mardi 27 décembre 2011

Lexique pour lire la tragédie grecque


Petit Lexique de la tragédie grecque

Autour du thème de la Justice

L’Orestie (tr Loayza, GF)


La Justice est une question centrale dans la tragédie grecque. Notamment parce que les mortels ou demi-dieux qui en sont les héros, voire les dieux eux-mêmes, commettent des fautes qui entraînent de lourdes conséquences.

Voici les principales notions qu’il importe de maîtriser au regard du thème d’étude. Il faut noter néanmoins que ces notions ne sont en rien spécifiques à la trilogie d’Eschyle et que ce sont les thèmes et questions essentiels que l’on trouvera à l’œuvre par la suite dans les tragédies de Sophocle et d’Euripide (que l’on pense par exemple à Antigone où la question de la justice est tt aussi centrale notamment ds le conflit entre droit naturel et droit positif qui oppose l’héroïne à Créon). Le premier de ces mots est bien sûr la Justice. Les occurrences de ce mot et notamment dans la première pièce de la trilogie sont innombrables, on peut le trouver employé au moins une quinzaine de fois sous des formes diverses (justice, le juste, juste, justicier, etc…). On fera la même remarque avec les Euménides, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il s’agit de la représentation sur scène, de la mise en scène du procès d’Oreste. Nous commencerons donc par la notion de Justice, puisqu’il s’agit du thème essentiel de la trilogie. Nous traiterons en dernier lieu de l’Atè (la faute ou l’égarement) qui a entraîné le héros dans la tragédie.

1.  Dikè (η δικη) : Justice, droit, procès, sentence, condamnation. La Dikè est la justice légale et humaine, figure qui est complétée par Thémis, la Justice divine (voir plus bas). Thémis, est selon Hésiode, femme de Zeus et mère de Dikè. Ces deux figures siègent auprès du trône de Zeus sur l’Olympe. On ne peut vraiment parler de « personnages », ce sont plutôt des abstractions personnifiées. Zeus est souvent associé à la Justice ex. v.244 Choéphores Oreste : « pourvu qu’à la Force et au Droit Zeus très puissant, lui troisième, daigne s’unir pour m’assister » ou encore dans Agamemnon, le roi est « celui qui a miné le sol troyen, armé de la pioche justicière / de Zeus qui laisse leur plaine brisée » v.525. A la fin des Choéphores, au troisième stasimon précédant le meurtre,  le chœur clame sa joie et appelle le geste vengeur d’Oreste en évoquant « celle qui a touché son bras dans la bataille », qui « est vraiment la fille de Zeus - / Justice, ainsi la nomment les mortels / d’un nom qui lui convient ». v.948-951. Il s’agit d’un jeu de mots fondé sur une fausse étymologie : δικη =Δίος κορη = fille de Zeus. Ainsi le meurtre de Clytemnestre par Oreste est-il juste puisque Justice, bien nommée fille de Zeus, a guidé son bras. D’ailleurs Oreste lui-même revendique son crime dans l’exodos en disant que son geste lui a été dicté par Loxias (l’Oblique), cad Apollon, lui-même fils de Zeus : « oui, j’ai tué ma mère, non sans justice, / la souillure qui tua mon père, Haïe des dieux, et j’en ai puisé l’audace auprès du grand Loxias,/ l’oracle de Pythô, qui m’assura/ que j’agirais sans être coupable de crime. » v.1027 sqq.
A l’origine émanation et attribut de Zeus, principe d’ordre, la Dikè devient par la suite l’expression de l’ensemble des lois qui régissent la cité et désigne tout le champ de la justice humaine : procès, châtiment. Cette évolution du sens du mot est le mouvement même de la trilogie de l’Orestie : le passage d’une justice purement divine à une justice humaine  - qui est cependant reliée aux dieux par l’intermédiaire d’Athéna qui est en quelque sorte la tutelle bienveillante de l’institution judiciaire athénienne. Selon Hésiode, le règne de la Dike est toujours à venir : « La Justice triomphe de la démesure (Hubris, voir plus bas) quand son heure est venue ». On voit immédiatement apparaître en association avec le terme de Justice la notion antonyme de «dé-mesure » (voir plus bas la notion d’Hybris.

La Justice se définit par la « juste » distribution du lot assigné à chacun : la Némésis est la divinité qui répartit ces  « lots » (moira, μοιρα, la part de chaque homme, le lot de chacun, la destinée qui lui est impartie) de façon équitable. Némésis incarne la justice distributive, celle qui répartit les « lots » (il peut s’agir de biens, de ressources, mais aussi de bonheurs et de malheurs) à proportion de ce que chacun mérite. Mais Némésis est aussi la déesse de la vengeance : en grec nemein est un verbe qui signifie « rendre ce qui est dû ». On comprend alors pourquoi le motif de la dette est aussi présent dans la trilogie d’Eschyle : le criminel doit « payer » pour le crime commis, il doit « réparer » sa faute, et « rétribuer » la victime en fonction du préjudice subi. Némésis et Erinyes sont ainsi liées par ce thème de la vengeance. C’est ainsi que dans les Euménides, le chœur aux vers 334 sqq évoque en parlant d’Oreste : « L’inflexible déesse du destin/fila pour moi ce lot que je tiens ferme : / quand un mortel, versant son propre sang,/ succombe à son aveuglement/ je le poursuis/ jusque sous terre où par sa propre mort/ il sera bien loin d’être délivré. » Némésis se distingue cependant des Erinyes : elle incarne le principe du droit, elle est l’exécutrice de la justice de Zeus, mais elle ne poursuit pas elle-même les criminels à la différence des Erinyes (voir plus bas).
Platon dans le Protagoras fait relater par ce dernier le mythe selon lequel la justice est le don suprême des dieux à l’humanité, ce qui lui permet de vivre en harmonie en société. Cette conception de la Justice comme émanant des dieux montre que pour les Grecs, le fondement de la Justice est théologique : la justice est pensée comme un reflet de l’ordre cosmique, cad comme une harmonie, un équilibre entre toutes les parties du monde. Ensuite, dans un deuxième temps, avec le développement politique des cités grecques, la Justice va sortir de son cadre mythique et théologique pour se laïciser, du moins partiellement, et pour s’incarner dans le monde des Hommes. On peut dire que si le fondement est théologique, apparaît déjà à l’horizon le télos : le but de la justice est de fonder une cité juste.  C’est le propos même de l’Orestie. En effet, dans la première pièce Agamemnon, les hommes frappés par l’hubris, restent la proie d’une chaîne de crimes et de vengeances, plus ou moins envoyés par les dieux : le crime d’Atrée va entraîner toute la famille ds une longue suite de crimes et de vengeances (voir plus bas Erinus ou les Erinyes). Oreste lui-même doit commettre le crime sous les ordres d’Apollon et  il est poursuivi ensuite par les Erinyes assoiffées de sang. Mais dans la dernière pièce Les Euménides, Athéna va lui offrir la possibilité d’être jugé par un tribunal humain, l’Aréopage athénien, qui est placé lui-même sous sa protection. Ainsi Oreste va-t-il échapper à la terrifiante chaîne de crimes qui l’ont précédé, lui-même ayant rendu « meurtre pour meurtre » (v.274 Choéphores), s’étant donc lui-même impliqué dans cette chaîne implacable de crimes – chaque crime se revendiquant le droit de payer le crime précédent. Le Coryphée l’appelle de ses vœux au début du grand Kommos des Choéphores qui va lancer Oreste sur la voie du meurtre : v.307 sqq « Le mot de haine, qu’il soit payé / d’un mot de haine – voilà ce que proclame/la Justice, qui exige ce qu’on lui doit. /Qu’un coup morte acquitte/ le coup mortel : souffre selon ton acte – trois fois vieille est la sentence qui l’affirme. » Il s’agit de la loi du talion qui vient du mot « talis » en latin, qui signifie « tel », « semblable », « égal ». On se reportera pour ce terme :
    • à la fiche très instructive proposée par le manuel « Justice » chez GF, page XXI de l’introduction au thème. Et on pensera que cette loi du talion à si mauvaise réputation est un début de réflexion sur la « juste mesure » de la réparation d’un crime : telle faute entraînera un châtiment équivalent, cad à la hauteur de la faute.
    • à la note 70 p.322  ds l’édition complète de Loayza des Choéphores  qui liste tous les vers rappelant la nécessité du talion, principalement dans Agamemnon et Choéphores. Il est évident, vu la transformation de l’idée de Justice évoquée au début ce cet article, que le talion disparaîtra comme motif des Euménides, puisqu’il sera remplacée par une autre idée de la justice. Ceci montre assez à quel point Justice = talion ds les deux premières pièces, même si les personnages ou le chœur associe les dieux à ce désir de rendre coup pour coup.

Du même coup, la notion de Justice est associée à une idée de « mesure », d’égalité entre la faute commise et le châtiment (c’est le principe même du talion, œil pour œil, comme le rappelle le manuel GF, mais un œil seulement et pas plus), ainsi par ex. le héraut dans Agamemnon rappelle v.533 sqq « car ni Pâris ni la cité qui expie avec lui /ne peuvent se vanter d’avoir fait plus qu’ils n’ont souffert - /mais redevable à la justice d’une dette de rapt et de vol. » La notion de dette apparaît très souvent associée à la Justice  pour rappeler que le crime doit être puni, le criminel devant régler sa dette (ce qui sera le cas d’Oreste). Ce principe est affirmé par le chœur dès la pièce première de la trilogie – qui est à tout point de vue fondamentale : « l’outrage répond à l’outrage,/ lutte difficile à trancher. /Qui prend est pris, qui tue paye sa dette./ Cette règle restera ferme autant que le trône de Zeus : / souffre selon ton acte. Ainsi le veut la loi divine. » Agamemnon v.1560 sqq. Ainsi se trouvent liées la loi de Zeus, la Justice, et l’idée du talion qui fusionnent avec la dette de sang. Cette notion est présente aussi au début des Choéphores dans le parodos du chœur annonçant le thème de la pièce, la dette contractée par les criminels Clytemnestre et Egisthe. « Le sang répandu sur le sol, comment serait-il racheté ? » La question restant sans réponse tant qu’Oreste n’apparaît pas : le coryphée dira plus loin à Oreste : « Mais l’averse de sang qui imprègne le sol/ réclame un autre sang. Telle est la loi. Le meurtre appelle l’Erinye ». v.400-401-402 (L’ironie tragique est déjà ici présente puisque Oreste va agir au nom de l’Erinye de son père mais il va ainsi déclencher ou appeler l’Erinye de sa mère). Voir plus bas l’Erinye.

Dans Agamemnon, tous les crimes sont revendiqués au nom de la Dikè : ainsi à la fin de la pièce, lors de l’exodos, Egisthe lui-même, après le meurtre d’Agamemnon, se réclame de la Dike : voir la longue tirade du vers 1577 à 1611 « O douce lumière du jour justicier – aujourd’hui je puis enfin dire que les mortels / et les malheurs de la terre n’échappent pas à ‘loeil divin de la vengeance, maintenant que j’ai vu cet homme gisant dans le tissu des Erinyes/ pour mon plus grand plaisir et pour paer les crimes de son père » et la tirade se termine par ces vers : « ainsi même la mort me semblera belle, maintenant que je l’ai vu dans les filets de la Justice ». (v 1610-1611). Il s’agit du filet dont Clytemnestre a enveloppé le corps mort d’Agamemnon. Voir la rubrique suivante à propos de l’expression « filets de la Justice » qui vient se superposer à « le tissu des Erinyes » établissant ainsi de fait une équivalence – ou plutôt une confusion ? - entre les 2 instances.

Dernier point : on trouve d’autres termes que dike : « dikaios » δίκαιος, adj qui signifie « juste, légitime, mesuré ». et aussi δικαιοσύνη, autre terme pour la justice. Dans la trilogie,  toute l’isotopie de la justice se déploie : ainsi Electre demande au Coryphée qui appelle la punition des coupables du meurtre au début de la pièce : « Est-ce un juge, un justicier que tu veux dire. » v.120


2.Erinys : Έρινύς. Au pluriel les Erinyes ou Erinnyes (ou Furies)

Puissance primitive terrifiante, qui appartient à la génération précédant les dieux de l’Olympe, elles appartiennent à la race des Géants.  En effet, dans la Théogonie d’Hésiode, les Erinyes naissent de la Terre (Gaia), fécondée par les éclaboussures de sang et de sperme que verse Ouranos, châtré par son fils Chronos. Cette origine a des résonances symboliques essentielles : les Erinyes sont très marquées par la thématique du meurtre du père et par le motif du sang, ce que remarque Pierre Judet de la Combe dans une note à la traduction de l’Orestie par Hélène Cixous (voir la note 48 des Euménides p.353 ds Loayza intérale de l’orestie). Nées elles-mêmes d’un crime contre nature qui renverse l’ordre des générations, d’un fils Chronos qui porte atteinte à la virilité de son père Ouranos, et l’empêche symboliquement d’engendrer à nouveau, elles traquent ce renversement des générations inlassablement : le matricide d’Oreste est évidemment concerné, étant sans doute le crime le plus monstrueux, le sang se retournant contre le sang (v.336 des Euménides « quand un mortel versant son propre sang » dit le chœur à propos du matricide Oreste) .
A partir d’Hésiode les Erinyes sont trois monstres femelles, donc plurielles : gardiennes de la vie humaines, elles sont chargées de pourchasser les méchants sur terre. Leur aspect est affreux : leur chevelure est entortillée de serpents et leurs yeux pleurent des larmes de sang comme les décrit la Pythie au début des Euménides : »elles sont noires, absolument repoussantes, de leurs yeux coule une libation d’horreur » etc  v.51-54.  Les Erinyes, elles-mêmes nées du sang, demandent le sang pour se régénérer. Ayant été engendrées de manière non sexuelle, elles ne sont pas marquées par les lois du mariage, ce qui explique qu’elles ne pourchassent pas Clytemnestre pour le meurtre de son mari, mais qu’au contraire elles la soutiennent dans son désir de vengeance contre lui pour avoir commis le crime contre son propre sang en sacrifiant sa fille Iphigénie. Les Erinyes incarnent donc la vengeance, celle chargée de punir les crimes de sang, notamment ceux commis dans la famille. Elles sont inexorables, mais justes. Héraclite déclare : « Le soleil ne sort jamais de son orbite, mais les Erinyes, ministre de la justice, le surpassent encore ».

Les Erinyes sont très présentes ds la trilogie d’Eschyle : dès Agamemnon la prophétesse Cassandre à son arrivée au palais des Atrides sent (flaire même) leur présence annonçant le futur meurtre d’Agamemnon : v.1116 sqq « Mais la toile, c’est elle qui partage son lit qui prend part à son meurtre /– et qu’insatiable de la race un discordant réseau/ célèbre par ses hurlements /un sacrifice à lapider. Le chœur entend parfaitement ce que signifie le « discordant réseau » puisqu’il répond : «  Quelle Erynie excites-tu dans le palais à déchaîner ses cris ? » (v.1119-1120). Et plus loin elle réaffirme au chœur que ce meurtre a une origine plus lointaine,  la vengeance datant de la génération du père d’Agamemnon, le crime d’Atrée : « Sachez que jamais sous ce toit ne cesse de rôder un chœur/ à l’unisson de voix mauvaises dont chaque parole est sinistre/une joyeuse compagnie dont l’audace s’est abreuvée/ de sang humain, qui demeure dans la maison/ sans se laisser mettre à la porte – la troupe des Erinyes de la race ; assises dans le palais, elles chantent le chant/du premier crime originel, avant de cracher leur horreur/sur une couche hostile au frère qui l’a foulée » (v.1186-1192). Ainsi les Erinyes dans Agamemnon apparaissent-elles comme des hôtes invisibles mais présents à l’intérieur du palais, et sont-elles associées à la race des Atrides depuis le crime originel, celui d’Atrée qui tua les enfants de Thyeste. De plus Egisthe lors de sa longue tirade de l’exode relie lui aussi le meurtre d’Agamemnon aux Erinyes et au crime de son père Atrée : « O lumière du jour justicier/ aujourd’hui je puis enfin dire que les mortels / et les malheurs de la terre n’échappent pas à l’œil divin de la vengeance/ maintenant que j’ai vu cet homme gisant dans le tissu des Erinyes/ pour mon plus grand plaisir et pour payer les crimes de son père. » v.1577-1581. On constate que dans les deux extraits Clytemnestre n’est pas nommée comme meurtrière, elle disparaît derrière les « véritables » agents du crime, les Erinyes (cf le tissu des Erinyes, cad le filet dont Clytemnestre s’est servi pour envelopper le corps mort d’Agamemnon). On notera d’ailleurs que plus loin,Egisthe emploiera le terme de « filets de la Justice » opérant ainsi une équivalence entre les Erinyes et la Dikè. Voir plus haut « Dike ».
 Oreste les évoque dès le début des Choéphores v.285-286 et également aux vers 382 sqq utilise l’expression « la tardive ruine » : « Zeus, Zeus, qui du fond des enfers/ déchaines toujours la tardive ruine sur l’arrogance et les crimes des hommes » : cette expression fait écho aux vers 58-59 d’Agamemnon : «  Zeus, ……déchaîne la vengeresse /sur les coupables, la tardive Erinye. » Clytemnestre au moment d’être tuée par Oreste le met en garde : » prends garde à la furie des chiennes de ta mère » v.924, ce à quoi Oreste répond : « Et celles de mon père, comment les fuir si je recule ? » Autrement dit, ds le duel entre la mère et le fils, c’est un duel de vengeance à vengeance, d’Erinye à Erinye, et dit même Oreste : « Arès contre Arès,  Droit contre Droit » v.461 Choéphores.
Et enfin le chœur et le coryphée incarnent ou font entendre la voie des Erinyes dans les Euménides : dans un magnifique chant lyrique qui commence avec l’épiparodos, cad la deuxième entrée du chœur les Erinyes reviennent sur scène après avoir été chassées par Apollon. Le coryphée  commence par un appel au sang qui va s’amplifier pour trouver son acmé aux v.328-333 et 341-346 de telle sorte que l’on peut véritablement qualifier ces Erinyes, ces déesses, de véritables figures de vampires, mi humaines, mi animales : « L’odeur du sang humain me rit (v.253 le coryphée), « « Mais à ton tour, toi le vivant, de m’abreuver/ de la rouge offrande de tes membres- oui qu’à longs traits / je boive en toi l’imbuvable boisson v.264 -266 (le chœur), « « tu vas périr, ton cœur vidé de toute joie, / pâture des déesses, ombre privée de sang (coryphée) v.301-302, etc… ». Lyrisme d’une grande beauté et grande violence qui rappelle leur origine violente.

A la fin de la trilogie, Athéna échange dans des vers d’une grande solennité avec le chœur qui se présente comme «  Ménades » (v.499) réclamant vengeance de sang : soit les Erinyes elles-mêmes, sans qu’elles soient ainsi nommées. Les Erinyes représentent la génération des dieux pré-olympiens, un stade antérieur de la représentation du monde et de l’idée de la Justice. Le chœur commence un long chant de plainte de n’être pas écouté par les jeunes dieux Athéna et Apollon : v.791 sqq et 820 sqq « grande est la souffrance/des malheureuses filles de la Nuit, si tristement privées d’honneurs ». Cependant Athéna va apaiser leurs colères en reconnaissant leur puissance et en engageant les gardiens de la cité à les respecter : « Immense est le pouvoir de la souveraine Erinye car il s’étend des immortels jusque sous terre, et chez les hommes, ce sont elles visiblement qui mènent tout jusqu’à son terme en  accordant aux uns le chant, aux autres une existence aux yeux troublés de larmes » (v.949-955). Enfin Athéna les fait descendre sous terre : « Suivies de ces victimes vénérables, descendez sous terre afin de retenir loin d’ici toute  ruine et d’envoyer à ma cité tous les bienfaits contribuant à sa victoire » (v.1006-1010). Ainsi les Erinyes deviendront-elles des divinités chtoniennes, cad souterraines, reléguées aux enfers. Et « Bienveillantes » par euphémisme par la grâce d’Athéna. Les Euménides accueilleront désormais tous les suppliants à Colone en mémoire d’Oedipe et Antigone qui y furent aussi accueillis. Pour ce qui concerne ce passage d’un ordre ancien représenté par les Erinyes à l’ordre nouveau représenté par les « jeunes dieux » Athéna et Apollon, nous renvoyons à l’article de Mathieu Meyrignac, chez Bréal p.75-83.
Le sang est un motif essentiel dans l’Orestie : il court depuis Agamemnon jusqu’aux Euménides. Le sang est très souvent associé aux Erinyes, on peut le considérer comme une synecdoque d’elles-mêmes, vu qu’elles en tirent leur origine, nouvelle illustration de la formule « le sang appelle le sang ». Par ailleurs la métonymie du filet leur est très souvent associée, rappelant le « filet » ds lequel Agamemnon a été enveloppé par Clytemnestre au moment du meurtre. Ce filet, ce réseau rappelle aussi les Moires qui filent le réseau de la vie humaine.

3.Hybris : ύβρις, l’excès d’orgueil, la démesure ; l’insolence, la violence, l’outrage.
Comme le dit Hésiode, Hybris est le contraire de Dike (Les Travaux et les Jours v.214-216). Comme de nombreux récits mythiques, les tragédies antiques font de l’hybris le mal fondateur, la faute originelle dont le châtiment sera la ruine et la mort. Les héros font souvent preuve d’hybris lorsqu’ils se vantent de leurs victoires, ou lorsqu’ils veulent défier les dieux ou s’égaler à eux. L’hybris frappe souvent les guerriers victorieux, Achille par ex. et Agamemnon qui s’empare de la captive d’Achille. Cette démesure entraîne souvent les hommes dans des actes impies ou insolents contre les dieux qui les entraîneront dans la ruine. Dans Agamemnon : « Car il n’existe aucun rempart autour/ de l’insolent  gorgé de richesse/ s’il va ruer contre l’autel puissant/ de la Justice jusqu’à sa disparition.  L’hybris attire donc nécessairement le châtiment et donc l’intervention de Dike. L’hybris peut aussi frapper les femmes, comme par ex. Clytemnestre ds Agamemnon dont les paroles sont démesurées : ainsi sa tirade adressée au chœur des vieillards après le meurtre de son époux et de Cassandre, v.1372 sqq. Ses paroles apparaissent comme démesurées et insolentes, lorsqu’elle revendique les deux meurtres et même s’en vante : v.1393 et le chœur répond : « j’admire ta langue – comment ta bouche insolente ose-t-elle triompher sur ton époux ? »

4. Moira (au pluriel Moirai, les Moires ou les Parques en latin) : le Destin

Cette divinité est la personnification du Destin. Son nom vient de μοιρα, la part, et aussi la part de vie que chaque homme reçoit à sa naissance, cad la destinée, et par métonymie, la fin de cette vie, la mort. Hésiode dans sa théogonie fait des Moires les filles de Zeus et de Thémis (Justice, voir plus loin)Au début du grand Kommos des Choéphores, le Coryphée invoque les « Déesses du destin », les Moirai. V.307 « Déesses du destin, qu’au nom de Zeus cela s’achève/ selon la voie où s’engage le Droit. » Lorsque dans le premier stasimon des Euménides, le chœur (composée des Erinyes) réclame son dû, cad la mort d’Oreste, il le fait au nom de Moira : « L’inflexible déesse du destin, / fila pour moi ce lot que je tiens ferme (il s’agit de la « victime » désignée des Erinyes, celui qui doit être mise à mort pour venger le crime  :  Oreste) v.334 sqq

5 Thémis (θέμις), justice, ou nom propre la Justice.
Selon Hésiode (Théogonie) Thémis est fille d’Ouranos et de Gaia, elle est donc une Titanide, comme Chronos, le père de Zeus ; deuxième épouse de Zeus, elle est la mère des Moires (voir plus haut). Personnifiée, elle incarne l’harmonie du monde, le principe qui maintient l’équilibre du cosmos, on pourrait ainsi l’appeler la justice cosmique et divine. Les deux principes Dikè et Thémis sont complémentaires : c’est la raison pour laquelle les deux figures siègent aux côtés de Zeus. La Dikè, la justice humaine, doit s’insérer dans la Thémis, la justice divine.
Ces deux principes de justice, Dikè et Thémis sont très souvent évoqués par les personnages de la trilogie. Ainsi Electre dans les choéphores invoque-t-elle la mère de Thémis, la Terre, lorsqu’elle appelle de ses vœux la justice : « Justice contre l’injustice /entendez-moi, ô Terre et nobles dieux d’en bas » (v.398-399). Et c’est à  Thémis « en personne » (si l’on peut dire) que la Pythie s’adresse dans le prologue des Euménides : « Parmi les dieux, ma prière salue d’abord la plus ancienne/ et la première prophétesse, la Terre. Et puis Thémis,/ qui faut après sa mère la seconde à s’asseoir sur ce siège prophétique, selon un vieux récit » (v.1-3)Pour tout ce qui concerne le passage de la justice divine à la justice humaine, nous renvoyons à l’article de Mathieu Meyrignac dans l’ouvrage Bréal « La Justice » 2011.

Enfin il faudra  ajouter :

6. Atè, άτη : l’aveuglement fatal, l’égarement, la démence ; par métonymie, le crime engendré par l’égarement ; la Fatalité, la Vengeance céleste.
Atè a un rôle essentiel dans le déroulement de la tragédie : elle est à l’origine du crime et donc de la culpabilité du héros. L’égarement qui frappe le héros est d’origine divine c’est pourquoi Atè peut aussi incarner la force du malheur s’abattant sur les hommes : le ou la coupable agit souvent frappé par la folie. Désignant tout à la fois l’origine - surnaturelle - du crime puis le crime lui-même et le chaos qu’il engendre, la question conflictuelle mais primordiale posée par cette notion est celle de la responsabilité humaine : si Atè, l’Egareuse d’hommes, fille de Zeus, les plonge dans la folie et le crime, alors qu’en est-il de la culpabilité ? Et comment juger les hommes ?  L’Atè a une place stratégique dans la trilogie d’Eschyle : elle est évoquée par le coryphée dans les tout derniers vers des Choéphores ; après avoir évoqué les trois crimes qu’a connus le palais des Atrides, le premier étant le festin de Thyeste qui dévora ses propres enfants tués par son frère Atrée, le deuxième le meurtre d’Agamemnon par Clytemnestre et Egisthe, et le dernier étant celui commis par Oreste, le coryphée s’interroge « Où donc va s’accomplir/ où va cesser/ et s’endormir enfin la furie de la ruine ? (ruine, est la traduction d’ άτη ds l’édition de Loayza mais dans d’autres traductions on peut trouver « la furie de l’Egareuse »). Atè peut aussi, et on le voit bien dans ce contexte, signifier la malédiction, l’acharnement du destin sur les hommes. Ici c’est à cause de la faute initiale d’Atrée que le malheur et la ruine ne cessent de s’abattre sur le palais d’Agamemnon. Cependant comme le montrent stratégiquement les vers du coryphée, les Euménides vont d’une part montrer le procès d’Oreste qui va devoir assumer son crime ; d’autre part faire cesser le processus de l’Atè – en même temps que les Erinyes vont devenir « bienveillantes ».




mardi 13 décembre 2011

La Charité



LA CHARITE – COURS LA JUSTICE – MADAME COSNEFROY

La Charité romaine








Cimon et Péro
P. P. Rubens, 1612
Huile sur toile 140.5 x 180.5cm
Saint-Pétersbourg, Musée national de l'Ermitage



Transposé d'un bois en 1819. Sujet inspiré des neuf livres de Faits et dits mémorables de Valère Maxime, auteur latin du Ier siècle. Un vieil homme, Cimon, avait été condamné à mourir de faim dans sa prison. Le geôlier par compassion, laissa pénétrer la fille de celui-ci, Péro. S'étonnant qu'après quelques jours le vieillard soit encore en vie, il s'aperçut lors que sa fille le nourrissait de son lait. La nouvelle de cet acte surprenant parvint aux juges qui, devant cet acte de dévouement et d'amour filial, accordèrent la grâce au vieil homme.
Donner le sein à son père exprime la miséricorde et le dévouement ; c'est une victoire sur soi-même et sur la transgression de la loi qui interdit tout contact charnel entre un père et sa propre fille. La transgression est sanctifiée par l'amour et prend appui sur le texte de Saint Matthieu : " Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ".
La légende inspira de nombreux peintres du 17e siècle européen, non seulement Rubens, mais aussi Le Brun, Vouet, Caravage, Charles  Mellin et Greuze au XVIIIe. Les tableaux étaient désignés du nom de Charité Romaine ou Piété Filiale.

La Charité


1645




La Charité
Charles Le Brun, vers 1642-1648
Huile sur toile
Musée des Beaux-arts de Caen












Les Sept Actes de Charité
Le Caravage , 1607
Huile sur toile, 390 x 260 cm
Église de Monte Della Misericordia Pio, Naples


Chassé de Rome, Le Caravage trouve refuge dans le fief de la famille Colonna à Naples en 1606. Là, il travaille avec son habituelle vitesse étonnante. Tôt, en janvier 1607, lui est payé cet immense tableau d'autel par l'Eglise Monte Di Misericordia Pio (où on peut toujours le voir aujourd'hui).
Le tableau montre les Sept Actes de Charité. Son organisation est très compliquée, le Caravage a ajouté après coup les deux anges et la Madone et l'Enfant dans la partie supérieure de la peinture ce qui en fait peut-être la la composition la plus complexe de tous les travaux. du peintre. Le Caravage n'a pas peint d'épisodes exemplaires voulant émouvoir par les seuls gestes et sentiments des personnages. L'efficacité éducative réside dans l'éloquence intrinsèque des diverses poses.
Les sept actes de charité représentés sur la peinture sont les suivants. A droite, l'enterrement des morts (1) et l'épisode de Carita Romana , la fille de Cimon donnant le sein à son père en prison qui contient deux actes charitables : la visite des prisonniers (2) et l'alimentation de l'affamé (3). Au premier plan saint Martin donne son manteau au mandiant et symbolise l'habilelment des pauvres (4). À côté de cette scène, l'hôte ouvrant sa maison à saint Jacques de Compostelle évoque l'offre d'hospitalité aux pèlerins (5). La délivrance l'assoiffé (6) est représentée par Samson buvant de la mâchoire du boeuf. Le jeune homme derrière le mendiant avec saint Martin représente le geste charitable du souci des malades (7).

lundi 12 décembre 2011

Planning passage en Tipe

Plan sur transparent OBLIGATOIRE














Planning de passage en TIPE













Date 05-janv 12-janv 19-janv 26-janv 02-févr 09-févr 16-févr








16h00 Bavelard / Ralle Eddarbouch Ronciere Dieng Chot-Plassot Lorgeoux El Yadini
16h30 Viaud Rivet Monmarché / Conrad Morin Marin Jalalzai ?
17h00 Tanniou Chauvet Daunizeau De Mascureau Thierry El Kettani ?
17h30 Lacueille Zouhadi Picardat-Dubois Maret Jettou Mohad ?














































       

vendredi 9 décembre 2011

Inscription aux concours

Un lien vers l'excellent site parfaitement renseigné d'un collègue du lycée Alphonse Daudet de Nîmes, Nicolas Chireux. Vous y trouverez de nombreuses informations pour vous aider dans vos choix : nombres de places, rang du dernier admis, frais d'inscriptions au concours, ...

http://chireux.fr/cpge_daudet/liste_ecoles.htm