mardi 27 décembre 2011

Lexique pour lire la tragédie grecque


Petit Lexique de la tragédie grecque

Autour du thème de la Justice

L’Orestie (tr Loayza, GF)


La Justice est une question centrale dans la tragédie grecque. Notamment parce que les mortels ou demi-dieux qui en sont les héros, voire les dieux eux-mêmes, commettent des fautes qui entraînent de lourdes conséquences.

Voici les principales notions qu’il importe de maîtriser au regard du thème d’étude. Il faut noter néanmoins que ces notions ne sont en rien spécifiques à la trilogie d’Eschyle et que ce sont les thèmes et questions essentiels que l’on trouvera à l’œuvre par la suite dans les tragédies de Sophocle et d’Euripide (que l’on pense par exemple à Antigone où la question de la justice est tt aussi centrale notamment ds le conflit entre droit naturel et droit positif qui oppose l’héroïne à Créon). Le premier de ces mots est bien sûr la Justice. Les occurrences de ce mot et notamment dans la première pièce de la trilogie sont innombrables, on peut le trouver employé au moins une quinzaine de fois sous des formes diverses (justice, le juste, juste, justicier, etc…). On fera la même remarque avec les Euménides, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il s’agit de la représentation sur scène, de la mise en scène du procès d’Oreste. Nous commencerons donc par la notion de Justice, puisqu’il s’agit du thème essentiel de la trilogie. Nous traiterons en dernier lieu de l’Atè (la faute ou l’égarement) qui a entraîné le héros dans la tragédie.

1.  Dikè (η δικη) : Justice, droit, procès, sentence, condamnation. La Dikè est la justice légale et humaine, figure qui est complétée par Thémis, la Justice divine (voir plus bas). Thémis, est selon Hésiode, femme de Zeus et mère de Dikè. Ces deux figures siègent auprès du trône de Zeus sur l’Olympe. On ne peut vraiment parler de « personnages », ce sont plutôt des abstractions personnifiées. Zeus est souvent associé à la Justice ex. v.244 Choéphores Oreste : « pourvu qu’à la Force et au Droit Zeus très puissant, lui troisième, daigne s’unir pour m’assister » ou encore dans Agamemnon, le roi est « celui qui a miné le sol troyen, armé de la pioche justicière / de Zeus qui laisse leur plaine brisée » v.525. A la fin des Choéphores, au troisième stasimon précédant le meurtre,  le chœur clame sa joie et appelle le geste vengeur d’Oreste en évoquant « celle qui a touché son bras dans la bataille », qui « est vraiment la fille de Zeus - / Justice, ainsi la nomment les mortels / d’un nom qui lui convient ». v.948-951. Il s’agit d’un jeu de mots fondé sur une fausse étymologie : δικη =Δίος κορη = fille de Zeus. Ainsi le meurtre de Clytemnestre par Oreste est-il juste puisque Justice, bien nommée fille de Zeus, a guidé son bras. D’ailleurs Oreste lui-même revendique son crime dans l’exodos en disant que son geste lui a été dicté par Loxias (l’Oblique), cad Apollon, lui-même fils de Zeus : « oui, j’ai tué ma mère, non sans justice, / la souillure qui tua mon père, Haïe des dieux, et j’en ai puisé l’audace auprès du grand Loxias,/ l’oracle de Pythô, qui m’assura/ que j’agirais sans être coupable de crime. » v.1027 sqq.
A l’origine émanation et attribut de Zeus, principe d’ordre, la Dikè devient par la suite l’expression de l’ensemble des lois qui régissent la cité et désigne tout le champ de la justice humaine : procès, châtiment. Cette évolution du sens du mot est le mouvement même de la trilogie de l’Orestie : le passage d’une justice purement divine à une justice humaine  - qui est cependant reliée aux dieux par l’intermédiaire d’Athéna qui est en quelque sorte la tutelle bienveillante de l’institution judiciaire athénienne. Selon Hésiode, le règne de la Dike est toujours à venir : « La Justice triomphe de la démesure (Hubris, voir plus bas) quand son heure est venue ». On voit immédiatement apparaître en association avec le terme de Justice la notion antonyme de «dé-mesure » (voir plus bas la notion d’Hybris.

La Justice se définit par la « juste » distribution du lot assigné à chacun : la Némésis est la divinité qui répartit ces  « lots » (moira, μοιρα, la part de chaque homme, le lot de chacun, la destinée qui lui est impartie) de façon équitable. Némésis incarne la justice distributive, celle qui répartit les « lots » (il peut s’agir de biens, de ressources, mais aussi de bonheurs et de malheurs) à proportion de ce que chacun mérite. Mais Némésis est aussi la déesse de la vengeance : en grec nemein est un verbe qui signifie « rendre ce qui est dû ». On comprend alors pourquoi le motif de la dette est aussi présent dans la trilogie d’Eschyle : le criminel doit « payer » pour le crime commis, il doit « réparer » sa faute, et « rétribuer » la victime en fonction du préjudice subi. Némésis et Erinyes sont ainsi liées par ce thème de la vengeance. C’est ainsi que dans les Euménides, le chœur aux vers 334 sqq évoque en parlant d’Oreste : « L’inflexible déesse du destin/fila pour moi ce lot que je tiens ferme : / quand un mortel, versant son propre sang,/ succombe à son aveuglement/ je le poursuis/ jusque sous terre où par sa propre mort/ il sera bien loin d’être délivré. » Némésis se distingue cependant des Erinyes : elle incarne le principe du droit, elle est l’exécutrice de la justice de Zeus, mais elle ne poursuit pas elle-même les criminels à la différence des Erinyes (voir plus bas).
Platon dans le Protagoras fait relater par ce dernier le mythe selon lequel la justice est le don suprême des dieux à l’humanité, ce qui lui permet de vivre en harmonie en société. Cette conception de la Justice comme émanant des dieux montre que pour les Grecs, le fondement de la Justice est théologique : la justice est pensée comme un reflet de l’ordre cosmique, cad comme une harmonie, un équilibre entre toutes les parties du monde. Ensuite, dans un deuxième temps, avec le développement politique des cités grecques, la Justice va sortir de son cadre mythique et théologique pour se laïciser, du moins partiellement, et pour s’incarner dans le monde des Hommes. On peut dire que si le fondement est théologique, apparaît déjà à l’horizon le télos : le but de la justice est de fonder une cité juste.  C’est le propos même de l’Orestie. En effet, dans la première pièce Agamemnon, les hommes frappés par l’hubris, restent la proie d’une chaîne de crimes et de vengeances, plus ou moins envoyés par les dieux : le crime d’Atrée va entraîner toute la famille ds une longue suite de crimes et de vengeances (voir plus bas Erinus ou les Erinyes). Oreste lui-même doit commettre le crime sous les ordres d’Apollon et  il est poursuivi ensuite par les Erinyes assoiffées de sang. Mais dans la dernière pièce Les Euménides, Athéna va lui offrir la possibilité d’être jugé par un tribunal humain, l’Aréopage athénien, qui est placé lui-même sous sa protection. Ainsi Oreste va-t-il échapper à la terrifiante chaîne de crimes qui l’ont précédé, lui-même ayant rendu « meurtre pour meurtre » (v.274 Choéphores), s’étant donc lui-même impliqué dans cette chaîne implacable de crimes – chaque crime se revendiquant le droit de payer le crime précédent. Le Coryphée l’appelle de ses vœux au début du grand Kommos des Choéphores qui va lancer Oreste sur la voie du meurtre : v.307 sqq « Le mot de haine, qu’il soit payé / d’un mot de haine – voilà ce que proclame/la Justice, qui exige ce qu’on lui doit. /Qu’un coup morte acquitte/ le coup mortel : souffre selon ton acte – trois fois vieille est la sentence qui l’affirme. » Il s’agit de la loi du talion qui vient du mot « talis » en latin, qui signifie « tel », « semblable », « égal ». On se reportera pour ce terme :
    • à la fiche très instructive proposée par le manuel « Justice » chez GF, page XXI de l’introduction au thème. Et on pensera que cette loi du talion à si mauvaise réputation est un début de réflexion sur la « juste mesure » de la réparation d’un crime : telle faute entraînera un châtiment équivalent, cad à la hauteur de la faute.
    • à la note 70 p.322  ds l’édition complète de Loayza des Choéphores  qui liste tous les vers rappelant la nécessité du talion, principalement dans Agamemnon et Choéphores. Il est évident, vu la transformation de l’idée de Justice évoquée au début ce cet article, que le talion disparaîtra comme motif des Euménides, puisqu’il sera remplacée par une autre idée de la justice. Ceci montre assez à quel point Justice = talion ds les deux premières pièces, même si les personnages ou le chœur associe les dieux à ce désir de rendre coup pour coup.

Du même coup, la notion de Justice est associée à une idée de « mesure », d’égalité entre la faute commise et le châtiment (c’est le principe même du talion, œil pour œil, comme le rappelle le manuel GF, mais un œil seulement et pas plus), ainsi par ex. le héraut dans Agamemnon rappelle v.533 sqq « car ni Pâris ni la cité qui expie avec lui /ne peuvent se vanter d’avoir fait plus qu’ils n’ont souffert - /mais redevable à la justice d’une dette de rapt et de vol. » La notion de dette apparaît très souvent associée à la Justice  pour rappeler que le crime doit être puni, le criminel devant régler sa dette (ce qui sera le cas d’Oreste). Ce principe est affirmé par le chœur dès la pièce première de la trilogie – qui est à tout point de vue fondamentale : « l’outrage répond à l’outrage,/ lutte difficile à trancher. /Qui prend est pris, qui tue paye sa dette./ Cette règle restera ferme autant que le trône de Zeus : / souffre selon ton acte. Ainsi le veut la loi divine. » Agamemnon v.1560 sqq. Ainsi se trouvent liées la loi de Zeus, la Justice, et l’idée du talion qui fusionnent avec la dette de sang. Cette notion est présente aussi au début des Choéphores dans le parodos du chœur annonçant le thème de la pièce, la dette contractée par les criminels Clytemnestre et Egisthe. « Le sang répandu sur le sol, comment serait-il racheté ? » La question restant sans réponse tant qu’Oreste n’apparaît pas : le coryphée dira plus loin à Oreste : « Mais l’averse de sang qui imprègne le sol/ réclame un autre sang. Telle est la loi. Le meurtre appelle l’Erinye ». v.400-401-402 (L’ironie tragique est déjà ici présente puisque Oreste va agir au nom de l’Erinye de son père mais il va ainsi déclencher ou appeler l’Erinye de sa mère). Voir plus bas l’Erinye.

Dans Agamemnon, tous les crimes sont revendiqués au nom de la Dikè : ainsi à la fin de la pièce, lors de l’exodos, Egisthe lui-même, après le meurtre d’Agamemnon, se réclame de la Dike : voir la longue tirade du vers 1577 à 1611 « O douce lumière du jour justicier – aujourd’hui je puis enfin dire que les mortels / et les malheurs de la terre n’échappent pas à ‘loeil divin de la vengeance, maintenant que j’ai vu cet homme gisant dans le tissu des Erinyes/ pour mon plus grand plaisir et pour paer les crimes de son père » et la tirade se termine par ces vers : « ainsi même la mort me semblera belle, maintenant que je l’ai vu dans les filets de la Justice ». (v 1610-1611). Il s’agit du filet dont Clytemnestre a enveloppé le corps mort d’Agamemnon. Voir la rubrique suivante à propos de l’expression « filets de la Justice » qui vient se superposer à « le tissu des Erinyes » établissant ainsi de fait une équivalence – ou plutôt une confusion ? - entre les 2 instances.

Dernier point : on trouve d’autres termes que dike : « dikaios » δίκαιος, adj qui signifie « juste, légitime, mesuré ». et aussi δικαιοσύνη, autre terme pour la justice. Dans la trilogie,  toute l’isotopie de la justice se déploie : ainsi Electre demande au Coryphée qui appelle la punition des coupables du meurtre au début de la pièce : « Est-ce un juge, un justicier que tu veux dire. » v.120


2.Erinys : Έρινύς. Au pluriel les Erinyes ou Erinnyes (ou Furies)

Puissance primitive terrifiante, qui appartient à la génération précédant les dieux de l’Olympe, elles appartiennent à la race des Géants.  En effet, dans la Théogonie d’Hésiode, les Erinyes naissent de la Terre (Gaia), fécondée par les éclaboussures de sang et de sperme que verse Ouranos, châtré par son fils Chronos. Cette origine a des résonances symboliques essentielles : les Erinyes sont très marquées par la thématique du meurtre du père et par le motif du sang, ce que remarque Pierre Judet de la Combe dans une note à la traduction de l’Orestie par Hélène Cixous (voir la note 48 des Euménides p.353 ds Loayza intérale de l’orestie). Nées elles-mêmes d’un crime contre nature qui renverse l’ordre des générations, d’un fils Chronos qui porte atteinte à la virilité de son père Ouranos, et l’empêche symboliquement d’engendrer à nouveau, elles traquent ce renversement des générations inlassablement : le matricide d’Oreste est évidemment concerné, étant sans doute le crime le plus monstrueux, le sang se retournant contre le sang (v.336 des Euménides « quand un mortel versant son propre sang » dit le chœur à propos du matricide Oreste) .
A partir d’Hésiode les Erinyes sont trois monstres femelles, donc plurielles : gardiennes de la vie humaines, elles sont chargées de pourchasser les méchants sur terre. Leur aspect est affreux : leur chevelure est entortillée de serpents et leurs yeux pleurent des larmes de sang comme les décrit la Pythie au début des Euménides : »elles sont noires, absolument repoussantes, de leurs yeux coule une libation d’horreur » etc  v.51-54.  Les Erinyes, elles-mêmes nées du sang, demandent le sang pour se régénérer. Ayant été engendrées de manière non sexuelle, elles ne sont pas marquées par les lois du mariage, ce qui explique qu’elles ne pourchassent pas Clytemnestre pour le meurtre de son mari, mais qu’au contraire elles la soutiennent dans son désir de vengeance contre lui pour avoir commis le crime contre son propre sang en sacrifiant sa fille Iphigénie. Les Erinyes incarnent donc la vengeance, celle chargée de punir les crimes de sang, notamment ceux commis dans la famille. Elles sont inexorables, mais justes. Héraclite déclare : « Le soleil ne sort jamais de son orbite, mais les Erinyes, ministre de la justice, le surpassent encore ».

Les Erinyes sont très présentes ds la trilogie d’Eschyle : dès Agamemnon la prophétesse Cassandre à son arrivée au palais des Atrides sent (flaire même) leur présence annonçant le futur meurtre d’Agamemnon : v.1116 sqq « Mais la toile, c’est elle qui partage son lit qui prend part à son meurtre /– et qu’insatiable de la race un discordant réseau/ célèbre par ses hurlements /un sacrifice à lapider. Le chœur entend parfaitement ce que signifie le « discordant réseau » puisqu’il répond : «  Quelle Erynie excites-tu dans le palais à déchaîner ses cris ? » (v.1119-1120). Et plus loin elle réaffirme au chœur que ce meurtre a une origine plus lointaine,  la vengeance datant de la génération du père d’Agamemnon, le crime d’Atrée : « Sachez que jamais sous ce toit ne cesse de rôder un chœur/ à l’unisson de voix mauvaises dont chaque parole est sinistre/une joyeuse compagnie dont l’audace s’est abreuvée/ de sang humain, qui demeure dans la maison/ sans se laisser mettre à la porte – la troupe des Erinyes de la race ; assises dans le palais, elles chantent le chant/du premier crime originel, avant de cracher leur horreur/sur une couche hostile au frère qui l’a foulée » (v.1186-1192). Ainsi les Erinyes dans Agamemnon apparaissent-elles comme des hôtes invisibles mais présents à l’intérieur du palais, et sont-elles associées à la race des Atrides depuis le crime originel, celui d’Atrée qui tua les enfants de Thyeste. De plus Egisthe lors de sa longue tirade de l’exode relie lui aussi le meurtre d’Agamemnon aux Erinyes et au crime de son père Atrée : « O lumière du jour justicier/ aujourd’hui je puis enfin dire que les mortels / et les malheurs de la terre n’échappent pas à l’œil divin de la vengeance/ maintenant que j’ai vu cet homme gisant dans le tissu des Erinyes/ pour mon plus grand plaisir et pour payer les crimes de son père. » v.1577-1581. On constate que dans les deux extraits Clytemnestre n’est pas nommée comme meurtrière, elle disparaît derrière les « véritables » agents du crime, les Erinyes (cf le tissu des Erinyes, cad le filet dont Clytemnestre s’est servi pour envelopper le corps mort d’Agamemnon). On notera d’ailleurs que plus loin,Egisthe emploiera le terme de « filets de la Justice » opérant ainsi une équivalence entre les Erinyes et la Dikè. Voir plus haut « Dike ».
 Oreste les évoque dès le début des Choéphores v.285-286 et également aux vers 382 sqq utilise l’expression « la tardive ruine » : « Zeus, Zeus, qui du fond des enfers/ déchaines toujours la tardive ruine sur l’arrogance et les crimes des hommes » : cette expression fait écho aux vers 58-59 d’Agamemnon : «  Zeus, ……déchaîne la vengeresse /sur les coupables, la tardive Erinye. » Clytemnestre au moment d’être tuée par Oreste le met en garde : » prends garde à la furie des chiennes de ta mère » v.924, ce à quoi Oreste répond : « Et celles de mon père, comment les fuir si je recule ? » Autrement dit, ds le duel entre la mère et le fils, c’est un duel de vengeance à vengeance, d’Erinye à Erinye, et dit même Oreste : « Arès contre Arès,  Droit contre Droit » v.461 Choéphores.
Et enfin le chœur et le coryphée incarnent ou font entendre la voie des Erinyes dans les Euménides : dans un magnifique chant lyrique qui commence avec l’épiparodos, cad la deuxième entrée du chœur les Erinyes reviennent sur scène après avoir été chassées par Apollon. Le coryphée  commence par un appel au sang qui va s’amplifier pour trouver son acmé aux v.328-333 et 341-346 de telle sorte que l’on peut véritablement qualifier ces Erinyes, ces déesses, de véritables figures de vampires, mi humaines, mi animales : « L’odeur du sang humain me rit (v.253 le coryphée), « « Mais à ton tour, toi le vivant, de m’abreuver/ de la rouge offrande de tes membres- oui qu’à longs traits / je boive en toi l’imbuvable boisson v.264 -266 (le chœur), « « tu vas périr, ton cœur vidé de toute joie, / pâture des déesses, ombre privée de sang (coryphée) v.301-302, etc… ». Lyrisme d’une grande beauté et grande violence qui rappelle leur origine violente.

A la fin de la trilogie, Athéna échange dans des vers d’une grande solennité avec le chœur qui se présente comme «  Ménades » (v.499) réclamant vengeance de sang : soit les Erinyes elles-mêmes, sans qu’elles soient ainsi nommées. Les Erinyes représentent la génération des dieux pré-olympiens, un stade antérieur de la représentation du monde et de l’idée de la Justice. Le chœur commence un long chant de plainte de n’être pas écouté par les jeunes dieux Athéna et Apollon : v.791 sqq et 820 sqq « grande est la souffrance/des malheureuses filles de la Nuit, si tristement privées d’honneurs ». Cependant Athéna va apaiser leurs colères en reconnaissant leur puissance et en engageant les gardiens de la cité à les respecter : « Immense est le pouvoir de la souveraine Erinye car il s’étend des immortels jusque sous terre, et chez les hommes, ce sont elles visiblement qui mènent tout jusqu’à son terme en  accordant aux uns le chant, aux autres une existence aux yeux troublés de larmes » (v.949-955). Enfin Athéna les fait descendre sous terre : « Suivies de ces victimes vénérables, descendez sous terre afin de retenir loin d’ici toute  ruine et d’envoyer à ma cité tous les bienfaits contribuant à sa victoire » (v.1006-1010). Ainsi les Erinyes deviendront-elles des divinités chtoniennes, cad souterraines, reléguées aux enfers. Et « Bienveillantes » par euphémisme par la grâce d’Athéna. Les Euménides accueilleront désormais tous les suppliants à Colone en mémoire d’Oedipe et Antigone qui y furent aussi accueillis. Pour ce qui concerne ce passage d’un ordre ancien représenté par les Erinyes à l’ordre nouveau représenté par les « jeunes dieux » Athéna et Apollon, nous renvoyons à l’article de Mathieu Meyrignac, chez Bréal p.75-83.
Le sang est un motif essentiel dans l’Orestie : il court depuis Agamemnon jusqu’aux Euménides. Le sang est très souvent associé aux Erinyes, on peut le considérer comme une synecdoque d’elles-mêmes, vu qu’elles en tirent leur origine, nouvelle illustration de la formule « le sang appelle le sang ». Par ailleurs la métonymie du filet leur est très souvent associée, rappelant le « filet » ds lequel Agamemnon a été enveloppé par Clytemnestre au moment du meurtre. Ce filet, ce réseau rappelle aussi les Moires qui filent le réseau de la vie humaine.

3.Hybris : ύβρις, l’excès d’orgueil, la démesure ; l’insolence, la violence, l’outrage.
Comme le dit Hésiode, Hybris est le contraire de Dike (Les Travaux et les Jours v.214-216). Comme de nombreux récits mythiques, les tragédies antiques font de l’hybris le mal fondateur, la faute originelle dont le châtiment sera la ruine et la mort. Les héros font souvent preuve d’hybris lorsqu’ils se vantent de leurs victoires, ou lorsqu’ils veulent défier les dieux ou s’égaler à eux. L’hybris frappe souvent les guerriers victorieux, Achille par ex. et Agamemnon qui s’empare de la captive d’Achille. Cette démesure entraîne souvent les hommes dans des actes impies ou insolents contre les dieux qui les entraîneront dans la ruine. Dans Agamemnon : « Car il n’existe aucun rempart autour/ de l’insolent  gorgé de richesse/ s’il va ruer contre l’autel puissant/ de la Justice jusqu’à sa disparition.  L’hybris attire donc nécessairement le châtiment et donc l’intervention de Dike. L’hybris peut aussi frapper les femmes, comme par ex. Clytemnestre ds Agamemnon dont les paroles sont démesurées : ainsi sa tirade adressée au chœur des vieillards après le meurtre de son époux et de Cassandre, v.1372 sqq. Ses paroles apparaissent comme démesurées et insolentes, lorsqu’elle revendique les deux meurtres et même s’en vante : v.1393 et le chœur répond : « j’admire ta langue – comment ta bouche insolente ose-t-elle triompher sur ton époux ? »

4. Moira (au pluriel Moirai, les Moires ou les Parques en latin) : le Destin

Cette divinité est la personnification du Destin. Son nom vient de μοιρα, la part, et aussi la part de vie que chaque homme reçoit à sa naissance, cad la destinée, et par métonymie, la fin de cette vie, la mort. Hésiode dans sa théogonie fait des Moires les filles de Zeus et de Thémis (Justice, voir plus loin)Au début du grand Kommos des Choéphores, le Coryphée invoque les « Déesses du destin », les Moirai. V.307 « Déesses du destin, qu’au nom de Zeus cela s’achève/ selon la voie où s’engage le Droit. » Lorsque dans le premier stasimon des Euménides, le chœur (composée des Erinyes) réclame son dû, cad la mort d’Oreste, il le fait au nom de Moira : « L’inflexible déesse du destin, / fila pour moi ce lot que je tiens ferme (il s’agit de la « victime » désignée des Erinyes, celui qui doit être mise à mort pour venger le crime  :  Oreste) v.334 sqq

5 Thémis (θέμις), justice, ou nom propre la Justice.
Selon Hésiode (Théogonie) Thémis est fille d’Ouranos et de Gaia, elle est donc une Titanide, comme Chronos, le père de Zeus ; deuxième épouse de Zeus, elle est la mère des Moires (voir plus haut). Personnifiée, elle incarne l’harmonie du monde, le principe qui maintient l’équilibre du cosmos, on pourrait ainsi l’appeler la justice cosmique et divine. Les deux principes Dikè et Thémis sont complémentaires : c’est la raison pour laquelle les deux figures siègent aux côtés de Zeus. La Dikè, la justice humaine, doit s’insérer dans la Thémis, la justice divine.
Ces deux principes de justice, Dikè et Thémis sont très souvent évoqués par les personnages de la trilogie. Ainsi Electre dans les choéphores invoque-t-elle la mère de Thémis, la Terre, lorsqu’elle appelle de ses vœux la justice : « Justice contre l’injustice /entendez-moi, ô Terre et nobles dieux d’en bas » (v.398-399). Et c’est à  Thémis « en personne » (si l’on peut dire) que la Pythie s’adresse dans le prologue des Euménides : « Parmi les dieux, ma prière salue d’abord la plus ancienne/ et la première prophétesse, la Terre. Et puis Thémis,/ qui faut après sa mère la seconde à s’asseoir sur ce siège prophétique, selon un vieux récit » (v.1-3)Pour tout ce qui concerne le passage de la justice divine à la justice humaine, nous renvoyons à l’article de Mathieu Meyrignac dans l’ouvrage Bréal « La Justice » 2011.

Enfin il faudra  ajouter :

6. Atè, άτη : l’aveuglement fatal, l’égarement, la démence ; par métonymie, le crime engendré par l’égarement ; la Fatalité, la Vengeance céleste.
Atè a un rôle essentiel dans le déroulement de la tragédie : elle est à l’origine du crime et donc de la culpabilité du héros. L’égarement qui frappe le héros est d’origine divine c’est pourquoi Atè peut aussi incarner la force du malheur s’abattant sur les hommes : le ou la coupable agit souvent frappé par la folie. Désignant tout à la fois l’origine - surnaturelle - du crime puis le crime lui-même et le chaos qu’il engendre, la question conflictuelle mais primordiale posée par cette notion est celle de la responsabilité humaine : si Atè, l’Egareuse d’hommes, fille de Zeus, les plonge dans la folie et le crime, alors qu’en est-il de la culpabilité ? Et comment juger les hommes ?  L’Atè a une place stratégique dans la trilogie d’Eschyle : elle est évoquée par le coryphée dans les tout derniers vers des Choéphores ; après avoir évoqué les trois crimes qu’a connus le palais des Atrides, le premier étant le festin de Thyeste qui dévora ses propres enfants tués par son frère Atrée, le deuxième le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre et Egisthe, et le dernier étant celui commis par Oreste, le coryphée s’interroge « Où donc va s’accomplir/ où va cesser/ et s’endormir enfin la furie de la ruine ? (ruine, est la traduction d’ άτη ds l’édition de Loayza mais dans d’autres traductions on peut trouver « la furie de l’Egareuse »). Atè peut aussi, et on le voit bien dans ce contexte, signifier la malédiction, l’acharnement du destin sur les hommes. Ici c’est à cause de la faute initiale d’Atrée que le malheur et la ruine ne cessent de s’abattre sur le palais d’Agamemnon. Cependant comme le montrent stratégiquement les vers du coryphée, les Euménides vont d’une part montrer le procès d’Oreste qui va devoir assumer son crime ; d’autre part faire cesser le processus de l’Atè – en même temps que les Erinyes vont devenir « bienveillantes ».




mardi 13 décembre 2011

La Charité



LA CHARITE – COURS LA JUSTICE – MADAME COSNEFROY

La Charité romaine








Cimon et Péro
P. P. Rubens, 1612
Huile sur toile 140.5 x 180.5cm
Saint-Pétersbourg, Musée national de l'Ermitage



Transposé d'un bois en 1819. Sujet inspiré des neuf livres de Faits et dits mémorables de Valère Maxime, auteur latin du Ier siècle. Un vieil homme, Cimon, avait été condamné à mourir de faim dans sa prison. Le geôlier par compassion, laissa pénétrer la fille de celui-ci, Péro. S'étonnant qu'après quelques jours le vieillard soit encore en vie, il s'aperçut lors que sa fille le nourrissait de son lait. La nouvelle de cet acte surprenant parvint aux juges qui, devant cet acte de dévouement et d'amour filial, accordèrent la grâce au vieil homme.
Donner le sein à son père exprime la miséricorde et le dévouement ; c'est une victoire sur soi-même et sur la transgression de la loi qui interdit tout contact charnel entre un père et sa propre fille. La transgression est sanctifiée par l'amour et prend appui sur le texte de Saint Matthieu : " Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ".
La légende inspira de nombreux peintres du 17e siècle européen, non seulement Rubens, mais aussi Le Brun, Vouet, Caravage, Charles  Mellin et Greuze au XVIIIe. Les tableaux étaient désignés du nom de Charité Romaine ou Piété Filiale.

La Charité


1645




La Charité
Charles Le Brun, vers 1642-1648
Huile sur toile
Musée des Beaux-arts de Caen












Les Sept Actes de Charité
Le Caravage , 1607
Huile sur toile, 390 x 260 cm
Église de Monte Della Misericordia Pio, Naples


Chassé de Rome, Le Caravage trouve refuge dans le fief de la famille Colonna à Naples en 1606. Là, il travaille avec son habituelle vitesse étonnante. Tôt, en janvier 1607, lui est payé cet immense tableau d'autel par l'Eglise Monte Di Misericordia Pio (où on peut toujours le voir aujourd'hui).
Le tableau montre les Sept Actes de Charité. Son organisation est très compliquée, le Caravage a ajouté après coup les deux anges et la Madone et l'Enfant dans la partie supérieure de la peinture ce qui en fait peut-être la la composition la plus complexe de tous les travaux. du peintre. Le Caravage n'a pas peint d'épisodes exemplaires voulant émouvoir par les seuls gestes et sentiments des personnages. L'efficacité éducative réside dans l'éloquence intrinsèque des diverses poses.
Les sept actes de charité représentés sur la peinture sont les suivants. A droite, l'enterrement des morts (1) et l'épisode de Carita Romana , la fille de Cimon donnant le sein à son père en prison qui contient deux actes charitables : la visite des prisonniers (2) et l'alimentation de l'affamé (3). Au premier plan saint Martin donne son manteau au mandiant et symbolise l'habilelment des pauvres (4). À côté de cette scène, l'hôte ouvrant sa maison à saint Jacques de Compostelle évoque l'offre d'hospitalité aux pèlerins (5). La délivrance l'assoiffé (6) est représentée par Samson buvant de la mâchoire du boeuf. Le jeune homme derrière le mendiant avec saint Martin représente le geste charitable du souci des malades (7).

lundi 12 décembre 2011

Planning passage en Tipe

Plan sur transparent OBLIGATOIRE














Planning de passage en TIPE













Date 05-janv 12-janv 19-janv 26-janv 02-févr 09-févr 16-févr








16h00 Bavelard / Ralle Eddarbouch Ronciere Dieng Chot-Plassot Lorgeoux El Yadini
16h30 Viaud Rivet Monmarché / Conrad Morin Marin Jalalzai ?
17h00 Tanniou Chauvet Daunizeau De Mascureau Thierry El Kettani ?
17h30 Lacueille Zouhadi Picardat-Dubois Maret Jettou Mohad ?














































       

vendredi 9 décembre 2011

Inscription aux concours

Un lien vers l'excellent site parfaitement renseigné d'un collègue du lycée Alphonse Daudet de Nîmes, Nicolas Chireux. Vous y trouverez de nombreuses informations pour vous aider dans vos choix : nombres de places, rang du dernier admis, frais d'inscriptions au concours, ...

http://chireux.fr/cpge_daudet/liste_ecoles.htm

jeudi 24 novembre 2011

Programme de Colle de Mathématiques semaine 9

Colle de Français semestre 1 : proposition de créneau supplémentaire

Pour les élèves qui n'ont pas pu passer leur colle sur le créneau prévu, Mme Cosnefroy propose le rattrapage suivant :

Le lundi 12 Décembre

16h00-16h30 Marin
16h30-17h00 Maret 
17h00-17h30 Chauvet
17h30-18h00  Mohad
18h00-18h30 Viaud
18h30-19h00 El Kettani El Hamidi



Séance bilan de Français : mise en perspective des trois oeuvres


Séance Bilan : mise en perspective des trois œuvres

Problématique
 –Constat de l’injustice - l’impossible justice  - le projet de justice = combat pour faire naître ou instituer une justice (révolte, syndicalisme et camp d’état  dans Steinbeck,  institution du tribunal avec mission chez Eschyle, chez Pascal devoir de  justice qui se réalise grâce à la théorie politique des ordres de  justice.  ) = perspective interrogée par les œuvres. Il ya t'il  une justice possible ici bas ou seulement un idéal de justice vers lequel tendre ? Peut-on affirmer comme Baranès que « la justice est une obligation impossible » ?


-       I - - D’où vient le sentiment du juste et de l’injuste ?=> pas de justice sans conscience

Eschyle
Pascal
Steinbeck
La justice confiée aux hommes dans l'Orestie est  placée sous la protection tutélaire d'Athéna qui reste une instance qui s'apparente à un idéal de justice.
Dans cette perspective Pascal explique l'absolue nécessité d'une justice incarnée dans une institution incontestable et incontestée à défaut de quoi la paix civile est menacée
Dans Steinbeck l'homme est absolument livré lui-même, sans transcendance ni référence à une justice idéale. Le Pasteur lui-même ne croit plus en Dieu. Conception nihiliste qui abandonne l'homme à lui-même. Dans ce monde sans Dieu et sans idéal de justice, c'est la force seule qui s'impose, la force au service d’elle-même, la force au service de l'injustice Nous sommes peut-être dans le roman de Steinbeck plongés dans un univers où chacun est en guerre contre chacun de façon anarchique et chaotique. Là où Eschyle termine sa pièce sur l'espoir d'une société où règne la justice confiée aux hommes, Steinbeck dresse le tableau d'une société dans laquelle triomphe l'injustice et qui s'apparente à la fin du roman au chaos duquel Eschyle a fait naître la justice. Steinbeck semble affirmer l'échec de la justice positiviste dès lors que la force est au seul service de l'intérêt personnel et privé et que l'État ne garantit plus une force régulatrice..
 Steinbeck propose une lecture pessimiste de la justice voire même de la condition humaine.

II  – Sous quelle instance la justice est-elle placée ? La conscience hésite entre penser l'homme lui-même comme source du juste et de l'injuste ou bien attribuer le juste et l'injuste à une loi du monde

A -Le positivisme juridique ♥ théorie qui affirme que ce qui est juste est conforme au droit
« jus naturaliste » ♥ théories du droit naturel, c'est-à-dire n'est pas juste de ce qui est conforme au droit, c'est le droit qui doit être conforme à ce qui est juste, il a donc une justice au-dessus de droit ( cf. Antigone de Sophocle) : il y a du juste et de l'injuste de façon absolue, en soi.
Difficultés  pour penser la loi divine : la loi divine n'est pas simplement la loi de la nature car dans la nature pure il n'y a pas en soi de justice. Il faut qu'à l'intérieur de la nature il y ait une instance qui institue du juste et de l'injuste. Si bien que l'on ne peut pas parler de la nature de façon univoque. Quand les animaux se dévorent entre eux, on ne trouve pas injuste mais naturel ; cela ne correspond pas à du désordre. On introduit un jugement qui dualise, c'est la conscience ♥ . Ce sentiment du juste est une interprétation du monde par lequel j'oppose ce qui  est violent à  ce qui est paisible Ce passage de l'harmonie à la violence transgresse un ordre qui n'existe que parce que je le pense comme ordre. Le jugement fait un retour   aux choses en leur attribuant de la rectitude. Mais ce sentiment  est un jugement subjectif que je légitimise par une loi supérieure à la loi humaine dont l'homme ne serait pas la source : Dieu
  Steinbeck
Chez Steinbeck, il n'y a pas  d'instance supérieure, l'homme est livré à lui-même (le pasteur ne croit plus en Dieu), la conscience que l'origine de la pensée du juste et de l'injuste c’est l'homme associe la justice à un aléatoire arbitraire qui laisse l'homme dans la détresse.  L'homme est responsable du mal et quand il a enclenché le mal, ça se déroule comme un destin qu'il ne peut plus arrêter. La pensée de Steinbeck n'est pas mythologique. L'origine du mal et de la justice est en l'homme .Steinbeck dénonce l'idée qu'on puisse aller vers un monde  juste,  construit, fait de bonne volonté. Il montre le matérialisme à l'œuvre.
Steinbeck : le juste et l'injuste sont imputables à l'homme : triomphe de l'injustice fruits de la cupidité (de la concupiscence dirait Pascal), c'est le désir de possession, d'argent, c'est la loi du plus fort => responsabilité de l'homme qui est seul responsable de son prochain. La justice est liée à la responsabilité pour autrui, cette responsabilité engage ma liberté et mon choix. J'ai le choix entre  gagner plus ou moins  d'argent, au détriment d'autrui.

 – Eschyle
En revanche pour Eschyle l'origine du mal c'est le caractère mélangé du monde, dans le monde il y a du  mélange de ce qui fait du mal et de ce qui fait du bien. Pour Steinbeck il n'y a pas de juste et de l’injuste dans le monde, mais du juste et de l'injuste dans l'homme. Pour les grecs au contraire du juste et de l'injuste qu'il y en   a partout et c'est dans l'ordre du monde = > pas de cité idéale.

≠ Pour les grecs : antériorité de la nature, les hommes se comportent comme des animaux (nombreuses métaphores de chasse chez Eschyle), faire la guerre n'est pas injuste si ce n'est pas une guerre entre soi ni avec mon semblable. Massacrer les étrangers c'est normal. Mais il ne faut pas de la démesure.
≠ Eschyle : monde mélangé, l'homme est partie prenante de ce mélange, il n'est pas responsable du bien et du mal  qui existent  déjà dans l'ordre du monde

III – le tragique de la condition humaine
Eschyle
Dans la conscience grecque c’est l’ hubris qui crée  l'injustice : Agamemnon est coupable  de ses excès dans la guerre, il n'est pas coupable de la guerre. Il n'y a donc pas pour les grecs du juste et de l'injuste universel, le héros grec commet la démesure sans même s'en apercevoir, il subit une malédiction, une vengeance et il cède à la tentation. ≠ Dans le christianisme c'est la conscience qui a fait que c'est juste ou injuste. Pour les grecs le monde est duel. Par exemple Œdipe ne pouvait pas savoir qu’il tuait son père ni qu’il commettait  un inceste en épousant Jocaste. L'injustice  qu'il commet déclenche la peste, symbole du désordre et du chaos. Le juste et l'injuste ne dépendent pas d'un acte libre, conscient, assumé comme tel. On peut donc affirmer que l’on peut être injuste  sans être responsable, ainsi Oreste n'a pas le choix : il doit tuer sa mère. C'est ça le tragique, être injuste sans être réellement responsable. ( « tragicotaton =  le super tragique    d’Œdipe => cas de figure  presque pur : Œdipe a commis une injustice sans le savoir , cela n'a rien à voir avec la morale. La résolution est une purification rituelle et pas une purification morale ( la demande de pardon), la résolution rituelle est magique mais elle n’efface  pas la souillure,  elle donne l'autorisation de se présenter comme le suppliant, cela n'engage pas  la conscience morale.
La démesure c’est transgresser l'ordre qui n'est pas moral. Quand Agamemnon pille la ville de Troie, c'est juste mais quand il renverse les autels, c'est injuste. L'injuste n'est pas là où on pense. Elle n'est pas morale ni univoque. La démesure d’Agamemnon consiste à être sorti des limites humaines, c'est la prétention à vouloir tout au lieu de rester dans les limites mais on ne sait jamais les limites en question : c'est bien cela le tragique.
Quand Agamemnon met le feu à la ville de Troie, il ne sait pas où sont les limites du juste et de l'injuste. L'entreprise des Euménides est de passer d’un droit lié à un ordre du cosmos où on ne connaît pas les limites à  un droit positif ♥, fixée par un décret qui permet de savoir où sont les limites : le code pénal fixe des repères. On sort du tragique quand on sort de l'aveuglement, quand on a des limites qui  permettent de fixer le juste et l’injuste de façon convenue. Si le monde est régi par une loi naturelle liée à aux cosmos je transgresse inévitablement les lois car je ne peux connaître le juste et l'injuste. En revanche les lois de la cité me rendent responsables de mes choix et de mes actes. C'est le droit positif. L'astuce des athéniens c'est de déclarer que c'est Athéna qui institue ce droit positif. La transposition du monde des dieux sur la scène de théâtre et en faire  des personnages permet à    Eschyle d’inventer une justice laïque. La pièce montre comment on peut  s'arracher au tragique de la condition humaine à conditions d'être en règle avec la loi qui est à présent un concept clair : ce qui est juste, c’es la loi de la cité,  l'injuste c’est transgresser la loi de la cité et non plus transgresser  une loi obscure.
La création d'une cité avec un tribunal permet  de sortir du tragique. Les hommes vont pouvoir prendre en main leur destin. Le lieu de  résolution du tragique, c'est la tragédie elle-même. Mettre en scène le tragique et s'en arracher par  le langage à valeur performative :  je dis que Athéna a dit, donc elle a dit et c’est institué. Je change l'ordre du monde par la tragédie.
Pascal
Mais pour Pascal si  « je crois » qu'il est possible  de s'arracher au tragique de l'existence, c'est une illusion de l'imagination  (vanité). Les Grecs se donnent l'illusion d'une résolution politique de la tragédie de la vie grâce à une cité de paix et une bonne constitution mais au fond l'horizon de mort n'a pas disparu. Ca déplace le problème car pour Pascal Dieu est le seul à nous sauver de la mort. Et Zeus n'a pas la capacité de nous rendre immortels, et donc la mort reste tragique. Seul le Christ a fait mourir la mort.
Les Euménides créent une cité avec des règles. Les grecs ont le sentiment de créer un ordre nouveau sur lequel on continue de vivre.≠ L'Amérique est un nouveau monde qui a la naïveté de repartir d'un monde sans loi. Toute l'histoire est marquée par la reconnaissance d'une loi qui fédère les peuples.
Au XVIIe la société est régie sur le principe d'un seul Dieu. Le monothéisme c'est la volonté unique qui sert de principe à tout et notamment de principe d’intelligibilité, de source unique du droit. Ce qui est juste est ce qui est conforme à la volonté de Dieu même si elle   n'est pas lisible à cause du péché.. Or la question philosophique est de savoir si la volonté de Dieu est arbitraire. C'est quoi le bien et où est-il ? Si Dieu est bon, il a créé un monde  bon donc pourquoi est-il rempli d'injustices ? Théologiquement il faut bien admettre que c'est la volonté humaine qui cause l’injustice.

Pour Pascal le salut ne vient pas de nos actes, je ne peux pas me sauver tout seul en revanche je peux agir pour aller dans le sens d'un salut (on ne peut pas se tirer de l'eau en se soulevant soi-même par les cheveux), le salut est un don, c'est la foi dans le salut qui nous sauve. Avec le monothéisme la question de la justice entre dans la sphère humaine, ça n'a plus rien ne cosmique. C'est là que la justice prend un caractère éthique en changeant de paradigme. On n'est plus dans le même système de pensée, on n'est plus dans le mode de pensée grecque. On a à faire à un dieu moral mais la sphère du juste et de l'injuste est entre les mains des hommes. La question du juste est de savoir si l'action est conforme à la prise en compte d’autrui, c'est la notion de considération d’  autrui : qu’est-ce qui est dû à l'autre ? ♥

Steinbeck
Moïse, exode  « il n'y a pas de peuple qui ait  de meilleure loi »
La loi règle les rapports entre les individus, elle permet de ne pas dépasser les limites, de ne pas en être dans la démesure la vengeance. (œil pour œil ce n'est pas 2 yeux pour un œil)
Le droit positif pose les limites à l'opposé des lois cosmiques que l'on ne peut pas connaître. Les peuples qui établissent une loi, ont conscience d'introduire un changement exceptionnel dans le monde
Hammourabi : 3000 ans avant Jésus-Christ
Moïse : 1200 ans avant Jésus-Christ
Athènes : Ve siècle avant Jésus-Christ
En Amérique : les hommes qui arrivent se retrouvent tous égaux car il n'y a pas de lois qui préexistent, pas d'état. Il n'y a que la liberté et l'égalité (pas de nobles, pas de roturiers) : on a tous le même Far-West devant nous, on est libre, entreprenons , faisons des affaires.   Mais cela va  engendrer de l’injustice,  des inégalités dans la mesure où c’est chacun sa loi, tous contre tous, tous à s'exploiter librement, sans l'entrave de la loi ni de la coutume. Va se poser le problème de la régulation, donc le problème des règles et donc la nécessité d'instaurer un État ( l'État c'est celui qui fait la loi). Mais la constitution américaine  c'est le moins d’état possible pour le plus de libertés possibles - idéologie du moins d'état possible et donc pas de régulation pour plus de justice.. L'État américain  garantit la liberté de concurrence : acheter le travail le moins cher possible est légal (c’est le contraire de la France : tout préciser, tout légiférer, tout réglementer  pour interdire les moindres injustices // paralyser les libertés, mais c'est créer une    rente de situation pour les riches)
En Amérique pas de SMIC, le libéralisme est source d’injustices, c'est à dire de démesure dans les inégalités. C'est un retour au monde du chaos  des vieux dieux dont Athéna fait sortir la cité. Le renversement de l'ordre du progrès de la justice est signifié dans le roman par la jeune fille   qui donne le sein au vieillard (retour archaïque à l'ancien ordre du monde : nourrir le vieillard à la place  d'un enfant c’est nourrir le passé et non  l'avenir d'une société . Il faut opposer la fin de la pièce d'Eschyle ouverte  sur l’avenir (optimisme)  et la fin du roman de Steinbeck.qui   constitue un retour vers le chaos primitif ( nihilisme). Nourrir le vieillard c’est  le temps à l'envers, le retour des vieux dieux alors que la direction vers l'ouest représente une espérance d’avenir qui est ainsi démentie. La route vers l'ouest se transforme en errance dans la boue et la pluie. La Californie symbolisait l'espérance d'une terre  nourricière,  la scène finale représente une régression et la fin d'un rêve. C'est une épopée tragique.
Dans la Grèce antique dualité irréductible comme principe du monde. Les dieux s'affrontent entre eux et avec les forces obscures(les Erinyes), le juste et l'injuste se pensent  dans ce contexte trouble, ils ne sont pas lisibles car chaque instant est fait  de forces contradictoires, on est puni pour la  faute de ses pères. Eschyle introduit une rupture dans l'ordre Ancien, le monde qu'il inaugure est un monde tourné vers l’avenir.
 D'une certaine façon Steinbeck vient donner raison à Eschyle : quand il n'y a plus d'état c'est la catastrophe, les lois établies pour toute la cité permettent d'assurer l'égalité des citoyens devant la loi, au contraire des États-Unis en 1930. Le camp du gouvernement représente une utopie où chacun est redevable devant autrui. La nouvelle cité grecque va échapper à la cacophonie des dieux, les Etats unis plongent  dans le chaos où la loi ne fédère plus les individus mais célèbre au contraire le repli sur l’individualisme, l’exacerbation de la concupiscence érigée en vertu.
IV  – Sortir du tragique : - Pour être juste il ne suffit pas de ne pas être injuste
-       Soit c’est défini par la loi = conception légaliste du juste ( droit positif)
ou bien la conscience est dans une exigence éthique d’être en recherche du juste qui n'est jamais donné mais qui ressortit  à ma liberté morale. = Idéal de justice ♥ Reconnaître autrui pour ce qu'il est, exigence infinie de justice, mais je n'ai jamais fini d'être juste. L’amour est au-delà  du juste et de l'injuste, si j'ai agi sans amour est ce que je suis juste ? C’est une justice qui va au-delà de la justice rétributive mais c'est la seule justice qui permettrait de vaincre le mal : on ne peut vaincre l’injustice par la justice mais par l'amour. Ce qui est bien n’est pas  ce qui est simplement juste ; on peut vivre honnêtement sans faire le mal sans pour autant faire le bien, selon Pascal, pour être un homme juste il faut marcher dans les pas de Dieu, et donc pas seulement être en règle, l’injustice est le rejet de   la vraie justice qui  est la volonté de Dieu
Que veut dire être bon ?
Cela veut dire reconnaître autrui, préférer  autrui à soi-même, vouloir autrui plutôt que soi-même, ne pas faire de l'autre un moyen mais une fin en la bonté, c'est donné gratuitement, ne pas être dans une relation d'échange, donner sans retour,  considérer l'autre comme ayant plus de valeur que moi-même.
On se place ainsi au-delà de la justice rétributive car  la justice reste dans les limites de la rétribution ce qui renvoie à quelque chose de réglé.

        = Rétribuer en conscience. La justice n'a pas à voir avec l'amour de l'autre mais avec la conformité à une règle de l'équité distributive. Être bon c'est aller au-delà de la justice rétributive. Pour faire un acte juste il ne suffit pas de ne pas commettre d'injustice ni de réparer une injustice par l'application de la justice (la prison ne rend pas le monde meilleur) ♥, cf  Ricœur
        Comment éradiquer l'injustice ? Il faut vouloir un monde  bon et pour cela être animé d'une volonté bonne donc vouloir le bien d'autrui plus que soi. Cf Kant  Mais pour cela il faut l'aimer donc l'amour d’autrui permet d'aller au-delà de la simple justice rétributive.
        Le simple exercice de la justice est statique, il est insuffisant pour transformer le monde en monde juste et la bonté exige aussi la justice sinon c'est le chaos. Dans  Steinbeck la bonté meurt avec elle-même.
        Il faut plus que la justice pour qu’advienne la justice, l'avènement de la justice ne peut pas être statique il faut envisager la justice comme une fin et pas seulement comme un moyen. Il faut donc croiser la valeur justice avec une autre valeur, au-delà de l'idée d'un ordre du monde juste. Il faut donc une autre valeur que la justice politique, il faut un horizon éthique à la justice. Dans l'Eschyle pas d’autres perspectives que politiques pour l'exercice de la justice : la justice consiste à régler le droit comme solution juridique à la vendetta. Ca fonctionne sur le plan de la cité politique, portée efficace de l’aréopage, c'est une révolution.
        Cynisme de Pascal : l'ordre du politique ne se confond pas avec l'ordre de la charité. Le droit doit être positiviste car il doit garantir un ordre politique stable.
V – Conclusion
        Eschyle : justice se conçoit dans un ordre du monde que l’homme ne maîtrise pas et dans lequel il est perdu, condamné à errer car il ne connaît distinctement quel est l’ordre du monde => mais avec Eschyle la justice s’émancipe, c'est l'invention du droit positif qui résout  l'incertitude du juste et de l'injuste. Eschyle est fier d’un ordre nouveau qui va permettre d'exercer le droit et la justice pour de bon
        Pascal : pour lui le monde est entièrement injuste et il faut faire comme si il était juste, comme si la justice était fondée en vérité alors qu'elle n'est qu'une singerie.
        Pascal affirme que dans un monde est injuste il faut une justice qui passe pour juste même si elle n'en a que les apparences. Paradoxe : là où Eschyle a mis fin au tragique, Pascal fait un paradoxe saignant  et réintroduit le tragique. Car pour Pascal il n'y a pas d'espoir pour l'homme de s'en sortir par lui-même il n'y a pas d'autre issue que dans le Christ. En dépit de toutes nos prétentions à l'intelligence quand le droit n'est pas animé par l'amour il peut conduire à un sommet d'injustice (Auschwitz)
        Steinbeck : la société s'accommode de l'injustice,  dans un État libéral il n'y a pas de fraternité, pas de régulation des conflits ;  dans le roman on revient donc au chaos tragique d'avant les Euménides. Zeus représentait le progrès c'est un nouveau Dieu qui dans la pièce vient  triompher des dieux archaïques. Dans le roman l'injustice triomphe de façon cynique. Régression vers le chaos primitif, impossibilité d'exercer la justice. Rupture avec Eschyle et de la justice athénienne,  échec de l'optimisme triomphant d'Eschyle qui proposait une sortie du tragique. Pascal propose de sauver les apparences afin de sauvegarder la paix mais c'est déjà en retour du tragique car la justice est illusoire et arbitraire. Steinbeck triomphe de l'injustice et du tragique
Eschyle
            Chaos = malheur, errance => lois = paix, réconciliation, espoir liberté
Steinbeck
            Ordre, tradition rompus, arrachement => errance, désordre = malheur,       désespoir, mort et aliénation


Cronos => Zeus /  Athéna (Eschyle) => injustice naturelle mais justice d'apparence pour sauvegarder la paix civile ( Pascal ) => triomphe du chaos (Steinbeck )