vendredi 27 janvier 2012

Colle avec Mme Féron

la colle de Mme Féron aura lieu en F.204 le mercredi de 9h à 10h

jeudi 26 janvier 2012

IMPORTANT changement d'emploi du temps

A partir du mercredi 1er février, les matinées des vendredi et mercredi matins sont inversées, et ce jusqu'au retour de Mme Cosnefroy

Ce qui donne

Mercredi 8-10 Maple C 203
Mercredi 10-12 Maths D 203

Vendredi 8-10 Maths D 206
Vendredi 10-12 Français D 203




la colle de Mme Féron sera le mercredi à 9h


Par ailleurs n'oubliez pas l'inversion des colles Caml !

Programme de Colle de Mathématiques semaine 16

Programme de colle de Physique semaine 16

mercredi 25 janvier 2012

Venger, pardonner ou juger ?


Venger, pardonner ou juger ?
VARIATIONS LITTÉRAIRES FRANÇOIS OST FACULTÉS UNIVERSITAIRES SAINT-LOUIS ( BRUXELLES)
jeudi 19 janvier 2012, par Vice présidence Lettres
  Sommaire  
La justice, les juges et les procès n’ont cessé d’inspirer la littérature, le théâtre et le cinéma. Est-il possible de mettre un peu d’ordre dans ce matériau foisonnant ? Entre la justice qu’on se fait à soi-même et celle que rend le tiers institué, entre la justice officielle, l’équité, le pardon, la vengeance, est-il possible de tracer quelques lignes de partage balisées par de grands archétypes littéraires ?
La présente contribution entend jeter quelques jalons de cet ambitieux projet, et ce au bénéfice d’une double distinction. La première est bien connue ; elle départage justice privée et justice officielle (généralement étatique). La seconde est inspirée par la philosophie de Paul Ricoeur qui, réfléchissant sur le sens de l’acte de juger, lui assigne une double fonction que, pour faire bref, nous désignerons provisoirement des deux termes de « répartition » et de « participation ». A noter qu’on n’aborde pas ici la fonction de « véridiction » exercée par la justice (établir les faits pertinents de la cause), préalable à sa fonction de « jurisdiction » ( dire le droit et le juste, selon les deux axes de Paul Ricoeur) et aussi essentielle qu’elle. Une telle étude demanderait un travail au moins équivalent à celui qu’on entame. Qu’il suffise de rappeler d’emblée la nature conventionnelle (et donc construite) de la vérité judiciaire, comme en atteste si bien l’adage « res iudicata pro veritate habetur ».
A l’aide de ce tableau à double entrée nous proposerons une grille d’analyse qu’un parcours buissonnier au sein de la littérature mondiale permettra à la fois d’illustrer, de nuancer et subvertir. C’est que si les œuvres de fiction offrent quelques témoignages emblématiques de telle ou telle figure du tableau, elles proposent aussi un infini dégradé de situations qui auront tôt fait d’en complexifier les partages théoriques toujours trop réducteurs.
 Paul Ricoeur et les deux fonctions l’acte de juger.
. Dans un texte aussi court que profond, Paul Ricoeur s’interroge sur la finalité de l’acte de juger 1. Au terme d’une sorte de phénoménologie du jugement, il en distingue une finalité courte « en vertu de laquelle juger signifie trancher, en vue de mettre un terme à l’incertitude », à quoi il oppose une finalité longue « à savoir la contribution du jugement à la paix publique »2. Dans le premier sens, l’« arrêt » met un terme à un débat, virtuellement interminable, par une décision qui deviendra définitive par l’écoulement des délais de recours et à l’exécution de laquelle la force publique prêtera son concours. Ce faisant, le juge aura rempli une première fonction : il aura attribué la part qui revient à chacun, en application du vieil adage par lequel les Romains désignaient le rôle du droit : suum cuique tribuere. Le juge aura attribué des parts ou rectifié les parts indûment accaparées par l’un ou l’autre — en un mot : il aura dé-partagé les parties. Il opère ainsi comme une institution essentielle de la société que J. Rawls présente précisément comme un vaste système de distribution de parts. En ce premier sens, juger c’est donc l’acte qui sépare, qui départage (en allemand, Urteil, jugement, est explicitement formé à partir de Teil, qui signifie la part).
Mais l’acte de juger ne s’épuise pas dans cette fonction séparatrice. S’il est vrai que, plus fondamentalement, il se produit sur un arrière-plan de conflit social et de violence larvée, il faut bien que le procès, et le jugement qui le clôture, poursuivent une fonction plus large, d’alternative institutionnelle à la violence, à commencer par la violence de la justice qu’on se fait à soi-même. Dans ces conditions, poursuit P. Ricoeur, « il apparaît que l’horizon de l’acte de juger, c’est finalement plus que la sécurité, la paix sociale »3. Pas seulement la pacification provisoire qui résulte d’un arrangement imposé par la loi du plus fort, mais une harmonie rétablie du fait qu’une reconnaissance mutuelle s’est produite : chacun des protagonistes, quel que soit le sort de son action, doit pouvoir admettre que la sentence n’est pas un acte de violence mais de reconnaissance des points de vue respectifs. A ce niveau, on s’est élevé à une conception supérieure de la société : non plus seulement un schème de distribution de parts synonyme de justice distributive, mais la société comme schème de coopération : par la distribution, mais au-delà de celle-ci, par la procédure, mais au-delà de celle-ci, se laisse alors viser quelque chose comme un « bien commun », qui précisément fait lien social. Un bien, paradoxalement, fait de valeurs éminemment partageables. En ce point, la dimension communautaire a pris le relais de la dimension procédurale, incapable, à elle seule, de conjurer la violence. En résumé, le partage judiciaire, c’est tout à la fois l’attribution de parts (qui séparent) et ce qui nous fait prendre part à la même société, c’est-à-dire ce qui nous rapproche. De la répartition surgit une propriété émergente, plus importante que la part qui échoit à chacun : la concorde rétablie, la coopération relancée.
 Un tableau à double entrée.
Nous sommes maintenant en mesure de présenter un tableau à double entrée de la justice et de ses alternatives, en croisant un axe vertical qui distingue justice instituée et justice privée, avec un axe horizontal qui prend en compte la présence de l’une ou des deux fonctions de l’acte de juger, soit encore le défaut de l’une et de l’autre. Huit cadres ou figures peuvent ainsi être identifiés.
Les figures 1 et 2 visent le modèle d’une justice « idéale » qui combine le juste partage des parts avec la fonction d’intégration ou de restauration de la paix sociale . Les Euménides d’Eschyle racontent l’institution d’une telle justice publique qui s’arrache à l’antique loi du talion. Nous n’avons pas identifié d’exemple littéraire d’une tel modèle privé, mais les illustrations devraient être aisées à trouver.
Les figures 3 et 4, qui visent des formes de justice, publique et privée, préoccupées seulement de compensation des torts (fonction courte), relèvent d’un souci de simple équilibre, ou de statu quo : l’ordre social a été troublé par une faute ou un dommage qu’il s ‘agit de réparer. Un mal pour un mal, tant pour tant – dans ces conditions, le mal « s’entretient ». La figure 4 (vengeance privée) s’avère particulièrement bien documentée en littérature, avec notamment une variante importante : la justice que l’on se fait à soi-même, par le suicide, généralement.
Les figures 5 et 6 illustrent quant à elles un modèle du pardon, plus fréquent dans le registre privé que dans le domaine public. Un tel modèle se caractérise non plus par l’équilibre, mais par l’excès : excès du don, de l’abandon et du pardon. On s’affranchit de la logique du donnant-donnant, et on tente de produire cette propriété émergente qu’est la restauration du lien social.
A l’inverse, les figures 7 et 8, qui décrivent cette fois l’absence des deux fonctions attachées à l’acte de juger, tracent le modèle d’une justice en défaut : défaut ou déni de justice. La littérature s’avère ici particulièrement riche, tant dans l’ordre public, avec le portrait de toutes sortes de juges partiaux ou vénaux, que dans l’ordre privé avec un crescendo dans la dénaturation qui culmine dans les récits de justice perverse qui abondent sous la plume du marquis de Sade.
Justice instituée
Cumul des deux fonctions : Départager/faire prendre part
1.ESCHYLE : Les Euménides
2.
Seulement départager
3. Fr. MAURIAC, Thérèse Desqueyroux
4. Vengeance privée : SHAKESPEARE, RACINE, von KLEIST Variante : se faire justice à soi- même
- F. DÜRRENMATT, La panne
- A. NOTHOMB, Cosmétique de l’ennemi
Seulement faire prendre part
5. Commission « vérité et réconciliation »
6. Le pardon :
- H. MELVILLE, Billy Bud, marin
- L. TOLSTOÏ, Résurrection
- E. WIECHERT, Le juge
Absence des deux fonctions
7. Les juges partiaux ou vénaux qui corrompent la justice :
- W. SHAKESPEARE, Mesure pour mesure, Le marchand de Venise et Richard II
- von KLEIST, La cruche cassée
- LA FONTAINE, Fables
8. - L’oubli : M. KUNDERA, La plaisanterie - La justice immanente : Fr. KAFKA, Le procès - La justice perverse : SADE
 Cumul des deux fonctions . Le modèle idéal.
C’est dans les Euménides d’Eschyle, tragédie écrite en 460 avant notre ère, qu’on pourra trouver un des exemples littéraires les plus emblématiques de l’institution d’un tribunal (l’Aréopage) capable, ici dans le dossier Oreste le matricide, de surmonter l’antique loi du talion, et de prononcer finalement un verdict d’acquittement après que des arguments rationnels aient été échangés .
En l’espèce, la fonction première de la justice (régler un litige en attribuant à chacun ce qui lui revient) est à la fois remplie et dépassée ; c’est que le règlement intervenu ne se borne pas seulement à « remettre les choses en l’état », il renoue le lien civique et, peut-on dire, contribue même à renforcer la paix sociale ; c’est ce dernier point, moins connu mais essentiel, que je voudrais mettre en lumière. Côté Oreste, la chose est évidente : arraché au bras vengeur des Erynies, il est d’abord accueilli comme suppliant par la ville d’Athènes, puis amené à s’expliquer au tribunal, et enfin réintégré à la communauté des vivants alors même que le menaçaient le délire et les enfers .
Mais la réconciliation et la réintégration étaient encore plus difficiles à obtenir du côté des Erynies qui se voient arracher une de leurs victimes naturelles et finalement humiliées par un verdict qui signe le déclin de leur autorité à Athènes. Athéna devra faire preuve d’une ténacité hors du commun pour calmer la colère des « Furies à la longue mémoire » et obtenir finalement le retournement spectaculaire qui les transformera en bienveillantes protectrices de la cité (« Euménides »). Tous les registres de la persuasion (peitho) seront parcourus en 140 vers et non moins de quatre longues tirades. Le plus urgent est d’abord de restaurer l’honneur de la partie succombante : « vous n’êtes pas vaincues » (v. 795) ; le partage des voix qui est intervenu n’a, en effet, rien de déshonorant pour elles. Vient ensuite la supplication modeste (« n’abattez pas sur mon pays votre lourde colère », v.800), assortie d’une promesse (« je vous promets, en toute justice, un séjour équitable en mon pays (...) mes citoyens vous rendront les honneurs », v.804-807). Rien n’y fait ; les Erynies reprennent, inébranlables, leurs lamentations menaçantes. Athéna change alors de registre : la voilà qui fait mine de comprendre leur fureur qu’explique sans doute leur plus grande sagesse. Mais qu’à cela ne tienne : elle prédit une prospérité sans égale pour Athènes et invite les Erynies, une fois de plus, à s’associer à cette bonne fortune : « tu verras un cortège d’hommes et de femmes te rendre un culte que tu n’obtiendrais pas ailleurs »(v. 856-857). Nouveau refus. « Je ne me lasserai pas de plaider pour ton bien », répond Pallas, bien décidée à en découdre (v.881) ; « si tu respectes saintement la persuasion, le charme apaisant de ma langue, pourquoi ne pas rester ? » (v. 885-887). Cette fois, Athéna semble avoir marqué un point ; une faille se fait jour dans la détermination du chœur des Furies : « comment sera ma résidence ? quels honneurs m’attendent ? », demandent-elles (v.892-894) . Et enfin cette ultime question : « tu me le garantis à tout jamais » (v.898). Ainsi la persuasion aura fait son office ; les Erynies sont désormais disposées à entonner un hymne de bienfaisance en lieu et place de leur thrène des morts, l’hymne sans lyre de sinistre mémoire. Tout peut maintenant se retourner : semailles, moissons, prospérité sont évoquées là où, au cours des 3600 vers précédents il n’était question que de sang, de lèpre et d’infection.. Paroles propices, oracles bienveillants et bonnes grâces ont pris la place, dans la bouche de celles qu’on nomme désormais les Euménides, des imprécations dont elles étaient peu avares jusqu’ici : « que jamais en la cité ne vienne gronder la discorde, mais qu’à la joie, la joie réponde » (v.984).
 Répartir, compenser ou se venger, le modèle du statu quo.
Une justice qui se borne à « attribuer à chacun le sien » est-elle à la hauteur de sa mission ?
Nombreux sont les auteurs à répondre par la négative à cette question. C’est que, en se contentant de rétablir l’équilibre social un instant compromis, cette justice ne pénètre d’aucune façon dans les motivations des protagonistes, pas plus qu’elle ne s’interroge sur la justice intrinsèque de l’ordre qu’elle restaure. Il faudrait réfléchir ici à la féconde distinction entre litige et différend qu’introduit à cet égard J.-F. Lyotard. Alors que le litige est redevable d’un code de principes et de valeurs commun aux deux protagonistes, de sorte qu’il conduit normalement à la compensation du plaignant qui a subi un dommage (lui aussi évaluable selon des échelles acceptées), le différend, en revanche, demeure intraitable : il n’est qualifiable par aucune règle commune, de sorte que le tort que subit la victime reste non compensé, et souvent même inexprimable.
Un auteur comme François Mauriac a poussé cette critique a un point de radicalité rarement égalé . Observateur attentif de la vie judiciaire (tant en ce qui concerne la justice civile, que les assises, ou encore la justice politique, notamment à l’occasion de l’épuration d’après-guerre ou des mouvements de libération coloniale), Mauriac a eu l’occasion de se persuader de ce que la justice humaine est « ce qu’il y a de plus horrible au monde » quand elle n’est pas inspirée par la charité.
Une telle justice n’est, dans ce cas, qu’une manifestation de plus de la grande loi de « l’entre-dévorement » qui régit l’histoire (on sait que Mauriac, partageant en cela la conception tragique de la nature humaine qui était celle de Pascal, est convaincu que le mal est originel et consubstantiel à l’homme, et que, dans ces conditions, l’histoire n’est que la répétition infinie du crime de Caïn).
Plus concrètement, cette justice lui apparaît impersonnelle, inhumaine et mécanique. Elle stigmatise, catalogue, réifie et retranche pour cette raison qu’elle répugne à se mettre à la place du justiciable et s’avère donc, a fortiori, incapable de lui pardonner. Une telle justice n’est, somme toute, que la reproduction de l’ordre établi (qu’il s’agisse des privilèges des possédants dans l’ordre de la propriété privée, et de l’hégémonie des plus forts dans la sphère publique) : en compensant le déséquilibre apporté à l’ordre établi, elle renforce et légitime indéfiniment cet ordre. En se cantonnant dans une logique quasi arithmétique d’équivalence des fautes, elle n’est que la version officielle et institutionnelle de la vengeance privée et du lynchage.
Loin d’assurer les conditions d’une reconnaissance mutuelle de la victime et du coupable (réel ou potentiel) , cette forme de justice légaliste a pour fonction réelle d’exclure les individus censés de ne pas s’intégrer à l’ordre social ( cette analyse est d’autant plus significative qu’elle émane d’un auteur peu suspect de militantisme de gauche). Mauriac qualifie cette justice en trompe l’œil de « justice de Pilate » – le consciencieux agent de l’Etat qui se lave les mains depuis deux mille ans - une justice qui se contente de donner l’apparence de l’impartialité.
Thérèse Desqueyroux (1927) est sans doute le roman de Mauriac le plus illustratif de cette critique d’une justice étatique « de Pilate » qui, tout en se donnant l’apparence d’une décision juste, se borne en réalité à se défausser sur la vengeance familiale privée, ce qui place l’œuvre à la charnière des figures 3 et 4. Thérèse, une bourgeoise provinciale qui étouffe dans l’atmosphère confite de sa belle-famille, tente d’empoisonner son mari ; le crime échoue, et une instruction judiciaire est ouverte. Pour préserver l’honneur de la famille, le mari, soutenu par les siens, retire sa plainte en vue de tromper la justice, de sorte que, au terme d’une instruction bâclée, une ordonnance de non-lieu est rendue. Voilà Thérèse rendue aux siens, à la vengeance des siens – ce plat qui se mange froid. De longues années de condamnation au silence l’attendent, enfermée qu’elle est désormais dans la prison d’un acte qui n’avait reçu ni reconnaissance ni sanction officielle. Tout se passe, en effet, au terme de cette ordonnance de « non lieu », comme si rien n’avait eu lieu, pas même l’intervention de la justice. Mais ce que révèle ce déni de justice c’est en définitive, sa complicité objective avec un ordre des familles dont toute l’œuvre de Mauriac dépeint la violente inhumanité.
C’est une même leçon qui se dégage de La lettre écarlate (1850), le grand roman de l’américain N. Hawthorne. La lettre écarlate est le signe d’infamie qui orne désormais le corsage d’Esther, superbe jeune femme coupable d’adultère dans une communauté puritaine du nouveau monde au XVIIè siècle. Mise au ban de la communauté, Esther supporte dignement son calvaire, en compagnie de sa petite fille, enfant du péché. Le mystère le plus profond règne cependant quant à l’idée du père. On devine progressivement qu’il s’agit du jeune pasteur de la communauté, prédicateur inspiré que tous prennent pour un saint. Loin de lui assurer l’impunité, l’anonymat derrière lequel il se retranche lui est cependant une torture bien pire que celle qu’endure Esther. Le remords le consume de l’intérieur bien plus cruellement encore que le stigmate extérieur de sa compagne. D’autant que, - la terrible vérité se dévoile peu à peu - l’infortuné pasteur vit en compagnie d’un vieux médecin (qui n’est autre que l’ex- mari d’Esther) qui a percé son secret et soumet le pasteur à une vengeance quotidienne qui finira par le consumer. Ici encore, mieux eût valu sans soute une sanction publique et une expiation à visage découvert.
La transition se fait ainsi naturellement avec la figure 4, celle de la justice privée, limitée à la fonction de compensation. Durant des millénaires, l’humanité n’a réglé ses conflits qu’à la faveur de la vengeance clanique, familiale ou privée. Et en Grèce classique encore, c’est un même terme, dikè, qui désigne la vengeance et la justice. Souvent canalisée et modérée par un ensemble de règles coutumières, la vengeance ne s’avère en effet pas irrationnelle : rendant le coup pour le coup – avec la même intensité et dans les mêmes formes, elle s’inscrit à sa manière dans la logique contractuelle du donnant-donnant et reproduit la grande loi humaine de la réciprocité. Par ailleurs, dans des sociétés traditionnelles et fermées, soudées par d’inflexibles codes d’honneur, elle apparaît même comme le devoir sacré de restaurer l’honneur bafoué. Le problème, évidemment, est que, faute d’intervention du tiers institué, il est malaisé de faire respecter ses équilibres, de même qu’on devine infinies les discussions sur la réalité de la faute et l’ampleur du dommage. On peut soutenir aussi que, d’être entretenu de génération en génération, cet esprit de vengeance finit par produire une haine qui se nourrit d’elle-même, et génère une violence en miroir que rien ne permettra plus d’arrêter.
Aussi bien, le thème de la vengeance parcoure-t-il la littérature universelle avec une extraordinaire récurrence . Bon nombre d’ œuvres de Shakespeare, de Racine et de von Kleist y trouvent le meilleur de leur inspiration. La place nous manque ici pour évoquer ne serait-ce que l’un ou l’autre de ces textes . On se contentera plutôt d’attirer l’attention sur une variante intéressante de cette quatrième figure : la justice que l’on se fait à soi-même, par le suicide le plus souvent. Comme si, déféré au tribunal de sa propre conscience, l’individu ne s’accordait plus ni alibi, ni circonstances atténuantes.
La panne de Fr. Dürrenmatt illustrera ce point (mais bien d’autres œuvres pourraient être citées, telle Cosmétique de l’ennemi d’Amélie Nothomb). Au cours d’une de ses tournées en province, un représentant de commerce, à défaut de trouver place à l’hôtel, est hébergé par un magistrat à la retraite. Celui-ci le convie à partager le dîner qu’il organise mensuellement avec un procureur et un avocat, retraités comme lui. Au cours du repas s’improvise un jeu auquel les trois compères semblent rompus : un procès fictif auquel l’hôte est invité à se prêter. Qu’aurait-il à craindre du reste : n’est-il pas un commerçant très ordinaire ? Au fil d’un interrogatoire habilement mené, il apparaît cependant que l’homme aurait bien pu être la cause – indirecte mais probable – de l’accident cardiaque qui a emporté son patron. Avocat et procureur se livrent alors à une joute passionnée que conclut une sentence de mort prononcée par le juge. Le jeu se termine dans la bonne humeur générale, les trois collaborateurs de la justice trop heureux d’avoir pu se livrer, une fois encore, à leur occupation favorite. Mais lorsqu’ils frappent à la porte de la chambre du commerçant pour lui signifier l’acte écrit de sa condamnation, ils le retrouveront pendu... Apparemment la conscience de l’homme s’était révélée plus inflexible que la petite compagnie des professionnels du droit.
Il faudrait relire également Crime et châtiment de Dostoïevski dans cette optique : qu’est-ce qui pousse en effet Raskolnikov à avouer son crime, sinon le besoin d’avouer, et, par là même, le désir de payer sa dette et d’ainsi réintégrer la société des hommes ?
 Faire prendre part. Le pardon , modèle de propriété émergente.
Parfois la réalité semble l’emporter sur la fiction : quel meilleur exemple évoquer en effet, pour illustrer un système étatique de justice qui renonce à se contenter de son rôle d’adjudication-rétribution classique en s’élevant d’emblée au pardon, gage de réconciliation et de concorde, que la fameuse Commission Vérité et Réconciliation mise en place en Afrique du Sud, au lendemain de l’apartheid, par Nelson Mendela et Mgr. Desmond Tutu ? Une telle commission, qui entend combiner aveux complets, réparation civile, pardon sollicité auprès des victimes et obtenu d’eux, et amnistie pénale, une telle commission s’analyse à la fois comme un geste de mémoire et un pari sur l’avenir. Le pardon qui s’y produit ne cache rien des faits et assure la pleine reconnaissance de la victime, mais, en rendant crédible la perspective d’un autre avenir collectif qu’un futur de rancœur, il permet aux protagonistes de s’arracher à un destin de malheur.
On soulignera, au passage et à la faveur de cette expérience, l’importance du récit dans l’œuvre de justice : il s’agit de construire une relation des faits qui, à défaut de s’avérer absolument exacte (qui dirait toute la vérité ? on sait, du reste, que la vérité judiciaire n’épuise en rien les vérités factuelles), fasse sens pour les protagonistes et soit accepté par la communauté. Il s’agit de « mettre des mots justes sur les faits » et aussi de « dire » la responsabilité ou la culpabilité des uns et des autres.
Reconnaissons cependant que le pardon est plus souvent le fait des individus et de la justice privée. Souvent, du reste, il procède du défaut de la justice publique (lorsque les faits sont prescrits aux termes de la loi, par exemple, ou que, dans le cas des crimes de masse les plus graves, une véritable réparation est tout simplement impossible)) ou alors de sa déchéance. Sous la plume d’un auteur radicalement utopique comme Léon Tolstoï, le pardon est une exigence évangélique qui est la seule réaction acceptable face au mal, dès lors qu’il appartient à Dieu seul de juger, et que tout système humain qui s’y risquerait serait, par nature, corrupteur et lui-même criminogène (c’est tout le thème de Résurrection).
L’écrivain allemand E. Wiechert, dans une nouvelle intitulée Le juge , en appelle également au pardon comme seul substitut possible à une justice dévoyée. Dans l’Allemagne nazie, à la veille de l’entrée en guerre, un juge d’instruction découvre que le coupable de l’assassinat politique sur lequel il enquête n’est autre que son propre fils ; il ne tarde pas à le confondre, et, assumant sa fonction de père autant que de juge, il persuade le fils (appelé – est- ce un hasard,- Christian) de se constituer prisonnier. Mais, dans l’Allemagne dévoyée, où le mal a pris la place du bien, il n’est personne pour le poursuivre – on le félicite plutôt d’avoir fait justice d’un opposant.
Reste alors au père de se rendre avec Christian auprès du « tribunal suprême », les parents de la victime. Christian sera finalement pardonné par ceux-ci ; quant au juge, il adresse le lendemain sa lettre de démission à ses supérieurs ; les dernières lignes sont ainsi conçues : « Là où il n’y a pas de justice, il n’y a place ni pour le droit, ni pour le juge ».
On trouvera un autre exemple singulier de combinaison entre pardon privé et faillite de la justice officielle dans Billy Budd, marin de H. Melville. Ce court roman de mer suggère l’idée de la justice comme un mal écessaire dans un monde marqué par l’universelle culpabilité du péché originel. Engagé de force dans la marine de guerre anglaise à l’époque du Directoire et au lendemain d’une vague de mutineries qui avait laissé des traces, Billy Budd est accusé, à tort, de mutinerie par le capitaine d’armes du bord. Incapable de se défendre verbalement, le marin assène un coup, qui se révèle mortel, à l’officier qui l’accuse. Il est aussitôt jugé par un conseil de guerre que préside le capitaine Vere ; tous sont convaincus de l’innocence du marin, mais sa condamnation à mort est néanmoins décidée car il n’est pas question de donner à l’équipage le moindre signe de faiblesse en ces temps de guerre et au lendemain d’une période de mutinerie. A la pointe de l’aube, Billy est pendu à la grand-vergue.
Au premier degré, on peut lire cette fable comme une féroce critique de la justice militaire expéditive qui, sciemment, condamne à mort un innocent par égard pour la loi martiale et la discipline militaire. Mais Melville nous invite à dépasser cette première interprétation, et nous invite à une lecture christique de ce sacrifice du fils (Billy) par le père (Vere) en expiation de la faute originelle qui pèse sur tous, innocents compris. Comment comprendre autrement, en effet, les dernières paroles de Billy Budd : « dieu bénisse le capitaine Vere ! » ? Et Melville d’ajouter cette observation : tandis que Billy s’élevait, « l’orient s’imprégnait d’une douce et glorieuse lumière, comme dans une vision mystique la toison de l’agneau de Dieu ». Tout se passe ici comme si, dans cette atmosphère de miséricorde à l’égard du péché originel commun, Billy était amené à pardonner à la justice des hommes, comme si, figure christique, il assurait la rédemption de la faute universelle des juges.
 Aucune des deux fonctions . Le déni de justice ou le modèle en défaut.
L’alternative extrême à la justice est un règlement des conflits qui n’honore aucune des deux fonctions de compensation et de réintégration. On atteint ici le paroxysme de la dénaturation de l’institution, on touche aux limites de la déshumanisation.
Lorsqu’une telle « justice » est rendue par des magistrats assermentés, dans les formes légales et un cadre juridique, la corruption de l’institution est à son comble. La littérature, qui ne recule pas devant les inversions par passage à la limite, en livre de nombreux exemples. Shakespeare, notamment, dresse une impressionnante galerie de portraits de juges partiaux et vénaux, directement intéressés à l’issue du procès, souvent parce qu’ils sont eux-mêmes les coupables qu’ils feignent de poursuivre. On citera par exemple Richard II, dans la pièce éponyme, qui arbitre (avant d’y mettre arbitrairement fin) un duel judiciaire en forme d’ordalie entre deux de ses vassaux s’accusant mutuellement d’un meurtre dont personne n’ignore que le véritable coupable en est le roi lui-même.
On pourrait évoquer aussi Angelo, le mal nommé, qui condamne Claudio à mort, au motif de fornication, dans Mesure pour mesure, alors que lui même propose le salut du malheureux à la sœur de ce dernier, une jeune novice, dont il prétend ainsi acheter la vertu .
On pourrait aussi rappeler la célèbre Portia, qui, dans Le marchand de Venise, inflige une impressionnante leçon d’équité à l’infortuné Shylock, l’usurier juif de la place, contribuant ainsi à son injuste condamnation, alors qu’elle-même a tout intérêt à cette condamnation.
Le thème du juge coupable instruisant son propre procès constitue également la matière, sur un mode comique cette fois, de la pièce La cruche cassée de von Kleist.
Et comment ne pas évoquer les multiples juges vénaux qui hantent les Fables de Jean de la Fontaine ? Ainsi le Pierre Dandin de L’huître et les plaideurs qui, après avoir gobé l’huître, ne laisse à chacun qu’une écaille – « sans dépens », précise-t-il. Ou encore le juge Grippeminaud (Le chat, la belette et le petit lapin) qui met d’accord les plaideurs en les dévorant l’un et l’autre, et en s’accaparant, « sans autre forme de procès », le terrier qu’ils se disputaient.
La descente aux enfers se poursuit lorsque la littérature aborde le thème de l’absence des deux fonctions dans le cadre cette fois de la justice privée, totalement désisnstituée. A vrai dire, l’idée et le terme même de « justice » ne sont utilisées dans ce contexte que par antiphrase, comme pour signaler un défaut radical. L’inventaire des formes de cette anti-justice reste à faire pour l’essentiel. On se contente d’en livrer trois manifestations.
La première peut, on le concède, paraître plutôt anodine. Elle s’inscrit au simple registre de l’oubli et du renoncement, comme si un sommeil de lassitude ou d’impuissance s’était substitué à la justice. C’est peut-être la clé qui permet de comprendre le singulier roman de Milan Kundera, La plaisanterie, où les terribles exactions du régime communiste en Europe de l’Est ne trouvent, en définitive, aucune verbalisation efficace, aucun traitement susceptible d’en réparer les ravages. Seul l’oubli, comme un voile létal, recouvre ce champ de ruines . Mais il faut se méfier de l’oubli qui, quand il prend la forme du refoulement, conduit à de brusques et ravageurs « retours du refoulé ». Un « passé qui ne passe pas » est le terreau le plus fécond des violences de demain.
L’amnésie déçoit la justice en un sens encore plus élémentaire que ceux évoqués par la distinction de Paul Ricoeur : n’assurant aucune reconnaissance aux faits, elle traduit un déni de vérité (ou même simplement de réalité) en deçà du déni de justice. En annihilant le passé, en néantisant le souvenir, l’amnésie rend définitivement impossible que justice soit rendue un jour.
Le procès de Franz Kafka nous conduit au bord d’un autre abîme. Que révèlent en effet ces bribes, absurdes et grotesques, de procédure judiciaire auxquelles Joseph K. est confronté durant les douze mois que dure l’instruction de son dossier ? Non pas tant les dysfonctionnements de la justice ordinaire (Kafka est bien au-delà de cette critique convenue), que la manifestation, à vrai dire terrifiante, d’une « justice immanente » qui s’ancre dans nos peurs les plus archaïques . Cette justice immanente reflète ce qu’on pourrait appeler une « loi de nécessité » qui frappe sans motif l’innocent comme le coupable et s’inscrit dans une mentalité pré-logique où la faute ne se distingue pas de l’erreur, de la folie, de la maladie et du malheur. Conformément à un des sens qu’il revêt dans la langue allemande, le procès (Das Prozess), est à comprendre alors comme un processus morbide, imprescriptible et sans rémission, plutôt que comme une procédure judiciaire instituée. Ce qu’il réalise est une métamorphose (comme le roman du même nom) qui est autant physique que morale : la transformation progressive de l’innocent en coupable, tel Grégoire qui se réveille un matin dans la carapace d’un cafard. Ici, la faute-souillure , sur le modèle de l’antique hamartia grecque, est à la fois héréditaire (elle peut se transmettre de génération en génération) et contagieuse (elle frappe sans motif par simple contiguïté). Cette forme de justice, avec laquelle Kafka s’est douloureusement confronté toute sa vie, comme en atteste notamment son Journal, est une cruelle loterie qui, en guise de prix, ne distribue que les 1001 formes du malheur.
Après l’oubli et la justice immanente, on peut encore descendre d’un cran et évoquer la justice perverse, qui s’attache à produire le mal pour le mal. Telle celle qu’évoquent certaines pages démoniaques de Sade, dans les Histoires de Justine et de Juliette, notamment. Les petits ou les grands maîtres que les deux sœurs rencontrent, dans les couvents, les fabriques, les salons et les boudoirs, n’ont en effet de cesse que d’édicter de pointilleux règlements dont ils savent les prescriptions impossibles à satisfaire et dont ils tirent plaisir à faire une application totalement arbitraire, au gré de leurs caprices, multipliant les privilèges indus autant que les punitions vexatoires. Dans ces conditions, les simulacres de justice auxquels se livrent les justiciers sadiens ne sont que l’aboutissement ultime de la loi perverse qu’ils ont réussi à substituer à la loi commune de la cité. Comme à Sodome et Gomorrhe, la monnaie (monnaie symbolique, loi, langue, économie) qui s’échange dans l’univers sadien est marqué du seul sceau, purement solipsiste, des tyrans qui y sévissent.
Le parcours que l’on vient de tracer, pour stimulant qu’il soit, est évidemment largement incomplet : seules quelques pistes ont été tracées dans l’immense continent littéraire, à propos d’un objet lui-même multiforme. En définitive, sa principale utilité, à l’instar d’un « tableau de Mendeleïev », réside dans sa fonction heuristique : les nombreuses cases vides qu’il recèle (car on ne doute pas que les huit figures distinguées n’épuisent nullement la complexité de l’acte de juger) appellent à poursuivre la recherche. Non pas tant pour accumuler les espèces à la manière d’un philatéliste ou d’un entomologiste, que pour approfondir notre connaissance de l’humain, appelé, depuis l’époque de Caïn et d’Abel, à choisir entre la vengeance, le jugement ou le pardon

Citations DES RAISINS DE LA COLÈRE


Citations     DES RAISINS DE LA COLÈRE
Force reste à la loi :
les règles coercitives d'une politique économique
'''La banque ou la compagnie ... a besoin ... veut ... insiste ... exige'
comme si la banque ou la compagnie étaient des monstres doués de
pensée et de sentiments qui les avaient eux-mêmes subjugués. Ceux-là
se défendaient de prendre des responsabilités pour les banques ou les
compagnies parce qu'ils étaient des hommes et des esclaves, tandis que les banques étaient à la fois des machines et des maîtres." (p. 48)
''
Nous regrettons, disaient les représentants. La banque, le proprtaire
de cinquante mille arpents ne peuvent pas être considérés comme
re
sponsables. Vous êtes sur une terre qui ne vous appartient pas." (p. 51)
"
Le système de métayage a fait son temps. Un homme avec un trac-
teur peut prendre la place de douze à quinze farrùlles. On lui paie un
salaire et on prend toute sa récolte." (p. 49-50)
"Ce vignoble appartiendra à la Banque. Seuls les grands proprié-
taires peuvent survivre, car ils possèdent en même temps les
fabriques de conserve." (p. 491)
Justice et pratique sociale: l'opposition de la conscience
"si vous pouviez savoir que Paine, Marx, Jefferson, Lénine furent
de
s effets, non des causes, vous pourriez survivre [ ... ] le fait de
p
osséder vous congèle pour toujours en 'Je' et vous sépare toujours
du 'Nous'." (p. 211-212)
Nous avons faim, dit l'homme [ ... ] Vous ne pouvez pas avoir une
m
iche de pain pour dix cents. Nos miches sont à quinze cents. [ ... ]
Derrière elle Al grogna
. Eh bon Dieu, Mae, donne-leur du pain." (p. 222)
"L'adjoint
, assis sur le sol, leva de nouveau son revolver quand
soudain
, se détachant du groupe, le révérend Casy fit un pas en
avant
. D'un coup de pied, il atteignit l'adjoint à la nuque, puis il
recula, tandis que le gros homme s'affaiss
ait, évanoui." (p. 372)
"Eh bien, dis-leur à tous ce qui se passe, Tom. Dis-leur qu'ils nous
affament et qu'ils se font du tort à eux-mêmes." (p. 539)
"Non, on ne peut pas accepter ça. On ne peut pas se nourrir à ce
tarif-là, on ne peut pas s
'acheter à manger." (p. 539)
La responsabilité de l'État : le Droit face au respect des droits
"C'est mon grand
-père qui a pris cette terre, et il a fallu qu'il tue les
Indiens, qu'il les chasse
. Et mon père est né sur cette terre, [ ... ] Et
nous on est nés ici, là
, sur la porte ... nos enfants aussi sont nés ici."
(p. 50)
"Allez-vous-en. Moi ... je reste. J'y ai bien réfléchi, [ ... ]. C'est mon
pays, ici
. C'est ici ma place." (p. 156)
La justice au service de l'Institution : la peur du désordre
"N'écoutez pas ces salauds de rouges, les amis. Ils ne cherchent
qu
'à faire du chambard et à vous attirer des histoires." (p. 371)
"Si encore c'était vraiment pour faire respecter la loi, on le suppor-
terait. Mais ils ne représentent pas la loi. Ils tâchent à nous démolir
le moral
.[ ... ] Ils voudraient nous réduire. [ ... ] C'est not' dignité
qu'ils veulent nous enlever
." (p. 392)
Fonder la justice sociale sur un principe de solidarité
"Travailler tous pour une même chose - cultiver notre propre
terre."
(p. 589)
"Tenez, prenez cette couverture. Elle est en laine. C'était la couver-
ture de ma mère ... prenez-la pour votre bébé." (p. 211)
"Et là où il y aura des gens sur la route, je serai avec eux." (p. 82)
"Vers le soir, il se passait une chose étrange : les vingt familles ne
formaient plus qu'une seule famille
, les enfants devenaient les
enfants de tous
." (p. 270)
"'Deux valent mieux qu'un', car ils sont mieux payés de leurs
peines [
... ] s'ils tombent, l'un aidera l'autre à se relever." (p. 588-
89)
"Maintenant je sais qu'on ne peut arriver à rien tout seul." (p. 588)
Surveiller, punir, exclure, stigmatiser: la culture de l'injustice
"Au lieu d'augmenter les salaires, elles employaient l'argent à faire
l'acquisition de grenades à gaz
, de revolvers, à embaucher des
surveillants et des marchands
, à faire établir des listes noires, à
entraîner leurs troupes improvisées
." (p. 399)
"Et les tracteurs ne sont pas encore venus les chasser ?" (p. 17)
"Les gens tout seuls sur les routes
, les gens sans foyer, qui n'ont
nulle part où aller. Ils devraient avoir un foyer
, quelque chose. Peut-
être
... " (p. 81)
"j'ai réfléchi un sacré bout à la question - à me dire que les nôtres
viv
aient comme des cochons avec toute cette bonne terre qu'était en
friche
, ou dans les mains d'un type qu'en a p'têt' bien un million
d'arpents
, pendant que plus de cent mille bons fermiers crèvent de
fa
im." (p. 589-590)
"Les commerçants les détestaient parce qu'ils n'avaient pas d'ar-
gent à dépenser." (p. 327)
"Des étrangers, tout ça. Ils parlent la même langue que nous, d'ac-
cord, mais ils ne sont quand même pas pareils à nous." (p. 331)
Philosophie politique et approche idéologique
"Les richards, ils viennent et ils passent et leurs enfants sont des
bons à rien, et leur race s'éteint.Mais des nôtres, il en arrive tout le
temps. Ne te tracasse pas, Tom. Des temps meilleurs viendront."
(p. 395)
"Des effets, non des causes : des effets, non des causes [ ... ]" ; "Les
causes sont profondes et simples... Les causes sont la faim, une
faim au ventre multipliée par un million." (p. 209)
"Les petits fermiers voyaient leurs dettes augmenter, et derrière les
dettes, le spectre de la faillite.[ ... ] Le travail de l'homme et de la
nature, le produit des ceps, des arbres, doit être détruit pour que se
maintiennent les cours, et c'est là une abomination qui dépasse
toutes les autres
." (p. 491)
"Car le 'J'ai perdu ma terre' a changé; une cellule s'est partagée en
deux et de ce partage naît la chose que vous haïssez: 'Nous avons
perdu notre terre'
. C'est là qu'est le danger, car deux hommes ne
sont pas si solitaires, si désemparés qu'un seuL
" (p. 211)
"Et de ce premier 'nous' naît une chose encore plus redoutable:
'
J'ai encore un peu à manger' plus 'Je n'ai rien'. Si ce problème se
résout par 'Nous avons assez à manger' la chose est en route, le
mouvement a une direction
." (p. 211)
"Voilà ce qu'il faut bombarder. C'est le commencement... du 'Je'
au 'Nous'." (p. 211)
Représentation allégorique
Le destin du héros est de rétablir la justice: "Tout ce que tu fais, tu
ne le fais pas seulement pour toi, ça va chercher plus loin
. C'est
quand on t
'a mis en prison que je l'ai compris. Tu es un élu, Tom."
(p. 497-498)
Les atteintes de l'agrobusiness au monde de la nature servent à
symboliser l
'injustice: "l'homme machine qui conduit un tracteur
mort sur une terre qu
'il ne connaît pas, qu'il n'aime pas", (p. 162)
face aux vibrations d'une vie proche de la nature: "quand un cheval
a fini son travail [
... ] il reste encore de la vie [ ... ] il Y a la chaleur
de l
a vie [ ... ]1' ardeur et l'odeur de la vie." (p. 161)
La souffrance du Juste
"Partout où il y aura une bagarre pour que les gens puissent avoir à
manger, je serai là." (p. 590)
"Partout où y aura un flic en train de passer un type à tabac, je serai
là." (p. 590)
"dans les cris des gens qui se mettent en colère parce qu'ils n'ont
rien dans le ventre, je serai là" (p
. 590)
L'écrivain justicier.
De la Justice divine à la justice humaine
"craignez le temps où l'Humanité refusera de souffrir, de mourir
pour une idée, car cette seule qualité est l
e fondement de J'homme
même." (p
. 210)
"Les grandes compagnies ne savaient pas que le fil est mince qui
sépare la faim de la colère [ ... ] et la colère commence à luire dans
les yeux de ceux qui ont faim
. Dans l'âme des gens, les raisins de la
colère
se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges
prochaines." (p. 399, p. 492)

"Y a pas de péché, y a pas de vertu. Y a que ce que les gens font.
Tout ça fait partie d'un tout" (p. 37)

"Non, j'connais personne du nom de Jésus. J'connais des histoires,
ça oui, mais il n'y a que les gens que j'aime. Et des fois j'les aime
à en éclater.
" (p. 37)
"Peut-être bien que les hommes n'ont qu'une grande âme et que
chacun en a un petit morceau.
" (p. 38)
"Écoutez les amis [ ... ] Vous ne vous rendez pas compte de ce que
vous faites
. Vous aidez à affamer des petits enfants." (p. 543)
"Il y a là un crime si monstrueux qu'il dépasse l'entendement. Il y
a là une
souffrance telle qu'elle ne saurait être symbolie par les
larmes. Il y a là une faillite si retentissante qu'elle annihile toutes les
réussites antérieures." (p. 492)
"Pourquoi qu'on s'met pas une vingtaine et qu'on n'prend pas un
morceau de terre
? On a des fusils." (p. 331)
"Les nôtres s'arrangeaient très bien tout seuls; quand il y avait une
bagarre, ils liquidaient l'affaire eux-mêmes; et y avait pas de flics
qui venaient vous secouer leu
r revolver sous le nez, et pourtant il y
avait beaucoup moin
s de grabuge qu'avec toute cette police et
toutes leurs histoires
." (p. 589)
"Foutre à la porte tous ces flics qui n'ont rien à voir avec nous, qui
ne sont pas des nôtres." (p. 589)
"Nous sommes ceux qui vivront éternellement. On ne peut pas nous
détruire. Nous sommes le peuple et le peuple v
ivra toujours."
(
p. 395).