines sont transgressées. Il revient aux Erinyes de rappeler dans les E les trois crimes essentiels, 270 (« coupables envers un dieu, envers leur hôte ou leurs parents »), 544 : « Aux parents l’on doit le respect ;/honore-les d’abord, honore aussi/l’étranger séjournant chez toi/au nom de l’hospitalité ».


II -  Un parcours dialectique

1 -  Résumé des trois pièces

L’œuvre d’E groupe 3 tragédies en un tout qui constitue une trilogie. C’est la seule qui nous ait été conservée de toute l’Antiquité grecque. C’était l’usage des concours tragiques. Chacun des trois auteurs retenus devait présenter en une seule journée un groupe de trois tragédies formant un tout, suivi d’un drame satyrique se rattachant aux mêmes légendes. Au cours de l’évolution qui se fit au Vè siècle av JC, cette règle fut toujours observée, mais le lien entre les trois tragédies s’affaiblit. Au contraire, à l’époque d’E, ce lien est encore essentiel. Il fournit le sens des trois œuvres groupées.

• A nous fait assister au retour du roi, qui revient de la guerre de Troie et, après bien des années, retrouve en son palais sa femme Clytemnestre qui a eu bien des raisons de le haïr. Elle l’assassine.
Plan de la pièce
Prologue le Veilleur
Parodos Le chœur des vieillards
1er épisode Clytemnestre/le chœur
Intermède choral (1er stasimon)
2è épisode a/le héraut-le chœur b/ Clytemnestre
Intermède choral
3è épisode Agamemnon-Clytemnestre-Cassandre (muette)
Intermède choral
Exodos (avec parties lyriques) a/ Cassandre (muette)-Clytemnestre b/ Cassandre-le chœur c/intermède-cri d’Ag- puis Clyt-le chœur d/Egysthe et le chœur-puis Clytemnestre

• Dans Les C, Oreste, après des années d’absence, sept ans après la mort de son père, revient au palais comme vengeur et assassine sa mère Cl. Les deux pièces sont parallèles, opposant un meurtre à un autre meurtre.
Prologue Oreste-Pylade (muet)
Parodos le chœur avec Electre (Oreste et P cachés)
1er épisode a/le chœur-Electre b/+Oreste, scène de reconnaissance, puis grande scène funèbre en grande partie lyrique (kommos)
Intermède choral
2è épisode a/Oreste-Pylade (muet), le serviteur b/Clytemnestre c/intermède par le choryphée d/la nourrice-le chœur
Intermède choral
3è épisode a/Eg-le chœur b/bref intermède anapestique (coryphée) c/cris d’Eg-le serviteur d/Clyt, Oreste, Pylade
Intermède choral
Exodos : Oreste-le chœur

• Dans Les E, le cas d’O est examiné : il est poursuivi par les Furies qui s’attachent à punir son action. Il comparaît finalement devant un tribunal institué par Athéna dans la ville d’Athènes. L’apaisement d’un jugement porté par un tribunal et aboutissant à un acquittement vient mettre fin à la série des crimes.
A/ Delphes
Prologue a/La Pythie devant le temple b/Apollon-Oreste dans le temple c/Apparition du spectre de Clyt aux Erinyes endormies
Parodos Entrée successive des choreutes par le fond de la skènè
1er épisode Apollon-le chœur-Oreste
B/Athènes
Fin du 1er épisode a/rentrée d’Oreste et rentrée du chœur (épiparodos) b/Oreste-le chœur
Intermède choral avec prélude anapestique
2è épisode Athéna-Oreste-le chœur
Intermède choral
3è épisode Scène du jugement : Athéna-Oreste-le chœur puis Apollon-les Aréopagites
Exodos Athéna-le chœur, avec dialogues lyriques (kommoi) et exode proprement dit (chœur final et cantique de procession)

2 – Mouvement dialectique

Tous les détails des deux premières pièces tendent vers cette solution qui apporte l’indispensable conclusion. La trilogie est donc une large construction dont le sens ne se comprend que si l’on saisit la série des trois pièces. Lire une seule pièce ne peut conduire qu’à des contresens. Mises en scène contemporaines montent d’ailleurs la trilogie dans son ensemble.
Chaque pièce peut donc être lue et interprétée comme le moment d’une dialectique exposée en trois temps.
• La thèse
Tout d’abord, dans A notamment, le rappel d’une justice divine traditionnelle et ancienne qui châtie les fautes commises par les hommes que l’hubris et l’orgueil poussent à la démesure. Ces derniers, se voulant ou se croyant l’égal des Dieux, se rehaussent jusqu’aux divinités ou au contraire rabaissent ces dernières. A chaque fois, les Dieux en colère, eux-mêmes irrités, jaloux et malveillants, punissent les humains dont la démesure et l’excès leur est insupportable. La colère divine se matérialise dans le choix de supplices terribles et éternels. Le coupable est généralement envoyé dans le monde d’Hadès. Prométhée, Tantale ou même Ixion, évoqué dans les Euménides, sont soumis à des châtiments effroyables qui ne cesseront jamais.
Notons que cette justice divine est aux mains de Dieux dont la psychologie haute en couleurs explique la diversité des réactions et des peines choisies. Les Dieux, comme les humains, sont passionnés, bouillonnants, agacés, froissés, piqués au vif. Ils réagissent avec leur caractère, leur affect, ce qui explique qu’un même crime puisse diversement être puni suivant le Dieu qui prend en charge le montant de la peine.
Ainsi on peut voir dans cette première pièce que les personnages d’A et de C sont coupables d’hubris.
Ex 1 : Le tapis de pourpre que C déroule pour le retour de son époux matérialise cette démesure qui est celle d’un combattant déchaîné qui a semé la mort et la désolation autour de lui. Le chœur évoque la solitude et la douleur de toutes les mères en deuil à la suite de la guerre de Troie. Le deuil s’étend à « toutes les maisons d’où les guerriers partirent » ; le chœur évoque les douloureux souvenirs qui s’attachent à ceux qu’on ne reverra pas. Surgit l’image de la mort à la guerre, cette mort par laquelle les hommes ne sont plus que cendres : « Arès, changeur de mort, dans la mêlée guerrière a dressé ses balances, et, d’Ilion, il envoie aux parents, au sortir de la flamme, une poussière lourde de pleurs cruels — en guise d’hommes, de la cendre, que dans des vases il entasse aisément » (438-445). A est donc à la tête d’une conquête sanglante. Le héraut, qui apporte des nouvelles de la guerre et de la prise de Troie, évoque les misères que les survivants ont souffertes. Il parle de la chute d’Ilion et du sac de la ville.
Un peu plus loin, quand A lui-même évoque sa victoire, il emploie des mots qui suggèrent l’excès dans la violence, la disproportion entre la cause de cette guerre (la fuite coupable d’Hélène) et son effet destructeur. Sa fierté est une manifestation de démesure. Le roi a montré lors de cette guerre une attitude de violence et d’orgueil, depuis la décision (sacrifier sa fille I) jusqu’à sa conduite à Troie. Dans cette pièce, l’accent est mis constamment sur le deuil qui suit la guerre et sur la cause disproportionnée et déraisonnable pour laquelle on a fait cette guerre. L’imprudence et l’orgueil d’A sont condamnés. Il a fait la guerre pour une femme, pour une femme qui ne lui était rien, pour une infidèle partie de son plein gré. Cette guerre n’est ni défensive ni légitime.
D’une certaine façon, A meurt pour avoir été coupable d’hubris. Les Dieux le condamnent par l’entremise de Cl.

Ex 2 : C elle-même accueille avec une joie et une fierté intenses la mort d’A. Elle se montre arrogante et prononce des paroles d’une brutalité effrayante.

• L’antithèse
Dans un deuxième temps, la trilogie propose un nouveau modèle de justice : désormais ce sont les hommes, accompagnés des Dieux olympiens qui vont juger, et selon une procédure instituée par Athéna dans les Euménides au cours du quatrième épisode. Cette justice en passe par la parole, par un débat argumenté, en présence d’un jury composé d’êtres humains. Pour la première fois, à la démesure antérieure des uns et des autres, on oppose la mesure. Alors qu’auparavant la démesure répliquait à la démesure. « Le dieu en toutes choses a concédé la force/à la mesure, qui toujours veille sur tout » (529-530). Pour la première fois, on propose que l’excès soit pansé non par un nouvel excès mais, au contraire, par une mesure, qui seule peut ramener la paix et la prospérité dans la cité : « oui, l’excès est vraiment le fils/de l’impiété, mais de la pensée saine/naît le bienfait tant souhaité, /la bien-aimée prospérité ».
Au cours de cette étape, les dieux anciens sont prudemment écartés. Ils participent au débat mais leurs arguments sont refoulés. A l’issue du procès, les E se montrent toujours aussi menaçantes et Athéna et les hommes peuvent craindre qu’elles continuent de poursuivre et de malmener ceux qu’elles estiment coupables.

La synthèse ?
Dans un troisième temps, la trilogie entend, par l’entremise d’Athéna, réconcilier ces deux formes de justice. Les E ne doivent pas rester à l’écart. La justice qui vient de naître doit d’ailleurs être capable de faire siens certains traits de la justice archaïque, et notamment sa capacité de dissuasion grâce à la peur et la crainte qu’elle doit susciter chez l’humain.
Pour la prospérité, pour la paix et pour l’éclat de la cité, il est nécessaire, une fois Oreste acquitté, d’intégrer les Erinyes à Athènes. Il s’agit de dompter ces furies animales, d’adoucir ces déesses pleines de bruit et de fureur. Athéna s’y emploie avec adresse au cours à la fin des Euménides. Lire 848. Son discours se montrer tolérant, respectueux. La déesse craint avant tout la discorde et la guerre civile. Elle propose un marché, un contrat avec ces déesses encore animées par la colère et la jalousie. Elle les accueille dans sa cité, faisant preuve d’hospitalité, qui est l’un des devoirs les plus importants du citoyen athénien. 867  « Tel est le choix que je t’offre : bienfaisante, bien traitée, bien honorée, avoir ta part de ce pays chéri des dieux ». Et celle qui se présentait dans l’épisode précédent comme le président du tribunal se transforme en avocat qui plaide habilement pour les Erinyes. Avocat dont la parole douce et raisonnable a une valeur performative : « Ton charme semble opérer — je quitte ma colère ». Les anciennes ennemies deviennent amies, alliées, et cette union, qui transcende les différences générationnelles, est le gage d’une harmonie enfin trouvée.

• L’exposé d’un conflit entre des justices superposées et contradictoires
Affrontement entre une justice archaïque, sacrée, entièrement gouvernée par des Dieux le plus souvent eux-mêmes injustes et excessifs dans leurs revendications, et une justice démocratique qui fait intervenir cette fois les hommes et les dieux plus jeunes, main dans la main.
Or ce conflit, grâce au mouvement dialectique de la tragédie, est dépassé. On constate l’impasse d’un droit relatif et changeant suivant les humeurs et les tempéraments des hommes et des Dieux : ce droit ne mène qu’au crime, à la vengeance, dans un cycle qui ne parvient pas à s’interrompre. Grâce à la médiation d’Athéna, une justice qui participe de l’immanence et de la transcendance est nouvellement mise en place. Elle réconcilie les adversaires, les ennemis, les générations, et permet à la cité de se développer selon un ordre à la fois beau et bon.
NB : la trilogie est en fait une tétralogie dont la dernière pièce ne nous est jamais parvenue. Il s’agissait d’un drame satyrique, Protée. D’après le récit du chant IV de l’Odyssée, on peut imaginer qu’il s’agissait de raconter comment Protée, le prophète multiforme, et sa fille Idothée révèlent à Ménélas, dans l’île égyptienne de Pharos, le sort des autres guerriers grecs. Les questions posées au héraut, dans Ag, sur le sort de Ménélas, et le récit de la tempête qui a séparé celui-ci des autres chefs achéens, servaient sans doute de préparation à cette 4è et dernière partie de L’O.



III - Du déséquilibre à la mise en place d’un nouvel équilibre : d’Argos à Athènes, de la cité non cité (une cité sans citoyenneté) à une cité qui se fonde

1 – la fin de la violence privée
Dans A comme dans les Ch, le déséquilibre affecte les cités comme les familles, et par la suite, les individus. La violence, en effet, règne.
Il s’agit tout d’abord de la violence de la guerre, celle qui, durant dix ans, affecte Troie et ses habitants.
Ensuite il s’agit de celle qui dissout l’unité des familles :
Hélène a trompé quitté son mari [le chœur est particulièrement sévère avec cette dernière dans A : « Elle a, comme le portait son nom (élein veut dire perdre), perdu les vaisseaux, perdu les hommes, perdu les villes, en s’échappant des molles tentures du lit nuptial pour s’enfuir par mer au souffle puissant du Zéphir »].

A a sacrifié sa fille, ainsi que le rappelle avec rage et désespoir C une fois qu’elle a perpétré son crime : « Cet homme a immolé sa propre fille, l’enfant chérie de mes entrailles, pour charmer les vents de Thrace » (A, 1420)

Clytemnestre a trompé son mari, elle délaisse ses enfants survivants, A trompe sa femme avec Cassandre : le noyau familial est mis à mal. La famille est soumise à des pressions telles qu’elle implose. Dans ces conditions, on imagine mal comment le renouvellement des générations va pouvoir perdurer…

Ce déséquilibre met à mal les rapports politiques comme les rapports humains. Chacun devient l’ennemi d’autrui. La guerre elle-même n’est pas menée au nom de motifs raisonnables ou de valeurs transcendantes : une simple mortelle adultère, Hélène, est à l’origine d’un conflit sanglant qui a duré une décennie.
 Plus personne n’est protégé. Les habitants d’Argos vivent dans la peur et méprisent leur nouveau maître, Egisthe. Le coryphée déclare ainsi à la fin d’A : « Quoi ! Je te verrais roi d’Argos, toi qui as tramé la mort de cet homme et qui n’a pas eu le cœur d’agir et de le tuer de ta main ! […] ». Il n’hésite pas à se moquer d’un roi faible et impuissant : « Vante-toi hardiment, comme un coq près de sa poule ».
 La violence a gagné toutes les sphères de la société et elle n’épargne personne. Les enfants haïssent leurs parents, les mères se détournent de leurs enfants, les femmes trompent leurs maris, les pères sacrifient leurs filles, les maîtres des palais ont disparu, les citoyens conspuent leurs maîtres. Le désordre est généralisé, la guerre civile menace.
Les hommes pensent à tort que la vengeance et le meurtre peuvent rétablir un semblant d’équilibre. Au contraire, le sang appelle le sang, et la démesure d’un meurtre n’est jamais neutralisée par un nouveau meurtre. C tue son époux, O tue sa mère, mais ce double meurtre ne permet aucunement de mettre un terme à l’histoire ensanglantée des Atrides.
Ce déséquilibre peut prendre les formes suivantes : le mensonge et la tromperie sont fréquents, l’hypocrisie règne, la peur paralyse tous les individus, la terreur règne dans la cité, les valeurs sont perverties,  les hommes sont féminisés (il est dit d’E qu’il a un cœur de femme, cf Oreste Les C305), les femmes masculinisées, les enfants ne parviennent pas à devenir des adultes et sont contraints à un exil intérieur (E) ou extérieur (O).
Cf le chœur au début des C, qui décrit l’atmosphère régnant à Argos : 51 et sq « Repoussant le soleil, odieuse aux mortels/l’ombre recouvre de son voile/les maisons dont le maître est mort/. Invincible, indomptable, irrésistible respect, /tu pénétrais jadis l’oreille et la pensée du peuple ;/aujourd’hui tu as disparu. La crainte/règne, et le succès/les mortels en ont fait un dieu et plus qu’un dieu ».



2 - D’une justice commutative à une justice distributive

La justice archaïque à l’œuvre dans les premières pièces de la trilogie relève d’une logique commutative. Au crime, au mal, à la faute, à l’excès, on répond par un autre crime, un mal bis, la redondance d’une faute, la poursuite de l’excès. Le châtiment est calqué sur le crime. Les Dieux ont pour fonction de rétribuer les maux selon un principe d’équivalence arithmétique. Aristote dirait qu’il s’agit d’une forme de justice commutative.
Oreste dit ainsi obéir à Loxias qui lui demande de rendre meurtre pour meurtre, 277, « Non, Loxias ne me trahira pas, lui dont le puissant/oracle m’ordonnait d’aborder ce péril/à grands cris, lui qui glaçait mon foie brûlant/sous la tourmente annonciatrice de ma perte/si je ne traitais pas les meurtriers/tout comme ils ont traité mon père, rendant meurtre pour meurtre ».
 Le coryphée parle lui aussi de « rendre mal pour mal » 123.
C’est d’ailleurs l’échange marchand et économique qui sert de modèle pour dire et penser cette justice. Ainsi le coryphée ds les C déclare au cour d’un kommos 309 « Le mot de haine, qu’il soit payé d’un mot de haine, voilà ce que proclame la Justice, qui exige ce qu’on lui doit ». Oreste évoque également son devoir comme une « dette » (385, Les C). Cette justice est une manifestation de la loi du Talion : le sang réclame le sang, ainsi que le rappelle le coryphée v 400 ds les C.

Avec l’invention d’un tribunal humain, la justice change d’aspect. Désormais est mise en place une hiérarchie des peines et des châtiments. Ces derniers n’ont plus rien d’automatique. Ils sont, au contraire, l’objet d’une discussion, d’un débat. La sentence n’est pas connue a priori. Elle est la conclusion d’une délibération, d’une médiation, bref, elle inclut la réflexion et laisse au temps le temps de calmer les esprits. Le coryphée l’exprime très nettement dans les E face à Athéna : « Alors fais ton enquête et que ta sentence soit droite » 433. Aux citoyens de rendre un verdict qui ne peut être connu d’avance et qui doit prendre en compte toutes les données, toutes les versions, toutes les parties mises en cause. Il est vrai que la pièce présentant un O non coupable, la question de la peine qui aurait pu lui être infligée n’a même pas à être évoquée.

3 -  D’une justice punitive à une justice réparatrice

La justice archaïque est avant tout punitive. Elle ne s’affirme que dans la négation, dans le châtiment, dans la condamnation. C’est une justice qui ne sait pas faire autrement que faire le mal, et qui, ainsi, se révèle impuissante à l’éradiquer. Cette justice est partiale : suivant les caractères et les humeurs des Dieux qui la mettent en œuvre, elle peut être plus ou moins sévère.
 En général, le châtiment enferme le coupable dans un temps fermé. Il est condamné à souffrir éternellement. Sa souffrance et sa peine ne connaîtront jamais de fin. Le châtiment est certain et il ne peut être ordonné que par les Dieux.
Même quand ce sont les hommes qui agissent, ils le font par rapport à un ordre divin, et sont ainsi soumis à une fatalité qui leur ôte toute liberté. Même si O hésite au moment de tuer sa mère, il n’a pas vraiment la possibilité de renoncer à cet acte. S’il laissait la vie sauve à sa mère, il provoquerait la colère d’Apollon. O est donc pris en otage entre deux volontés divines : d’une part celle d’Apollon, d’autre part celle des E. Quoi qu’il fasse, il sera poursuivi de la colère divine. La notion de Destin et de fatalité, et les références plurielles à Atè, déesse de la divinité, expliquent ainsi une condition humaine. Entre la haine des hommes et celle des Dieux, O, raisonnablement, doit choisir la premier, ainsi que l’expose Pylade à son ami : « La haine de tous les hommes est moins à craindre que les dieux » 904. Le matricide évoque d’ailleurs le Destin lorsqu’il s’adresse à sa mère juste avant de l’assassiner : « C’est aussi le Destin qui t’a préparé cette mort ».

Au sein de cette justice punitive, l’homme qui la réalise est présenté comme un chasseur. O chasse sa mère (Les C, 939). L’homme qui accomplit cette justice est souillé par l’acte même qu’il a commis. Cette justice punitive exclut donc non seulement les criminels, mais encore ceux qui les pourchassent. A terme, une telle justice vide l’espace de l’humanité. Elle ne sait que faire le vide, et dépeuple les maisons, les cités et les palais. Le chasseur est lui-même condamné à être chassé.
Au contraire, la justice réparatrice qui naît avec le tribunal de l’Aréopage réintègre les hommes et, notamment, les criminels. Cette justice n’exclut pas définitivement. Si elle éloigne le coupable de la cité, ce n’est que temporairement. A terme, elle vérifie qu’un homme vaut plus que ses actes et qu’au temps de la peine doit succéder celui de l’accueil.



4 - D’une justice privée à une justice publique

La justice privée est celle que les hommes accomplissent, individuellement, en répondant plus ou moins aux ordres édictés par des Dieux supérieurs. Ces vengeances ont pour cadre la famille, et touchent des membres internes à l’oïkos. Il s’agit de vengeances effectuées dans le secret des palais et des appartements. Une vengeance qui fait hurler les criminels et les victimes. Une vengeance toujours sanglante, que la dramaturgie met en scène grâce à des objets et des ustensiles symboliques frappants : le glaive, le filet, la couleur rouge du sang qui doivent frapper l’imaginaire des spectateurs. A cette justice privée, qui s’accomplit pourtant sous le regard distancié du chœur, va succéder une justice publique, celle des tribunaux humains, qui instaure la présence de tiers — encore muets dans Les E — qui assurent un déroulement nettement moins passionnel des affaires humaines.
Oreste est un justicier qui agit pour et par Apollon. Au fil de la trilogie, il opère une sorte de conversion civique qui donne à son acte une toute autre portée.

IV - Concl : • L’O a donc une portée poétique et idéologique très nette.

 Sur le plan poétique et dramatique, elle constitue une symphonie à trois mouvements. A est d’abord un hymne triomphal où perce peu à peu une sourde angoisse. Puis éclate le cri du héros abattu, et la pièce s’achève dans le tumulte d’un combat. Les C, lent chant funèbre et invocation sauvage, se terminent aussi dans la fureur du meurtre. Les E, au contraire, commencées en une poursuite frénétique, se concluent par un chant processionnel et apaisé.
Sur le plan politique, on y voit l’alternance perpétuelle des vengeances meurtrières engendrées par la loi du sang et l’Egarement fatal (l’Atè) se résoudre dans la justice impartiale et sereine de la cité. Les dieux anciens se réconcilient avec les nouveaux dans les institutions cultuelles d’Athènes.
• La tragédie a une fonction cognitive. Elle est un art total qui permet de connaître, d’étudier, d’interroger.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire