jeudi 12 avril 2012

Pensez-vous que la révolte soit nécessaire à l’établissement de la justice ?


  Pensez-vous que la révolte soit nécessaire à l’établissement de la justice ? (réflexion menée à partir de l’homme révolté de Camus)

Dissertation :
Introduction
Camus, dans son essai L’homme révolté  (1951), écrit dans le contexte d’une polémique avec Sartre sur l’action révolutionnaire, déjà abordée à travers des œuvres théâtrales (Les Justes, 1949, pour Camus et Les Mains sales 1948 pour Sartre) fait le procès de l’aveuglement du révolté qui peut être tenté par le crime au nom de son idéal. C’est pourquoi la figure du terroriste est centrale dans la littérature du milieu du XXè siècle (Malraux avait déjà construit l’ouverture de son roman La condition humaine  en 1933 sur cette réflexion : le roman s’ouvre sur le geste de Tchen : est-il un criminel ou un révolutionnaire ?).
Etre victime d’injustice fait naître le sentiment qu’il existe un idéal de justice qu’il s’agit alors de revendiquer, que ce soit par la parole ou l’action violente, en tout cas par une forme de révolte. Est-ce à tort ou à raison ? La révolte est-elle nécessaire à l’établissement de la justice ? Ce mouvement de révolte (étymologiquement, « révolter » vient de « revolvere », retourner), qui consiste comme le dit Camus, à dire non à l’autorité, à l’ordre établi, à se dresser contre l’autorité politique en place, ce mouvement collectif permet-il l’établissement ou le rétablissement de la justice ? A quel prix, pour lui et pour son groupe, l’homme révolté va-t-il payer son insoumission ? Car la révolte n’est jamais qu’un passage – fût-il obligé – vers un ordre plus juste et donc vers un dialogue restauré.
C’est ce problème central du rapport entre justice et révolte qu’interrogent à leur tour les œuvres d’Eschyle dans l’Orestie, de Pascal dans les Pensées  et Steinbeck dans Les Raisins de la colère : chacun envisagera la lutte pour une plus grande justice au regard des dangers que représentent la violence et le chaos générés par exemple par la révolte d’Oreste ou celle des fermiers de l’Oklahoma.
Nous examinerons d’abord les causes et les manifestations de la révolte dans son exigence de justice. Puis nous montrerons quels dangers la révolte fait courir à la société humaine lorsqu’elle se produit en faisant usage de la violence. Enfin nous réfléchirons aux pistes qui s’offrent à l’homme pour imposer cette exigence de justice en dépassant ou en contournant l’étape de la révolte.

I/ La révolte est l’expression nécessaire d’une exigence morale de justice :
Quelles sont les causes et les manifestations de cette exigence morale ?

  1. Le révolté est un homme qui décide de dire non à un ordre injuste :
·      On rappelle d’abord qu’aucun ordre social n’est juste selon Pascal (relativité des lois, fr 56 Le G) et donc cette relativité des lois est la faille qui permet à l’homme de s’insurger contre des lois qu’il peut juger iniques au nom d’autres valeurs.

    • Le révolté est d’abord un homme qui souffre d’une situation injuste. La révolte peut commencer par l’expression de la plainte qui peut ensuite se transformer en colère (RDC) et en action violente ou crime (Choéphores). Ce moment de la plainte est essentiel dans Eschyle, le Kommos marquant le moment où les héros se tournent vers l’Autre, (les dieux, le père) pour demander leur aide et exprimer l’espoir d’un soulagement.
    • Il prend progressivement conscience de l’injustice dans laquelle il vit : Tom Joad, Casy, les hommes du breaking through. Le révolté est un homme qui chemine vers la liberté (d’où l’idée du roman initiatique pour Les Raisins de la colère). Casy se révolte au début du roman contre l’idée du péché ; Tom Joad, d’abord dans une révolte contre son propre sort de criminel, va peu à peu prendre conscience des injustices faites aux Okies (« Si encore c’était vraiment pour faire respecter la loi, on le supporterait. Mais ils ne représentent pas la loi » p 392 ) puisse lancer dans une lutte au profit de la collectivité. La révolte est donc générée par un long processus de maturation, (cf la métaphore des « raisins de la colère ») tant individuelle que collective. 
    • Ce non est aussi désir d’instauration d’une limite : comme le dit Camus, quelque chose en trop a été commis. On peut évoquer ici le maskalismos : le geste éminemment transgressif de Clytemnestre n’est pas tant le crime que la mutilation du corps du père. La transgression d’une limite entraîne chez la victime une autre transgression : la révolte contre l’ordre et l’autorité. On remarquera que cette même attitude indignée sera remarquée chez les Erinyes dans Les Euménides  contre le geste d’Oreste. Ce qui prouve bien que la révolte génère une nouvelle injustice (voir partie II)

  1. La révolte est ensuite un passage à l’acte : l’homme révolté se dresse CONTRE

·      L’homme révolté est en quelque sorte l’anti squatter (Steinbeck), c’est le contraire de l’homme qui se couche ou qui accepte de mourir :  Meurtre de sa mère pour Oreste, la révolte de Muley contre les expulsions et sa résistance SEUL contre les tracteurs (dans le film), l’homme qui fait face au tracteurs dans le chapitre 5, l’attaque contre le shérif dans la Hooverville pour Tom Joad, l’engagement dans la grève pour Casy au prix de sa vie
    • La révolte doit aussi prendre une dimension d’action collective (la grève des ouvriers agricoles à la ferme Hooper, le refus des bas salaires)
    • La révolte contre les dieux ou contre l’autorité établie : on pensera au personnage d’Antigone qui se dresse contre les lois de Créon.

  1. …au nom d’un ordre plus juste :
·      Appel aux dieux chez Eschyle dans le kommos
·      Ou au nom de l’espoir que les fermiers avaient d’avoir une vie meilleure en Californie. Grève à la ferme Hooper dans l’espoir de voir le prix du seau de pêches monter pour se nourrir et nourrir sa famille.


II - La révolte comporte des risques et des dangers majeurs : il n’y a pas de révolte sans ce risque

1. Les risques de la révolte sont la mort ou la destruction du groupe : Casy, Tom, la famille Joad / Oreste Car la révolte en passe par la  violence : le sang et la vengeance
    • Ce passage à l’acte s’accompagne souvent de violences et de sang versé : le révolté devient un criminel, un hors la loi, un exclu de la communauté. Pretty Boy Floyd dans les Raisins, le hors-la-loi, révolté qui devient fou.
On tentera de distinguer nettement la différence entre la révolte et la vengeance. La vengeance est souvent le premier mouvement de la révolte (penser à Germinal lorsque les femmes s’en prennent à l’épicier avec la violence que l’on sait par vengeance contre la cruauté qu’il exerçait à l’égard des femmes). Cette tentation de la vengeance est toujours montrée à Tom par Ma comme mauvaise.
·      Risque perçus par Ma Joad qui lutte contre la colère tout au long du roman. Elle pressent que dans cette humeur malsaine où mûrissent tous les raisins de la révolte, fermente aussi ce qui détruit toute cohésion humaine : d’abord et avant tout le groupe familial parce que la colère va nécessairement pousser le révolté à se mettre hors la loi. La révolte peut conduire à ne plus respecter la vie humaine : Oreste, et Tom lui-même lorsqu’il tue l’assassin de Casy.

2. La révolte est séditieuse : c’est l’ensemble du corps social qui s’en trouve ébranlé et menacé :
·      Pascal : or  cet ordre social est le bien le plus précieux qu’il faut préserver à tout prix
·      L’ordre californien se resserre de plus en plus autour des fermiers (milices armées, on brûle les camps, chasse aux rouges, etc).
    • C’est pourquoi il faut un retour à l’ordre faute de quoi c’est le chaos : Eschyle termine l’Orestie sur la création de l’Aréopage, donc sur un ordre juste. Mais Oreste seul n’a pu rétablir cet ordre juste, il a fallu l’intervention d’un tiers médiateur, Athéna.

3 .Toute révolte n’est-elle pas révolte contre Dieu (ou les dieux ? )
(ici on peut évoquer la figure de Job).
On constate alors que pour Pascal rien ne peut venir justifier la révolte  :  la révolte est souvent évoquée dans Les Pensées, comme repoussoir absolu. Car comme aucune justice humaine n’est possible sur cette terre, nécessairement aucune révolte ne peut être justifiée, elle est nécessairement mauvaise. Pascal juge de tout à partir de l’ordre de la charité, cad au regard de la justice de Dieu. Pour Pascal, se révolter est une hérésie, C’est pourquoi Pascal la condamne nécessairement : aucune exigence de justice ne saurait justifier un meurtre, ni un acte de violence. Lui qui a connu la Fronde, révolte des Parlements et des Grands, sait d’expérience que la révolte est une menace pour la paix civile : or « Le plus grand des maux est les guerres civiles » (laf 94). De plus : la révolte est de l’ordre de l’hubris, elle est démesure (Eschyle et la tragédie grecque en général) : c’est elle appartient à l’ordre de la concupiscence. C’est le « moi » qui revendique pour sa satisfaction et non le bien commun. Tout le fragment 56 (Le G) est concerné mais surtout le passage sur la Fronde : p.88 »L’art de fronder et de bouleverser les Etats est d’ébranler les coutumes établies , en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut d’autorité et de justice » Fronder est donc « un jeu sûr pour tout perdre » que ce soit pour le peuple qui prête aisément oreille à ces discours ou pour les grands qui en profitent pour ruiner le peuple . « Il faut dit» Et fr 62 p.90 : il faut obéir aux lois parce qu’elles sont lois et non parce qu’elles sont justes    « voilà toute sédition prévenue, si on peut faire entendre cela et que proprement c’est la définition de la justice » (p.90-91).


 III - Comment éviter les dangers de la révolte tout en maintenant l’exigence de justice morale ?
1 - On peut restaurer la dignité humaine et les limites à ne pas franchir par d’autres voies que la révolte ou bien celle-ci doit vite déboucher sur ces autres voies sinon elle risque de conduire à la tyrannie : la pensée de derrière, l’institutionnalisation d’un régime plus juste, « le juste prix », cad la conscience de la juste place de l’homme.
Exercer un pouvoir politique et judiciaire éclairé par la conscience et la valeur de justice et les limites même de cette justice :
la pensée de derrière : on peut instaurer la limite entre le supérieur (l’oppresseur) et l’inférieur (l’opprimé) par cette voix intérieure. Ainsi l’inférieur reste-t-il muet extérieurement, mais il n’en pense pas moins (respect uniquement pour les grandeurs naturelles : ainsi il garde sa liberté) Trois Discours. La grandeur d’établissement (« Il a 4 laquais ») reconnue comme telle ne pousse pas l’homme à la révolte. Inversement, le grand, s’il sait rester à sa juste place et lui aussi se laisse gouverner par la pensée de derrière a conscience de sa juste place (premier discours). Qui aurait besoin de se révolter contre un tel roi (celui de l’apologue, qui sait qu’il n’est roi que par le hasard) ?

l’institutionnalisation de la justice/ le changement politique accompagné (rôle d’Athéna dans la constitution de l’Aréopage)

l’acceptation par l’homme de sa juste place : l’ordre de la charité, fragment sur les deux infinis.

2 – mais face à l’aporie de l’exercice de la justice par l’institution, l’homme peut choisir de faire prévaloir un au-delà de cette limite de la justice l’affirmation de valeurs humaines : comprendre la justice comme le respect profond de la dignité de la personne humaine. Ricoeur (postulat :  l’homme toujours plus grand que sa faute)  => le don, le sacrifice ou le pardon


3 – le combat de l’écrivain pour dénoncer l’injustice, affirmer la révolte par la force des mots dans une fonction performative de l’art ( « quand dire, c’est faire »  _ Austin).

Et la révolte doit donc en dernière instance opérer le procès de la liberté totale : je dois me révolter, non lorsque je suis opprimé, mais pour faire respecter les droits de l’autre.

dimanche 1 avril 2012

Entretiens : horaires modifiés

Par rapport au planning suivant , une modification :
17h00 Monmarché / Conrad
18h15 Viaud / Faragout / Lacueille